Woerthgate : les vases communicants…

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Dans l’affaire du Woerthgate, les vases communiquent, et la vase communicante est à l’œuvre. D’une part, Le Nouvel Obs’ nous apprend que du ministère Woerth au ministre Baroin, on aurait su verser à bon escient l’homme de la situation. D’autre part, du côté des communicants, la stratégie du déni (de concussion ? allez savoir…), commence à être jugée inopérante. « Soluble dans le mois d’août ? », le Woerthgate, comme l’estimait Le Télégramme ? Pas si sûr… Si la rumeur « démission, démission » se muait en « remboursez, remboursez », rien d’autre qu’une communication en sens inverse ne pourrait la juguler. Mais les caisses sont vides…


Lorsqu’il sera très fortement question, à la rentrée parlementaire, de relever les taux de la TVA, on ne se souviendra plus de l’audition ou de l’interrogatoire de tel ou tel protagoniste du Woerthgate. Mais on redira que, tout comme les plus fortunés échappent à un fort taux d’imposition direct réel, les mêmes sont loin de s’acquitter d’un montant global d’impôts indirects en proportion de leurs revenus et disponibilités. L’affaire de la bague de Liliane Bettencourt est à cet égard significative ; on apprendra peut-être que les contrats de Banier auraient pu faire l’objet de savants montages. Pour cette bague, comme nous l’avons établi, il était impossible de la régler en numéraire, même « en famille », chez Chaumet par exemple. Mais on aura compris que ce n’est pas chez Ed l’épicier ou Lidl que Liliane Bettencourt sort ses pièces jaunes de son porte-monnaie Vuitton. Vendeurs et acquéreurs de biens précieux savent échapper à la TVA, tout comme ils disposent des moyens de défiscaliser leurs opérations (ainsi du Carlyle Group, depuis dirigé par Olivier Sarközy, qui fait un petit tour par le Luxembourg pour revendre un même bien immobilier au Quay d’Orsay de Kouchner, nommé à point pour finaliser l’opération). Plus c’est gros, plus cela rapporte, comme les placements bancaires, et moins on acquitte de frais. L’achat d’une très grosse limousine ne se fait pas plus chez le concessionnaire des Champs-Élysées (on laisse ce plaisir de se montrer aux « nouveaux riches ») que l’achat d’une importante flotte de véhicules. Les véhicules transitent parfois via des pays tiers…

 

Mais revenons au feuilleton de l’été, et aux vases communiquant et communicants. C’est donc quelques semaines après qu’il fut brandi sous le nez des gazettes – et commenté par Nicolas Sarközy dans l’étrange lucarne – que le rapport attribué à l’Inspection générale des finances attire l’attention sur son rédacteur. Jean Bassères, patron de l’IGF, avait été nommé à ce poste par décret d’Éric Woerth le 24 janvier 2008. Bizarrement, Le Nouvel Obs glisse au passage : « Bassères a donc dû enquêter sur l’homme qui l’a conduit à occuper ce poste prestigieux… mais aussi sur son cabinet, dont le directeur, Sébastien Proto, a commencé sa carrière à l’IGF. ». Tiens, une enquête sur Sébastien Proto, alors qu’il n’en fut jamais directement question ? Le Nouvel Obs nous dévoilerait-il un pan obscur qu’on nous aurait caché à l’insu de notre plein gré ?

 

N’en déplaise à la correspondante du Figaro en Suisse, la presse helvète s’intéresse toujours aux divers aspects du Woerthgate et sa voisine attend peut-être d’être « couverte » par des révélations hors ses « murs » (ceux qu’érige la « vérité du prince »). Cela vaut aussi pour Le Devoir, au Québec, et pour le belge Le Soir. C’est dans ce dernier quotidien qu’on lit sous la plume de Charline Vanhoenacker qu’Éric Woerth « s’accroche à une paroi savonneuse ». Serait-il mal conseillé ? « Surtout, ne rien changer à son « profil techno », lui a conseillé Anne Méaux, la gestionnaire de crise du Tout-Paris, à la tête de l’agence Image 7, » estime la journaliste belge. Au fait, qui règle les honoraires d’Image 7 ? L’UMP, comme pour les amendes relatives aux frais de bouche et emplois fantômes de Jacques Chirac ? Admettons-le. Et Charline Vanhoenacker de conclure : « Éric Woerth, qui égrène les démentis, s’aligne sur la stratégie du déni pratiquée par Nicolas Sarkozy, notamment lorsqu’il ne voyait aucun problème à l’accession de son fils Jean à la tête de l’EPAD (Établissement public pour l’aménagement de la Défense.) Les soupçons de l’affaire Bettencourt ? Tout est « faux et archifaux. » Un jeu dangereux selon Christophe Ginisty, cofondateur de l’agence Rumeur publique… ».

