C’est « le » débat sociétal du moment dans la presse britannique. Andrea Charman, professeure principale d’une école du Kent, Lydd Primary School, a préféré jeter l’éponge et démissionner de son poste à la suite d’une vaste pétition demandant son renvoi. La raison ? Un agneau élevé à la ferme éducative de l’école devait être abattu et sa viande vendue. Marcus, l’agneau, n’a pas survécu, Andrea Charman, la professeure, cherche un autre travail.

 


Il est grand temps d’expurger tous les livres d’école et autres de toute référence à la consommation de viande animale (sic). Et par « viande animale », incluons celle des poissons, des insectes, des fœtus d’animaux, et même le lait maternel des mammifères en général. Bible et Coran doivent être mis d’urgence à l’index, voire être voués aux autodafés. Agnus Dei, qui tollis peccata mundi, sacrifié par Andrea Charman, prends pitié de nous ! Et vouons aux flammes de l’Internet ici-bas Andrea Charman avant de lui réserver celles de l’Enfer…

 

En Grande-Bretagne, il s’est même trouvé des fermières et fermiers « célèbres » pour se joindre au concert d’invectives et de menaces visant Andrea Charman, professeure principale d’une école primaire du Kent, dans la région produisant des moutons de type Romney. Non seulement était-il réclamé sa démission, mais aussi qu’elle ne puisse plus jamais enseigner nulle part, voire que l’école toute entière soit brûlée pour effacer toute trace de l’ignominie.

 

Pour des raisons estimées « purement mercantiles » par les pétitionnaires, Andrea Charman avait débuté un programme « d’enseignement de la violence envers les animaux » en créant une ferme d’élevage. Les enfants étaient « exploités » et devaient eux-mêmes nourrir les animaux. De plus, manipulés par les « éducateurs dévoyés », ils avaient été « persuadés » d’acquiescer à leur « ignoble » sort : finir électrocutés et dépecés. Le conseil de l’école, qu’ils composent, avait voté à 13 contre 1 (un enfant, un jeune adulte, on ne sait…) pour la mise à mort de Marcus, l’agneau. On le sait, cela commence par la cruauté envers les animaux, et cela finit par des homicides… C’est en tout cas ce qu’on peut lire ça et là en ligne.

 

Andrea Charman s’est abritée derrière des prétextes éducatifs : selon elle, les enfants croient que les rats produisent le fromage, que le lait est un produit végétal ensaché après sa sortie de terre, et toutes sortes de conceptions véhiculées par des spots télévisés de l’industrie alimentaire pourvoyeuse de cadavres d’animaux torturés. Il fallait que le scandale cesse ! Faire nourrir des animaux par des enfants puis les destiner au trépas va à l’encontre des prérogatives éducatives des parents nourrissant leurs enfants exclusivement au pâté végétal et au lait de soja.

 

Bien sûr, il s’est trouvé des personnalités des médias, stipendiées peut-être par le lobby des abattoirs, pour considérer que des « cyber-fascistes » avaient « égorgé » une enseignante (The Times, sous la plume de Rod Liddle, de la BBC, a titré « The cyber-fascists slaughtering a decent teacher »). Jayne Trudy (mailto:[email protected]) cyber-fasciste ? L’accusation est ignominieuse ! Georgina Alflatt, du groupe Facebook « I Hate private Number calls », dont on peut espérer qu’elle s’est contentée de saturer le central téléphonique de l’école de Romney Marsh et non les téléphones privés d’Andrea Charman, une fasciste ? Il y a des jeunes UMP qui ont intenté des procès à des maires socialistes pour moins que cela… Françoise Sannier, du groupe « Sauvez un chat et un chien en envoyant par SMS le mot SAUVE », nazie peut-être ? Jordan Campbell, membre des groupes « You’re the sperm your mother should have swallowed » et « I love you, but I want to smash your head against a wall » ou « your skirt is so far up your arse… but then again, so is your personality » et de près de 3 000 autres groupes, une chemise brune ? La liberté de la presse a ses limites, on ne peut écrire n’importe quoi, même en ligne…

 

Il faut cesser de répandre n’importe quoi et si toutes les anciennes conquêtes de Brigitte Bardot se mettaient à faire état de leurs bonnes fortunes, l’obligeant à chaque fois de réclamer publiquement le droit à l’oubli, ce serait du harcèlement. Pour Claude Autant-Lara, l’action judiciaire n’est plus possible car éteinte du fait de sa disparition : il avait pourtant exprimé sur son actrice des vues un peu plus corsées que les propos de Patrick Balkany .

 

Andrea Charman a cessé ses fonctions le 11 février, après six mois de campagne soutenue (« vitriolic » selon le Daily Mail), que sa fille, Ruth, voit enfin cesser avec un réel soulagement (sa mère en avait fini par somatiser, tant du fait de menaces de mort que des excréments et déjections qu’elle recevait par la poste).

