La Constitution de la Ve République se distingue, par sa durée, de toutes les autres Constitutions écrites qu’a connu la France. Elle a cependant fait l’objet de nombreuses modifications. Dernièrement le rythme de ses révisions s’est accéléré. Au point qu’on peut se demander si nous n’avons pas dérivé, ou ne sommes pas en train de dériver vers un tout autre régime, une VIe République. Certains ne cachent plus leurs souhaits d’une réforme totale des institutions, passant par l’instauration d’une VIe République. Voyons ce qu’il en est.


Commençons tout d’abord par la réforme 2008 des institutions : l’objectif de cette réforme n’était pas de changer de régime, mais de moderniser et rééquilibrer les institutions de la Ve république. Une des principales missions confiées au comité a dont été le rééquilibrage des rapports entre le Parlement et l’exécutif qui, du fait des pratiques du général de Gaulle et de ses successeurs, de l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, n’ont fait que se renforcer au profit du second.  Quand aux pouvoirs du Président de la République, ils demeurent inchangés mais sont plus encadrés. 

 Il ne s’agit donc pas, avec la réforme constitutionnelle 2008, du passage à une nouvelle République et encore moins d’un passage à un régime présidentiel, comme l’auraient souhaité certains membres du Comité Balladur.

Cependant, dans la pratique, depuis le début de mandat de Nicolas Sarkozy, on assiste en effet à un affaiblissement du rôle du premier ministre, au profit du Président de la République, qui donne lui-même l’impulsion déterminante aux décisions gouvernementales, si bien qu’on a parlé d’ "hyper présidentialisation" du régime. Cependant, cette hyperprésidentialisation actuelle de la politique française est encore à nuancer : n’est-ce pas une impression due à l’hypermédiatisation de l’actuel président ? 

 Le devenir du régime de la Ve République, son orientation future, reste donc, plus que jamais floue.

Concernant les critiques faites au régime de la Ve République, l’une des principales critiques est sa dérive vers le présidentialisme, avec un président irresponsable politiquement et qui dispose pourtant de pouvoirs conséquents, permis par sa légitimité politique importante auprès du peuple français du fait de son élection au suffrage universel. Le Président de la Ve République dispose ainsi de la même légitimité que la chambre basse du Parlement, l’Assemblée nationale, élue elle aussi au suffrage universel. En pratique, la question se pose de savoir s’il n’y a pas prédominance de l’exécutif sur le législatif. On peut notamment remarquer que la responsabilité politique du Gouvernment devant le Parlement n’est en fait pas réalisée, puisque sa responsabilité n’est en réalité engagée que devant le Président de la République. Cette coutume a été quasi-insitutionnalisée par la loi consitutionnelle sur le quinquennat de 2000, et la loi d’inversion du calendrier qui a suivi, qui, en faisant en sorte de faire se coïncider les mandats présidentiels et législatifs, ont contribué à mettre l’Assemblée nationale à la botte du Gouvernement. L’autre principale critique faite à la Ve République est la dyarchie de l’Exécutif, particularité du régime français, et l’irresponsabilité du Président de la République. Ainsi, le principal acteur politique de la Ve République, sous couvert de l’onction électorale, gouverne sans avoir aucun compte à rendre, alors qu’il est le seul détenteur du droit de dissolution de l’Assemblée nationale. C’est une dérive présidentialiste qui a fait dire à Bastien François dans Le Régime politique de la Ve République : "les Français […] ne fconfient pas le pouvoir, ils le donnent", ou encore à  Alain Duhamel que nous sommes "la seule monarchie élective de l’Europe des 27".

Enfin, pour ce qui est des propositions, il existe deux camps, celui de la réforme des institutions, et celui du changement d’institutions. Quel que soit le camp, les deux seules voies qui apparaissent sont la voie parlementaire et la voie présidentielle.

Les défenseurs du passage à un régime parlementaire prônent un exécutif où le Premier ministre, issu de la majorité parlementaire au Parlement, serait le détenteur de tous les pouvoirs de l’Exécutif, tandis que le Président de la République ne serait plus doté que de pouvoirs d’arbitrage. Et dans ce régime, il serait nécessairement élu par un mode de scrutin différent de l’actuel. Le Gouvernement serait responsable de ses choix devant le Parlement de façon effective, et le Parlement pourrait le renverser. Cela ferait du régime français un régime "primo-ministériel", comme celui de la majorité des pays européens.

La "Convention pour la VIe République" conduite par Arnaud Montebourg (l’un des leader du Nouveau Parti socialiste, courant du PS)  s’engage dans cette voie parlementaire. Il est l’auteur, avec François Bastien de la Constitution de la VIe République.

Du côté des partisans de l’autre voie, la voie présidentielle, on trouve François Bayrou, qui, en clôture du colloque "Quel Etat voulons-nous ?" le 12 avril 2006, plaide pour une nouvelle Constitution, dans laquelle le Président de la République "détermine la politique de la Nation". Le 30 mai 2006, l’appel des parlementaires UDF proposait la "responsabilité" du Président devant un Parlement dont la légitimité serait "rétablie". Jack Lang est également en faveur d’une présidentialisation du régime. Il se déclare favorable à la "suppression de la fonction de Premier minsitre" dans un entretien débat publié dans le Nouvel Observateur du 29 septembre 2005, afin "d’installer face à face deux pouvoirs, celui du Président et celui de l’Assemblée, deux pouvoirs issus du suffrage universel, élus le même jour et renvoyés en même temps devant le peuple en cas de conflit durable". C’est dans une perspective plus modérée de présidentialisation que se trouvait Nicolas Sarkozy lors de son élection à la présidence en 2007.

La politique actuelle a choisi la voie de la réforme, plutôt que la voie de la rupture, comme en a témoigné la réforme des institutions de juillet 2008. Mais cette réforme a été plus un changement de "façade" qu’une véritable rénovation des institutions. Il est clair que pour ses détracteurs, les problèmes de la Ve République restent inchangés. Cependant, la volonté de rupture totale est bien plus une question politique qu’une question organisationnelle, et la longévité et la souplesse de la Ve République laisse espérer qu’une amélioration du régime par des réformes importantes sera possible dans le futur, sans devoir en passer par le passage à une VIe République.