Hortefeux, donc Sarkozy, aurait-il fait la part de feu son premier-ministrable, Woerth ? C’est la supputation qu’avance Laurent Valdigué, du Journal du dimanche (jdd.fr). « Dans l’entourage d’Eric Woerth, certains peuvent donc s’interroger sur le soutien dont bénéficie encore réellement le ministre du Travail. A-t-il été lâché ? ». Ceux qui ne le lâchent pas, c’est Le Soir de Bruxelles ou La Tribune de Genève

Il suffit de consulter le site de Courrier international pour se faire une bonne opinion de celles des éditorialistes étrangers sur le Woerthgate. Woerth devrait démissionner. Parce que, lui, sa femme, Florence, qui disposait à l’année d’un appartement de Liliane Bettencourt à Genève, de Maistre, et pas mal d’autres, ont menti à répétition, et pas seulement par omission. Rappelons que Bill Clinton s’était vu surtout reproché d’avoir menti dans l’affaire de sa stagiaire, Monica Lewinsky. « Son maintien au gouvernement équivaudrait à reconnaître que la parole politique ne vaut plus rien », conclut l’éditorialiste de La Tribune de Genève.

 

Même si, comme le laissent supposer les carnets de Banier, Patrice de Maistre n’aurait remis à Éric Woerth que des enveloppes contenant des chèques d’un montant tout à fait compatible avec la législation en vigueur, pour la presse étrangère, les mensonges l’emportent sur tout le reste et incriminent Éric Woerth. Certes, dans ce cas, il faudrait aussi incriminer le « président du pouvoir d’achat », de la « guerre à l’insécurité », &c. Mais ne pas tenir des promesses réitérées n’est pas de même nature. D’un côté, l’Élysée et l’UMP, voire aussi le patronat (même si Woerth fut applaudi lors de la journée du Medef), trouvent Woerth très embarrassant. De l’autre, il devra sans doute rester en place jusqu’à la fin des débats sur la réforme des retraites : « Woerth, parce qu’il le faut bien… ».

 

Mais on peut effectivement se demander si, alors que des dossiers ont pu disparaître et réapparaître dans les archives du ministère de l’Intérieur (voir Clearstream-Eads, de Jean Galli-Douani), la remise à la Brigade financière d’une lettre relative à la décoration de Patrice de Maistre, conservée dans le dossier des demandes de décoration du ministère d’Hortefeux, n’est pas un indice de largage.

 

Cela permet de concentrer le débat loin de la forêt de « Conpiège » (celle de Compiègne, concédée en dépit de la réglementation à une « connaissance » peut-être pas si lointaine du maire de Chantilly), de l’action de Woerth et de son épouse en Suisse, et d’autres dossiers qu’un de Sérigny, de Maistre, ou une baronne Amiel pourraient ressortir si on les y « contraignait ». Mettre en cause Patrice de Maistre pour épargner Woerth supposerait que la Brigade financière s’intéresse de trop près aux comptes du parti « majoritaire ». Les trésoriers de l’UMP ne sont certes pas des « faisans de la dernière pluie », mais on peut se poser aussi la question : ne se sont-ils pas sentis un peu trop décomplexés ces dernières années ?

 

woerthgate_fragonard.pngLe petit jeu de la rentrée, dans les dîners en ville, consiste à imaginer quelle pantoufle pourrait bien échoir à Woerth. La Société du Tunnel du Mont-Blanc, comme autrefois Balladur ? La Cour des comptes est, comme récemment à la Halde, passée par là. Nouvel imprésario de Johnny Halliday à Gstaad ? Le « Jaûni » vend sa propriété de Marnes-la-Coquette, peut-être pour régler ses 900 000 euros d’impôt annuel aux Helvètes. Woerth ne serait pas trop persona grata dans les alpages des Diablerets (canton de Vaud). Hier couvert de lauriers, Woerth va-t-il devoir s’y dissimuler (notre illustration) ? En tout cas, hors de question de lui confier une « mission lambda » comme à Christine Boutin qui vient de considérer qu’il aurait gagné à démissionner de lui-même. Le nommer à la place d’Ockrent ? La presse étrangère se déchaînerait encore davantage.

 

L’histoire doit tourner à la farce, car elle est trop profonde, ramifiée, pour risquer un grand déballage. C’est déjà fait : sur le site du Suisse 24 Heures, Burki, un illustrateur, vient de proposer aux enchères un « Woerth-Bettencourt d’après Fragonard ». Mais elle laissera des traces. Michel et Monique Pinçot Charlot ont confié à Rue89 les bonnes feuilles de leur livre, à paraître le 9 décembre chez l’éditeur La Découverte, Le Président des riches. Ce n’est pas vraiment une découverte, mais elle est durable. Ils rappellent des évidences : le bouclier fiscal frappe « le produit du travail des autres ». Autres extraits : « La grande richesse est un immense iceberg. Plus on en voit, plus il y en a de dissimulé aux regards importuns (…) Ces paradis fiscaux échappent à toute investigation. ». Pire, beaucoup de bénéficiaires potentiels rechignent à en profiter parce qu’ils préfèrent s’acquitter de l’impôt sur ce qu’ils déclarent et qu’en bénéficier « rallonge ipso facto de deux ans le délai de prescription » (de la fraude fiscale). Conclusion : « L’État providence de la seconde moitié du XXe siècle n’a pu exister que parce qu’il y avait le contrepoids des pays socialistes et la nécessité pour le patronat industriel de faire appel à une main-d’œuvre locale compétente, au pouvoir d’achat sécurisé par la collectivité, pour qu’à la production de masse corresponde une consommation de masse. ».