 

On peut approuver ou désapprouver l’initiative d’Andrea Charman. Une mère d’élève, végétarienne, lui avait d’ailleurs apporté son soutien, tout comme la majorité des parents de cette école. Deux parents d’élèves, et c’est leur droit, ont retiré leurs enfants de l’école mais ils n’ont pas incité leurs enfants à utiliser des méthodes rôdées par (ou plutôt « pour ») les jeunesses hitlériennes ou les gardes rouges. Car on peut se demander quelle éducation reçoivent ou recevront les enfants des Jayne Trudy, Georgina Alflatt, Françoise Sannier, Jordan Campbell et les milliers d’autres qui se sont mobilisés pour faire en sorte qu’Andrea Charman ne puisse jamais plus enseigner. Certes, ces enfants seront, on peut l’espérer, respectueux des animaux. Souhaitons vivement aussi qu’en cas de désaccords ultérieurs avec leurs parents, ils n’utilisent pas contre eux les méthodes qui leur ont été inculquées.

 

Loin de moi l’idée de vouloir défendre à tout prix tout membre du corps enseignant. Des enfants réellement traumatisés par des enseignants, cela a existé, existera sans doute encore. De même, la surconsommation de viandes, de chairs d’animaux marins, et les conséquences qu’elle implique pour la santé humaine, y compris la santé mentale (pollutions excessives, élevages industriels pathogènes, cruautés envers les animaux, &c.) ne pose pas que des problèmes éthiques devant être réservés à l’appréciation de la conscience de chacun. L’action collective remettant en cause les désordres établis n’est pas, en soi, condamnable. Ma propre conception des droits des animaux fait que, ne disposant pas de la propriété de Brigitte Bardot ou des aquariums de la famille Grimaldi, je n’ai ni chien, ni chat, ni poisson rouge, et pour mes acariens, ma foi, tant qu’ils ne me dérangent pas trop…

 

Je serais sans doute dans les premiers à protester si mes futurs petits-enfants devaient, en classe, nourrir un hamster dans une cage. J’estime en revanche que si la dissection de grenouilles ne s’impose plus, jamais la visualisation en 3D d’anatomies humaines ne dispensera les futurs chirurgiens de celle de dépouilles, activité fort longtemps condamnée par des églises chrétiennes. Je ne crois pas en revanche qu’avoir, enfant, eu pour aire de jeux le jeudi des abattoirs municipaux m’ait mieux ou plus mal préparé à me retrouver, préadolescent, confronté à la mort d’humains, puis devenu jeune adulte, à la vue fréquente de cadavres, d’accidentés, de polytraumatisés, enfants et adultes, &c.

 

Avoir, très tôt, constaté le sort et le traitement que des Françaises et Français réservaient aux immigrés, celles et ceux massacrés au métro Charonne, puis leur attitude à l’égard des pieds-noirs sans ressources et de leurs enfants,  ne me pousse pas à établir des comparaisons entre ce qu’a pu subir Andrea Charman et ce qu’ils ont subi. Il est des effets de plume trop faciles dont il faut se préserver. La rétorsion à l’égard de celles et ceux qui ont poussé Andrea Charman a changer de vie pour préserver sa santé, voire sa vie, serait non seulement stupide, vile notamment à l’égard de leurs enfants, mais sans doute contreproductive. Sans prêcher le laxisme pour l’intolérance, préservons-nous d’utiliser les mêmes méthodes aux mêmes fins ne justifiant pas les moyens. Mais certains comportements doivent être dénoncés pour ce qu’ils sont et effectivement. On peut se demander si certains sites ou espaces appelant à signer des pétitions sur l’Internet ne tombent pas dans la catégorie juridique de ceux « incitant à la violence ». L’Afa (association des fournisseurs d’Internet), en a dénombré, entre 2008 et 2009, plus de 30 sur les 300 signalés « incitant à la violence ou au suicide ». Sans tomber dans la traque systématique et la dénonciation de toute expression choquant nos propres convictions, on peut se demander si avoir laissé Andrea Charman confrontée à de tels assauts concertés ne relevait pas de la non-assistance à personne en danger.

 

Pour Marcus, l’agneau, comme pour ses congénères, dont l’exploitation intensive ruine les ressources de populations incitées à fournir de la laine à bas prix à des industriels peu soucieux du devenir de leurs fournisseurs, il est peut-être d’autres priorités.

 

Je reconnais au moins une qualité à Brigitte Bardot : elle use désormais ses chandails jusqu’à la corde. Pour le reste, la meilleure façon de diminuer la consommation de viande de cheval consiste à en élever beaucoup moins… et en exhiber moins sur des plateaux de télévision (cas de Jappeloup, animal « fétiche » de la Fondation Brigitte Bardot). Les animaux ne sont pas des fétiches, et celles et ceux qui, comme Andrea Charman, ont d’autres vues que celles des défenseurs à tout crin des animaux, n’ont pas à être transformés en poupées vaudou qu’on épingle en souhaitant les voir dépérir.