La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot-Narquin, était hier soir l'invitée du Grand Jury RTL/LCI/Le Figaro. Elle y a annoncé travailler sur l'idée que les dépenses d'optique (lunettes et lentilles de contact) pourraient à l'avenir ne plus être remboursées par la Sécurité sociale, mais par les mutuelles et assurances complémentaires. Cette disposition figurerait dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009, qui sera présentée l'automne prochain.
Aujourd'hui, les frais d'optique sont déjà abominablement mal pris en charge par la Sécu : pourquoi ne pas entériner leur non remboursement total ?

L'ennui, c'est que les économies ainsi réalisées ne seraient que de l'ordre de 230 millions d'euros, sur un déficit qui frôle les 10 milliards. Il faudrait donc multiplier les déremboursements dans tous les domaines pour parvenir à combler le trou. Après l'optique, attaquons-nous donc par exemple aux frais de dentiste (eux aussi très peu remboursés), et puis ensuite, que la Sécu cesse de rembourser quoi que ce soit, les mutuelles et complémentaires s'en chargeront !

antisocialMais problème : 8% de la population française ne bénéficient pas aujourd'hui d'une telle assurance (ni de la Couverture maladie universelle). Il est vrai que les cotisations ont augmenté de 25% sur les cinq dernières années. Sur la base de 61,875 millions de Français (estimation de l'Institut national d'études démographiques au 1er janvier 2008), on obtient donc 4,95 millions d'exclus de tout remboursement. Et il s'agit bien évidemment des plus modestes (à l'exception de ceux qui sont pris en charge par la CMU) : chômeurs, précaires, temps partiels subis… Bref, les traditionnelles victimes expiatoires du sarkozisme. Ceux-là mêmes qui sont déjà frappés de plein fouet par les iniques franchises médicales. Roselyne Bachelot-Narquin annonce donc tout tranquillement que le gouvernement envisage de priver presque 5 millions parmi nos concitoyens les plus modestes de remboursement sur l'achat de leurs lunettes. Peut-on imaginer plus antisocial ?

Rappelons que l'Etat doit à la Sécurité sociale la bagatelle de 5 milliards d'euros et qu'il ne lui verse pas l'intégralité des taxes sur le tabac et l'alcool, ce qui équivaut à 3 milliards supplémentaires. Ajoutons encore 3 milliards qui seraient perçus si l'on taxait les stock-options, suivant la proposition formulée en septembre 2007 par le Président de la Cour des comptes, Philippe Séguin – qui est loin du gauchiste échevelé! Ça nous fait combien ? 11 milliards. Au lieu d'un trou de 10, un excédent d'un milliard : c'est tout bête, les mathématiques.

Sauf que. Au lieu de procéder à l'addition suggérée ci-dessus, la clique sarkoziste, aux ordres des privilégiés, préfère encore et toujours ponctionner les revenus modestes, leur portant jour après jour de nouveaux coups : et hop, 5,5% d'augmentation du gaz pour bientôt, et hop, on va sucrer les allocations des chômeurs refusant deux offres jugées "valables" selon d'odieux critères… Et s'ils ne sont pas contents, ils n'ont qu'à travailler plus, ces feignants, puisque c'est la seule solution trouvée par nos cyniques gouvernants pour lutter contre la baisse du pouvoir d'achat, sous les applaudissements nourris du MEDEF. Cette véritable guerre de classe menée contre les milieux populaires ne va-t-elle s'achever, faute de combattants, que lorsque tous leurs représentants seront plongés dans la misère ?

Aujourd'hui, 11% des Français, au nombre de 6,8 millions, vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Va-t-on enfin descendre dans la rue, signifier à ce gouvernement que trop, c'est trop, et le faire reculer ? Non. Anesthésiée par la propagande néo-libérale, recroquevillée sur le "chacun pour soi", l'opinion ne bouge pas. Et le silence est quasi général : notons que l'annonce scandaleuse de Bachelot-Narquin n'a pas fait les gros titres des médias. Et que ces benêts de Français, qui trouvent certes le Président un peu trop narcissique et caractériel, d'où sa chute sondagière, continuent d'accorder au sinistre Premier ministre Fi(ll)on une popularité supérieure à 50%. L'écrasante majorité de la population souffre pourtant dans sa chair de l'inique politique qu'il mène. Mais ne le voit pas. Alors légitimons le déremboursement des frais d'optique : après tout, les pauvres n'ont qu'à avoir de bons yeux.

65_thumbMise à jour : "Les remboursements pour les lunettes et les prothèses, les Français ont un remboursement qui ne doit pas être supérieur à 30%, alors que le problème d’hygiène dentaire, c’est un problème de santé publique, on ne peut pas dire que c’est du confort, on ne peut pas se trimballer avec une dent qui manque, et pareil pour les lunettes, ce n’est pas une question de mode, c’est une question de nécessité. J’ai proposé qu’on porte les remboursements jusqu’à 50%", déclarait le candidat Sarkozy dans une interview au journal Le Monde du 23 janvier 2007, comme le rappelle l'Abécédaire de ses propositions sur le site de l'UMP.
"Je fais ce que je dis, je dis ce que je fais (…) Je ne vous mentirai pas, je ne vous décevrai pas, je ne vous trahirai pas"…

Mise à jour du 16 avril : après avoir refusé de s'exprimer durant toute la journée du 14 avril, la ministre de la Santé fut interpelée hier à l'Assemblée où elle déclara de façon stupéfiante : "Je n'ai jamais tenu ces propos". Or si, elle a bien dit : "la question est posée" à propos du déremboursement de l'optique (voir les deux séquences vidéo ici). Et en plus, elle se permet de mimer la colère et de qualifier la polémique de "ridicule". Elle se moque du monde. Quelle bande de tristes guignols !