 

Le Woerthgate, avons-nous répété ici, ce ne sont plus les faits, mais leur interprétation et leur contexte qui prime. Cela n’a rien à voir avec le Watergate pour l’aspect enquêtes journalistiques :  elles se traînent, se bornent souvent à reproduire le verbatim des dénis, quitte à, plus tard, écornifler un peu leur façade. Sur cet aspect, Corinne Lepage, députée, animatrice du mouvement écologique Cap 21,  a tout à fait raison d’évoquer l’autre Watergate français, l’affaire du sabotage du Rainbow Warrior : « Voici 25 ans, Laurent Fabius alors premier ministre demandait à un Conseiller d’État, Bernard Tricot, un rapport express sur le Rainbow Warrior. Ce rapport blanchissait la DGSE, et chacun sait ce qu’il en est devenu… (…) Le risque actuel est de plus grande ampleur, sachant que la crise dépasse de loin celle qui s’est traduite par la démission de Charles Hernu. ». Charles Hernu fut maintenu en poste aussi longtemps qu’il fut possible, la presse française attendant que son homologue néo-zélandaise distille les dessous de l’« Opération Satanic ». Entre le 12 juillet et le 20 septembre 1985, date de la démission de Charles Hernu, une douteuse stratégie de communication fut mise en place. Gageons qu’avec le Woerthgate, le décompte des jours et semaines établira qu’on peut faire beaucoup mieux… ou pire.

 

Je ne suis pas tout à fait étranger à la gestion de crise, pour avoir un peu étudié celle qui valut à la marque Perrier de retirer illico ou presque tous ses flacons de tous les rayons nord-américains. Perrier, longtemps, très longtemps après, communiqua sur une possible contamination malveillante du fait d’un concurrent. Si tant était que l’ex-comptable de Liliane Bettencourt aurait agi pour le compte d’une concurrence, ce qui n’est absolument pas établi, la gestion de la crise Perrier n’en reste pas moins un modèle d’école. Perrier a su faire la part du feu, être en phase avec l’opinion du moment, avec une immédiateté à laquelle le cabinet Science Tech, de Montréal, ne fut pas étranger.

 

Que considère Christophe Ginisty sur son blogue-notes ? « Quelle est la puissance émotionnelle de la crise dans l’opinion ? » s’interroge-t-il. « L’inquiétude devient indifférence, » souligne-t-il, mais si et seulement si l’appréhension qui la provoque peut « s’estomper d’elle-même ». Ginisty tend à démontrer que l’attitude actuelle de Nicolas Sarközy est « suicidaire ». « Point de compassion ou d’empathie, l’exécutif a choisi le déni et l’autorité. » Partant, son autorité s’ébrèche, puis se dilue, puis s’envase. Nicolas Sarközy « s’est installé dans une posture très particulière, affichant sa distance et faisant l’aveu de ne pas vivre les mêmes émotions que nous. ». Ajoutons que, sur d’autres plans (les Rroms, les Tziganes, ces « Ciganer » dont porte encore le nom son ancienne épouse, Cécilia), il est quelque peu effronté. Peu crédible. L’ancien ministre de l’Intérieur et des Cultes, alerté par les préfets du moindre rassemblement évangélique de « gens du voyage », est parfaitement au fait des dossiers, des complexes réalités, qu’il travestit ; alors qu’il a pu, y compris dans le cercle familial, en être informé. « L’opinion interprètera cela comme de l’ignorance, de l’aveuglement et du mépris et cela pourrait lui être fatal à quelques mois de son éventuelle réélection (…) Ne vous aventurez surtout pas dans les traces laissées par le président de la République. C’est l’une des pires manières de faire face à la crise. »

 

Un autre aspect de la gestion de crise à la mode élyséenne consiste à susciter des sondages que des titres « amis » reprennent en cascade, sans trop les analyser autrement que celui qui, le premier, les a « communiqués ». Ces sondages-communiqués-de-presse viennent mieux – à bon escient –conforter une partie de l’opinion qu’elle est soit isolée, soit à juste titre grégaire. L’opinion est prise pour des écoliers qui, sur la cour de récréation, comparent leurs chandails et leurs souliers, et veulent tous les mêmes. Les « rebelles » à la tendance dominante qui le peuvent rejoignent le groupe majoritaire, les autres se « marginalisent ».

