C’est, comme on le disait du Figaro-L’Aurore (le premier ayant absorbé le second et conservant un temps le titre boulotté), un seul et même titre de presse quotidienne ou hebdomadaire généraliste qui tente de faire croire qu’il oriente l’opinion. La Voix de son Minc, titre générique pour tous, a tout absorbé, en dépit des apparences. Mais certains titres ont leur pudeur, comme en témoigne Le Monde-La Voix qui délègue à sa filiale La Voix-Le Post le soin de dénoncer le voyeurisme morbide afin d’en mieux faire ses choux gras. La même répartition s’observe pour la publicité en faveur des biens « culturels » de consommation courante, ou pour les sondages, formulés de manières modulées selon les supports.


C’est sur le site du Monde-Voix que s’observait, ce mercredi 18 novembre 2009, une « publicité » (là, c’est vraiment le même groupe, et juste un échange comptable) pour le Voix-Post.  Pour faire crédible auprès du lectorat de l’un, on fait dans la sobriété avec un « Peillon a-t-il dit tout haut ce que les socialistes pensent tout bas ? ». Soit d’enjoindre à Ségolène Royal de « penser à ses régionales » (titre de Libération-La Voix et chapeau de Voix-Figaro).  Les régionales, justement, on les prépare, et à coups de sondages. Un chez l’un, l’autre chez le « concurrent », mais c’est en fait le même. Cette apparente objectivité (peut-être que non, que Peillon pourrait être désavoué par les socialistes) jouxte le racoleur « Voyeurisme : il filme après l’accident de Jocelyn Quivrin et tente de vendre la vidéo ». Faute d’avoir du sang Royal ou Peillon pour repaître tout le monde, c’est la mort d’un acteur dans un accident de voiture qui est censé mieux accrocher l’intérêt. Il est vrai qu’on arrive, sur la Voix-Post, à une cinquantaine de contributions ou articles de la rédaction sur le seul sujet du décès accidentel de l’acteur.

 

C’est porteur, et il était temps de relancer avec cette histoire d’automobiliste qui aurait filmé les « horribles » scènes ayant suivi le dérapage. On l’aura sans doute en lien, cette vidéo d’amateur, de même qu’une vidéo des obsèques, car par ailleurs il convient de relever que la version DVD d’Incognito, avec le même Quivrin est « enfin » disponible. Et puis, les flammes dans le tunnel, même si on ne voit pas trop bien l’acteur carbonisé, c’est bien ce que Staragora, site invité permanent du Post-Voix, invite tous ses visiteurs à lui envoyer gratuitement. Mais vouloir le vendre, comme un pro, franchement, là, c’est du voyeurisme, c’est sûr ! Staragora, visiblement source du Voix-Post, voire filiale ou partenaire déguisé,  a une page spéciale « Shootez vos Stars ! ». Elle invite à envoyer les clichés pris « dans la rue, au resto, à la plage, en vacances, en boîte » (de conserve ? de carrosserie en flammes ?) afin qu’ils soient « publiés sur Staragora » et repris sur le Post-Voix.  Et cela donne, sur la Voix-Post « Enrique Iglesias : on a retrouvé son clip hot et censuré ». Ailleurs, chez les mêmes, on trouve cette forte pensée : « On a tous au final un paparazzo qui sommeille en nous. Il y a ceux qui écrivent les torchons et ceux qui torchent leur curiosité malsaine en les lisant. ».  Mais il conviendrait mieux que ceux qui en vivent ne soient pas trop fortement concurrencés par les amateurs. Il en est un peu de même de l’information sur le ouaibe, d’ailleurs, en général, sauf si, bien sûr, les sites sont détenus par les patrons de presse qui vous emploient ou vous règlent des piges…

 

Les sondages sont, avec le voyeurisme, la seconde mamelle de La Voix de son Minc. Mais il y a sondage et sondage et trop de sondages intelligents tueraient le sondage « niais », simpliste, fallacieux, mais efficace à la mode Voix de son Minc. Ainsi de ceux d’Expression publique, boîte de sondage qui sait en concevoir d’à peu près convenables (avec questions presque redondantes pour tester la validité des réponses). Expression publique est une société ayant Le Monde-Voix pour partenaire, et sur son site, on en trouvera dont les résultats et la formulation contrastent beaucoup avec ceux de La Voix-Figaro. Mais un sondage Expression publique pour La Voix-Le Monde diffère-t-il vraiment d’un autre, du type Le Figaro-La Voix ?