 

« Je dis aux Français que je n’éluderai pas mes responsabilités, je garantirai la pérennité de notre modèle social, » déclarait Nicolas Sarkozy, sachant fort bien que c’est, à terme, une quasi-impossibilité : le cœur de son électorat le lâcherait. « Si les Français sont prêts à faire les efforts que réclament le rétablissement de nos comptes publics et la préservation de notre système de protection sociale, ils veulent que ces efforts soient équitablement répartis, » proclame le site de l’UMP. Vérité et clarté sont, pour l’UMP « la raison d’être de la franchise politique ». On attend les réponses au sondage du site de l’UMP : « doit-on préserver les niches fiscales ayant un effet direct sur l’emploi ? ». Pour la restauration, on a vu, sinon donné. Ma restauratrice préférée vient d’augmenter ses prix (stables depuis cinq ans, qui restent très raisonnables) pour les faire concorder avec la hausse de certaines denrées, elle n’a absolument pas les moyens d’embaucher. Bien au contraire, parfois, les clientes et clients lui donnent un « coup de main » bénévole en salle, à l’occasion. Lesquels considèrent d’ailleurs qu’ils n’ont pas les moyens de s’offrir de l’eau minérale (pourtant elle aussi taxée à 5,5 %, pour le plus grand avantage des industriels, et on se demande bien pourquoi). Notez que le taux réduit de 2,1 % s’applique tant à l’achat de L’Humanité que de L’Égoïste ou de luxueuses pompes à publicités. De ce point de vue, pas de « rupture ».

 

La réelle dimension du Woerthgate, c’est cela : la rupture, c’est pour les retraites… entre autres. Ou pour les paris en ligne… dont la mise en musique de la réglementation a été faite de conserve par Sébastien Proto, Éric Woerth et les Lagardère, père et fils.

 

C’est là l’essentiel. Les péripéties des affaires Bettencourt, Woerth, le Sarkogate, sans doute peu soluble dans celle de l’attribution de la Légion d’honneur à Patrice de Maistre, peuvent faire pschitt. Les retraites et le pouvoir d’achat amputés du plus grand nombre ne feront pas long feu : c’est du durable. L’APL n’a été maintenue pour les étudiants parce que, même les plus fortunés des parents envoyant leur progéniture à Jouy-en-Josas et dans d’autres grandes écoles que les plus pauvres subventionnent via les chambres consulaires, en bénéficient ; et qu’ils sont intervenus auprès d’un Woerth ou d’un autre. Parlons de ces bourses d’études supérieures, qui peuvent être assez fortes si on prépare l’agrégation (la Société des agrégés est un lobby assez efficace). Leur effectif à cru de 522 000 environ à 566 000 environ depuis la rentrée 2005 à celle de 2010. L’effet de la crise, constaté dans les pays européens les plus touchés, où pour certaines facultés, les effectifs chutent de près de moitié (de 1 700 à 1 000 pour la fac d’Éco de l’UVT roumaine), n’est pas encore constaté en France. Les études supérieures restent une manière de repousser la date d’entrée au Pôle-Emploi. Les bourses attribuées aux étudiants de Sciences Po’ ont fortement évolué de 1994 à 2007 (triplement ou presque). Mais cela tient au fait que des familles s’appauvrissent tandis que d’autres ont toujours les moyens d’entretenir des étudiantes et étudiants au-delà du cursus minimal (donc de prolonger leurs études, à présent après le mastère, et là, l’attribution des bourses est moins liée aux revenus). Quel rapport avec le Woerthgate ? À chacun de lui donner la définition qui lui convient. Ce qui est sûr, c’est que les manifestantes et manifestants du 4 septembre ne vont peut-être pas demander en priorité la démission d’Éric Woerth. Ils ont d’autres préoccupations, liées au Woerthgate, plus urgentes, plus cruciales, voire urgemment criantes. Et ils en ont assez d’être pris pour les lapins de garenne de la forêt de « Conpiège » ou des chasses présidentielles (celles du Château de Chambord, ne pourront plus recueillir Woerth, elles sont remplacées par des « battues de régulation » : il fallait bien trouver des symboles de la rigueur budgétaire, l’économie est de… 12 000 euros par an, et pour le retour de Kadhafi à Paris, on trouvera bien une autre distraction…).

  Si vous ne vous attachez qu’aux péripéties du Woerthgate, consultez plutôt l’intégrale de la lettre adressée par Françoise Bettencourt-Meyers à Claire Thibout que les extraits publiés par Le Figaro. La comparaison est possible sur le site d’Agoravox. Ne restez pas dans la forêt de « Conpiège ». Et sachez le manifester.