 

Le problème de ces sondages, c’est qu’ils doivent à coup sûr dégager la tendance dominante espérée. Leur fréquence est d’ailleurs proportionnelle au raffermissement ou au fléchissement de ce flux favorable. Depuis que j’en ai fait état sur Come4News, la consultation d’Expression publique a engrangé, ce 31 juillet, plus de 4 000 réponses. « Donnez votre avis sur l’affaire Bettencourt ! », tel en est l’intitulé. L’interprétation des tendances qui se confirment est délicate. Certes, une majorité qui s’étoffe pense que Éric Woerth a bel et bien reçu 150 000 euros en liquide, que Nicolas Sarközy s’est plutôt « assez mal » (31 %) ou « très mal » (32 %) défendu au cours de son allocution télévisée, et que le maintien au gouvernement d’Éric Woerth n’est « plutôt pas » (64 %) la bonne réponse qui était attendue. De ce point de vue, l’analyse de Christophe Ginisty est totalement validée. La consultation du Courrier Picard, qui donne encore et toujours 81 % de répondants estimant qu’Éric Woerth doit démissionner semble le renforcer…

 

Ce que ne disent pas ces consultations, sujettes à caution mais ni plus, ni moins que les sondages conformes à la méthode des quotas ne portant que sur parfois moins d’un millier d’abonnés téléphoniques « fixes », c’est le pourquoi des réponses. Il faut deviner que les 30 % de répondants se situant de la droite à l’extrême-droite pourraient avoir, pour partie, notamment chez ceux proches de l’UMP, considéré que faire « la part du feu » s’imposait. Donc qu’il aurait mieux valu qu’Éric Woerth démissionne rapidement, ou qu’il le fasse sous peu.  En revanche, on pourrait s’étonner que près de la moitié des répondants ayant exprimé une opinion (43 % sur 95 %, pour tenir compte des non-réponses ou des 4 % de personnes n’ayant été choquées par aucun des faits sur lesquels se prononcer), ont été « le plus choqué » par « la fraude fiscale de Mme Bettencourt (comptes en Suisse, île d’Arros non déclarée ».

 

Je crois pouvoir risquer « l’estimation au jugé » que c’est l’ampleur des faits révélés par une presse si taiseuse sur leur banalité d’habitude (et qui est peut-être, légalement, utilisée par les principaux actionnaires de cette même presse) qui a « le plus choqué ». Inversement, le fait que ceux qui profitent des largesses des évadés fiscaux seraient stipendiés ne choque plus, ou très faiblement : c’est dans la « nature » de la chose publique. Le montant « des sommes récupérées par Mme Bettencourt au titre du bouclier fiscal » choque davantage (42 % contre 39 %) que « l’accusation du versement de 150 000 euros en liquide à M. Woerth pour la campagne présidentielle de N. Sarkozy ». Alors que s’amorce un relèvement de la TVA faisant suite à l’abandon de l’instauration d’une « TVA sociale », c’est très, très gênant pour le gouvernement et sa majorité.

 

Que l’UMP soit stipendiée par les dîneurs du Fouquet’s (revoir la liste, croiser avec leurs participations dans des entreprises de presse), tant bien même cela serait-il erroné, est devenue cause entendue. Rien, pas même l’ampleur d’un remaniement gouvernemental en profondeur n’y changera plus rien. À moins de nommer des personnalités étrangères désignées par l’ONU, on ne voit pas qui pourrait dissiper, par sa présence, cette impression (peut-être Martin Hirsch, pratiquement le seul à n’avoir pas créé de micro-parti). Il s’est produit un effet de vases communicants. Toute atteinte aux retraites, tout relèvement du taux de TVA (alors que celui, minoré pour les restaurateurs, resterait inchangé), passe pour ce qu’ils sont : une volonté de creuser les inégalités. C’est embourbé dans l’impression dominante que Nicolas Sarközy et consorts n’ont pas fait que des petits cadeaux, n’ont pas consenti que de légères libéralités à leurs mandants, que tout gouvernement va se retrouver à la rentrée parlementaire. L’instauration d’une « assurance dépendance » par répartition, obligatoire, pactole pour des assureurs privés (peut-être aussi pour des institutions gériatriques comme la Fondation Condé de Florence Woerth à Chantilly ou les maisons de retraite d’Antoine Gilibert à Compiègne, de manière induite incertaine), est du plus mauvais effet. On peut compter sur la presse dépendant des dîneurs du Fouquet’s pour ne pas forcer le trait. Mais Nicolas Sarközy ne dispose plus des moyens de faire montre, encore moins preuve, de « compassion et d’empathie ». Les caisses sont vides, et l’opinion a compris comment elles ont été vidées. C’est là la vraie dimension du Woerthgate.

