Mesdames Éric Woerth, Andrée Bettencourt, Patrice de Maistre et autres « marquises de la République » vont bien, et tout va très bien pour elles, félicitons-les et nous-mêmes de leur vitalité. En Angleterre, l’ex-comptable d’une association caritative, condamnée pour détournements de fonds, s’est suicidée dans sa cellule. Elle aurait pu avoir maille à partir avec le Serious Fraud Office. En France, l’« équivalent » (mais toute similitude serait le fait d’un hasard vraiment fortuit), du SFO est le Service central de Prévention de la corruption (SCPC). Les marquises peuvent continuer à manger de la brioche, ce n’est pas demain la veille que le SCPC les en priverait…


Ce n’est qu’un fait divers qui ne retiendra pas longtemps l’attention de la presse britannique. Melanie Beswick, 34 ans, de Porthmouth, une ex-comptable de l’association The Citizens’ Advice Bureau, s’est pendue dans sa cellule où elle purgeait une peine de 21 mois pour détournements de fonds et incapacité de régler une amende. Elle avait détourné diverses sommes, dont l’une, de 10 000 livres (environ autant d’euros), lui avait servi à rembourser un organisme de crédit et à doter sa demeure de doubles vitrages. Condamnée en mars 2009, elle s’est donné la mort le 21 août 2010, sans laisser d’explication. Les montants par elle détournés sont des gouttes d’eau par rapport à l’océan des sommes énoncées dans les divers volets du Woerthgate.

 
Loin de nous l’idée de rapprocher ce suicide de celui du ministre socialiste Roger Salengro, qui fut victime d’une campagne de presse, et laissera un billet indiquant – à très juste titre – « ils n’ont pas réussi à me déshonorer ». Et il n’est pas question non plus d’évoquer des similitudes entre une Melanie Beswick et le ou la moindre ou plus en vue des protagonistes du Woerthgate. Lequel, pour Éric Woerth, ce mois d’août, s’est prolongé avec des supputations sur un prêt bancaire qu’il aurait sollicité on ne sait trop pourquoi et une intervention présumée – d’ailleurs normale, forcément normale – visant à la reprise de l’entreprise Molex épurée de ses délégués syndicaux.   En revanche, il n’est pas fortuit de signaler que des protagonistes du Woerthgate auraient pu, si les faits s’étaient produits au Royaume-Uni, se retrouver signalés à l’attention du Serious Fraud Office, et que même une simple « sujette » comme Françoise Bettencourt-Meyers, ou une employée de L’Oréal, auraient pu le faire. Le site du SFO, accessible à toutes et tous, abonde en études de cas précises, avec publications des noms des personnes ou entreprises ou même ministères (ainsi celui de la Défense, très sollicité par le marchand d’armes BAE Systems).
En France, un organisme de prévention des fraudes, piloté par le ministère de la justice, le SCPC, existe aussi.
Mais les modalités de sa saisine diffèrent du tout au tout (seuls des élus ou des fonctionnaires peuvent s’y adresser), et ses derniers rapports annuels ne citent que, très parcimonieusement, des entreprises étrangères (le groupe Madoff et une entreprise italienne pour le rapport 2008). D’ailleurs, si on trouve en ligne le rapport 2008, pétri de généralités et de recommandations dont le peu de suivi d’effets est parfois déploré si on sait lire entre les lignes, le site du ministère de la Justice, de Michèle Alliot-Marie, ne diffuse à ce jour que les rapports antérieurs (dernier en date : celui de 2007).
 

Il serait abusif d’avancer que ce Service central de Prévention de la corruption ne sert strictement à rien d’autre qu’à contribuer à la formation d’enquêteurs ou à la divulgation des principaux mécanismes et schémas frauduleux. Dans son livre, Clearstream-EADS, le syndrome du sarkozysme (éds Bénévent), Jean Galli-Douani salue son action… réconfortante pour sa sérénité mentale. Il n’en dénonce pas moins sa relative impuissance. Pierre Bérégovoy, en 1992-1993, « avait tout tenté (…) afin de le doter de pouvoirs judiciaires et d’investigations, ce qui avait été refusé par les parlementaires… ». Lors de l’affaire du logement social attribué au fils d’Alain Juppé, le SCPC, sans se référer au cas d’espèce, avait, saisi par des élus socialistes, conclu que pour un élu tel qu’un maire ou pour un fonctionnaire, ce type de pratique pourrait être sanctionné. Cet avis avait été superbement ignoré. On attend encore que des élus de l’opposition s’adressent au SCPFC pour l’alerter sur tel ou tel autre aspect du Woerthgate. Mais il serait intéressant, sans donner de noms, mais en détaillant les cas estimés litigieux, de prendre l’avis du Serious Fraud Office. Cela n’incriminerait absolument pas les protagonistes du Woerthgate puisque, aux yeux des lois françaises et sans doute de la Garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, les faits rapportés ne valent même pas de désigner un magistrat instructeur. Et qu’on se rassure : si le SFO émettait un avis contraire aux intérêts ou à la réputation des marquises de la République, cela ne les conduirait pas à placer leur tête sous le billot. On peut d’ailleurs vouer sa tête – et les ressources de L’Oréal – au Banier sans que le SCPF soit en mesure de s’en inquiéter.

 

Rappelons aussi que la définition des abus de biens sociaux a été gentiment atténuée naguère et que, récemment, celle de la corruption des élus a été, à l’unanimité des présents, quelque peu édulcorée par les sénatrices et sénateurs. Nul doute que cela n’a pas échappé aux Françaises et Français sondés récemment qui n’estiment pas que l’opposition, si elle parvenait au pouvoir, changerait sérieusement la donne. Au point – mort – où en sont les choses en cette fin août, seule une commission d’enquête internationale, s’appuyant sur les compétences des enquêteurs du SFO et d’autres organismes étrangers, semblerait, aux yeux de l’opinion, susceptible de les faire avancer. Hypothèse farfelue, évidemment, et ce n’est pas un Kouchner ou nos ex-nouveaux « philosophes », si prompts autrefois à justifier l’ingérence de la communauté internationale, qui s’en empareront. La France, autrefois « mère des arts, des armes et des lois », semble fort bien s’accommoder de ses propres turpitudes et des couacs qu’elle inflige au « concert des nations ». En tout cas, un adage bien français se vérifie : le ridicule, fusse-t-il éhonté, ne tue pas !