 

Pour La Voix-Le Fig, c’est limpide. Il s’agit de préparer l’électorat en vue des élections régionales, de renvoyer dos à dos les somptuaires dépenses du locataire de la Lanterne élyséenne et de ses stipendiés et courtisanes, d’une part, et celles des Royal-Huchon et consorts, sans faire de détail, sans relever les manipulations et transferts de charges, sans même évoquer le chômage qui pèse sur l’action sociale des conseils régionaux, généraux, municipaux. Pour Le Monde-La Voix, on fait un peu plus dans la mesure, il est possible de se déclarer « sans opinion », mais le but reste de sensibiliser l’électorat à la pression fiscale des collectivités territoriales et donc de favoriser l’opposition qui n’est autre que la majorité présidentielle. D’ailleurs, il faut faire passer la réforme de la taxe professionnelle voulue à La Lanterne,  et donc, si ces collectivités qui se plaignent savaient réduire leur train de vie, ce serait indolore pour le contribuable, vous laisse-t-on entendre. Quant à celui du locataire de L’Élysée-Lanterne, eh, il s’explique : on n’attire pas des mouches avec du vinaigre et des émirs ou des Khadaffi avec des fastes au rabais. Lui, il travaille à vendre du travail pour la France et les retombées seront, c’est sûr, pour ces territoires français qui forment l’identité française…

 

Nous avions donc dans Le Figaro-La Voix une seule question (« Les collectivités locales doivent-elles limiter leurs dépenses ? ») induisant sans vergogne la bonne et seule réponse attendue, et dans La Voix-Le Monde une question plus balancée induisant élégamment la seule et bonne réponse convenue d’avance : il serait bon que les collectivités territoriales fassent, elles aussi, preuve de rigueur budgétaire. Restera à faire valoir que les collectivités dirigées par l’actuelle majorité présidentielle ont une lourde fiscalité s’expliquant par les investissements pour favoriser la sécurité et que les autres, dirigées par l’opposition, souffrent des déficits générés par un trop pesant fonctionnement dû à une insécurité favorisée par un laxisme déplorable. Selon la variante Libération-La Voix ou La Voix-Nouvel Obs ou La Vie Française-L’Opinion-La Voix, l’angle sera le même, mais diversement modulé.

 

On sait ce qu’Octave Mirbeau pensait des élections. Dans le cas contraire, il est facile de trouver le texte de sa contribution au Figaro de 1888 et des rééditions libres de droit augmentées de considérations sur les « pourrisseurs d’âmes » que sont les religieux, les politiques, &c.  Bref, c’est du Julien Coupat d’avant l’heure, de l’ultra-gauchisme d’avant Nicolas Sarközy. On sait ce que la critique du « toutes et tous pourris » peut rétorquer à La Grève des électeurs. Ne pas voter, c’est justement faire le jeu des politiciennes et politiciens de profession, qui se partagent le gâteau et se refilent les plats, se ménagent, s’accommodent, se (ré)compensent et se tutoient en coulisses alors même qu’ils s’invectivent en public. Finalement, moins il y a de votant·e·s, plus l’issue est déterminée par les seules clientèles des principaux partis, clientèles formées d’obligé·e·s. Ou, si elle ne le sont exclusivement, composées de gens s’estimant l’être par des promesses de futurs emplois, contrats, subventions, accès au logement, &c. Reste à convaincre, par des publications de sondages préalables, que le résultat est conforme à ce que pressentait l’opinion au sens large. Vous n’avez pas voté ? Oui, mais peu importe : voyez la tendance qui se dégageait. Que vous ayez voté ou non, ce·tt·e candidat·e qui vous déplaisait tant aurait quand même été élu·e. Et vous pourrez vous exclamer une fois de plus « Ah les niais ! Ah les moutons ! Ah ces brebis qui croient payer moins de taxes et d’impôts et qui se feront d’autant mieux tondre ! ».

 

La publicité de La Voix de son Minc ne s’adresse pas à ceux et celles qui font véritablement la majorité de l’opinion mais à celles et ceux qui s’imaginent – et tout est fait pour les bercer dans leurs illusions – jouer déjà, ou tenir demain, le rôle de leaders d’opinion. Soit grosso modo, ceux qui disposent déjà de l’aisance, définie par François Hollande à des revenus de 4 000 euros mensuels, ou qui s’imaginent qu’ils finiront bien par les obtenir ou les frôler avant que Ségala leur reproche de n’avoir pu s’offrir une Rolex avant d’être jetés au chômage. Dans la réalité, qui peut fréquemment s’offrir les « 250 destinations et 3 200 hôtels testés par des journalistes » des offres d’Easy Voyages et La Voix-Le Monde ? C’est quoi les « bons plans » ski et montagne ou mer et festivals ou campagne et détente des « villages de charme » que propose à l’envie l’ensemble de La Voix de son Minc ; qui peut se les offrir ? Plus grand’ monde. Mais du moment qu’on s’identifie un peu à ce cœur de cible, on peut s’imaginer en personnes informées capables d’influencer l’opinion.  D’ailleurs, ce qu’on consomme est imité, puis acheté par de plus démunis. Alors, une opinion… En fait, comme cela ne fonctionne pas tout à fait ainsi, il faut des sondages et encore des sondages ad hoc.

 

Toujours Octave Mirbeau, cette fois supposé échanger divers propos avec Maurice Debroka.