 

Le sort d’Éric Woerth, de son épouse, d’Antoine Gilibert, de Liliane Bettencourt, de Banier, des époux de Maistre, n’est pas essentiel. Le Woerthgate, c’est la rumeur qui enfle : remboursez ! remboursez ! Démissionner du gouvernement en conservant ses droits à la retraite de ministre : remboursez ! remboursez ! S’acquitter d’un simple redressement fiscal à l’amiable et discuté entre Patrice de Maistre et Sébastien Proto : remboursez ! remboursez !

 

Il faudra bien davantage que l’habileté de Rumeur Publique, qui lorgne peut-être les marchés d’Image7, d’OpinionWay, et les millions d’euros que le Service d’information du gouvernement confie à des officines proches de l’UMP, pour dissiper cette encore sourde clameur : remboursez ! remboursez ! Remboursez l’argent des retraites dilapidé en multiples frais de gestion de caisses éparpillées à l’extrême. Remboursez le déficit de la Sécurité sociale organisé au(x) profit(s) des diverses fondations et pratiques libérales. Remboursez les fonds de l’assurance chômage dévolus à des officines et des organismes « bidon » de formation.  Remboursez les cessions douteuses du patrimoine national. Les vases ont communiqué, qu’ils communiquent donc encore, mais à l’inverse.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

5 réflexions sur « Woerthgate : les vases communicants… »

  1. [b]je reviens, Jef, pas le temps de le lire ce soir, j’entretiens mes commentaires, et répond à mes interlocuteurs, puis j’attends de la visite, mais vous savez bien que je reviendrai.
    Sara1, prenez le relais si vous êtes connectée.
    merci, on se retrouve très bientôt.

    @mitiés Jef
    Sophy[/b]

  2. Dans cette histoire, il y a la réalité, et la perception de la réalité.
    Imaginons que de Maistre ait piégé Woerth, se faisant suffisamment voir avec lui, plaçant un protégé (Proto) auprès de lui, puis alimentant divers comptes qui n’ont rien à voir avec ceux de l’UMP. Quand Woerth s’inquiète, c’est « qui tient qui par la barbichette ? ».
    C’est un scénario comme un autre, avec Woerth se sentant mouillé, voulant éviter qu’on puisse croire qu’il aurait été ainsi manipulé. Et s’enferrant, et piégeant Sarkozy (qui ne pourrait peut-être pas étaler au grand jour tous les comptes de l’UMP, les siens, &c.).
    Pure hypothèse d’école.
    Maintenant, voyons comme la perception de cette hypothèse passerait dans l’opinion…
    Voyons surtout comment ce qui filtre des apparences est perçu par l’opinion, en l’état actuel des « enquêtes ».
    S’intéresser à la stratégie de com’ de l’Élysée n’est pas superflu.
    On peut d’ailleurs se demander pourquoi ce type de scénario n’a pas été « instillé » dans les gazettes. Parce qu’on ne sait trop qui tient qui par la barbichette ?
    Le total déni est peut-être, en l’état des choses, « suicidaire », mais moins qu’une autre attitude, qui conduirait à d’autres déballages. La stratégie est peut-être un mauvais choix, mais le moins pire de tous…

  3. Dans le cas du « qui tient qui ? », l’affaire de la fédé du PS de l’Oise est peut-être significative… Si la fédé a été piégée par un aigrefin, elle n’allait pas le clamer sur les toits…
    [url]http://www.courrier-picard.fr/courrier/Actualites/Info-regionale/L-expert-comptable-entendu-sur-les-comptes-du-PS[/url]

  4. Bonsoir Jeff (Sophy je prends un court relai).
    Qui tient qui par la barbichette ? Bien que je ne sois qu’une toute petite personne simplement curieuse des dessous de la politique et le professionnel que vous êtes est une mine d’informations pour la satisfaire cette curiosité, je me suis également posée cette question (oh tout simplement parce que c’est « un jeu » que l’on peut rencontrer dans le milieu professionnel et dans le privé aussi)
    Pour vous avouer à quel point j’ai l’esprit tordu parfois, je me suis interrogée à propos de Guaino et de sa litterature pour NS dont on sait qu’en fait celui ci, ne les découvre que lorsqu’il en donne lecture publique, je me suis interrogée dis je, compte tenu de ce qu’il rédige et parfois très surprenant, s’il n’a pas le désir secret de mettre notre bon Président en difficulté permanente, de l’amener à se ridiculiser.
    Bonne soirée ainsiqu’à Sophy.

  5. Bravo pour la profondeur et le côté synthétique de votre article.

    Je le découvre pour la première fois et vais en faire la promotion car la démocratie a à y ganer au-delà de toutes attaques personnelles car les valeurs de notre République se situent au-delà des hommes…avec leurs faiblesses…

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