        Mon cher maître, qu’est-ce que vous pensez de l’argent ?

Octave Mirbeau me regarda de côté et s’écria, ironique :

        Pourquoi me demandez-vous ça ? Vous y pensez souvent, vous ?

        On pense souvent aux absents.

La Voix de son Minc, soit les quotidiens et hebdomadaires censés être lus par ceux qui s’imaginent faire l’opinion,  ou le devenir, ou l’avoir suffisamment été et disposer encore de quelques ressources, ne s’adresse pas à un lectorat taraudé par la pensée de trouver comment payer le loyer, le chauffage,  chaque mois, et la redevance télévisuelle une fois l’an. Mais comme ceux-là ne suffisent pas à crédibiliser les tarifs proposés aux annonceurs, il faut gonfler les chiffres du lectorat avec du tout venant. Soit avoir recours à une forme de voyeurisme qui, à défaut de faire vendre du papier, pourrait générer du visitorat sur les sites des titres ou leurs succédanés, leurs ersatz « populaires ».  Ainsi de la filiale « interactive » de La Voix-Le Monde, soit Le Post-La Voix.

 

Le « grand journal de déférence » ainsi que L’Immonde ou Le Monte ou encore CQFD (Ce qu’il faut détruire, développer…) dénomment celui qu’ils pastichent,  ou « Le Vrai Journal des vraies valeurs de la France vraie » comme Brave Patrie pastiche le sous-ensemble plus guindé de La Voix de son Minc, est à la fois un et divers, segmenté. Mais l’ensemble répond à des logiques de groupes qui ne sont pas si concurrents qu’ils le prétendent. Même si on fait pencher Le Monde-Voix un coup vers Lagardère, un autre vers Bolloré, et La Voix-Monde vers d’autres, la grégarité fait que, hormis Le Monde diplomatique resté pour le moment hors du circuit des influences réciproques, c’est ce qui a le vent en poupe qui déteint sur ce qui semble moins attrayant. Et c’est là où les sites des titres – ou leurs avatars , genre Le Post-Voix, ou la Voix-Écrans (pour Libération-Voix qui s’adjoint un site dédié vidéos, tout comme la Voix-Post a le sien) – finiront par fléchir.le_monte.png

 

Après l’audimat, le clicmat, soit la popularité des sujets en fonction du nombre de pages vues, lues, abondamment commentées. Sur Come4News, nous y sommes déjà, en quelque sorte. La prime de visibilité va au plus consulté, et non plus au plus exclusif ou original, avantage le plus commenté, et non plus au mieux commenté, est assumée. Cela peut se concevoir pour un site « coopératif » dont les contributions ne sont pas mieux rémunérées selon des critères de popularité, de rentabilité, si ce n’est exceptionnellement.  En revanche, hors niches et jusqu’à plus ample informé, on n’a jamais vu une chaîne généraliste ne pas finir par se plier à la loi de l’audimat, y compris pour ses journaux d’information. Les quotidiens ou hebdos généralistes, avec leurs sites, peuvent plus ou moins mesurer ce qui fait aussi l’attrait des papiers sur support imprimé.  Quelques dérives supplémentaires sont donc à prévoir… Le nombre de clics déterminera encore mieux la hiérarchie de l’information imprimée, voire la mise à la trappe des idées de sujets peu porteuses.

 

Tenez, pour faire du clicmat, il aurait suffi peut-être de titrer sur « la vidéo interdite », celle qu’aucun site, même « pipeule », ne veut montrer car… elle dévoile la supercherie. Il n’y a pas plus d’acteur mort que de Michael Jackson moribond dans l’ambulance ou de « vrai » Elvis Presley dans le cercueil. Ils ont accepté de passer pour morts histoire de se refaire une vie dorée anonyme et d’assurer à ceux qui la leur assure des revenus substantiels dus au sensationnalisme entourant leur disparition. Avec quelques bons sondages en appui, et tant de la pub privée pour les bolides que de l’institutionnelle pour la Sécurité routière espérée, faut plus se gêner…  On le prendra avec des pincettes dans les titres phares des maisons mères tout en laissant les filiales faire monter la mayonnaise. Puis on pourra démentir et pointer du doigt les suivistes, les hors groupes, hors Voix de son Minc, et se draper dans sa dignité de presse responsable.

 

Après avoir dit que l’Internet, c’était l’enfer, voila que l’enfer devient « les autres », celui des seuls autres. Mais on pourra se demander si, au fond, les autres ne renverraient pas le reflet moins hypocrite, plus cynique, de soi-même. S’interroger en son for intérieur, en tout cas. Parce que, pour l’autocritique sincère, on a compris qu’il ne faut pas compter sur La Voix de son Minc.  D’ailleurs, même si elle admettait quelques erreurs, quelques sondages sauraient en minimiser la portée. Et si, par chance, une personnalité venait à mourir dramatiquement… On ne change pas des formules qui rapportent. Sauf quand il est trop tard ou qu’on vous y contraint…