Une cartographie des nuages dégagée


Derrière ce nom fleurant bon le roman de science-fiction, susceptible d’offrir aux lecteurs une virée fantastique dans des contrées lointaines et aériennes, faisant fi de l’apesanteur et des contraintes terrestres, se cache la dernière fantasmagorie du frère et de la sœur Wachowski, épaulés par Tom Wycker. Car oui, exit Larry, welcome Lana, un des deux frangins s’est transformé en femme. La tâche était ardue tellement leur dernière réalisation, Speed Racer en 2008, a été un échec retentissant, le film a foncé tout droit vers la sortie de route, loupant le virage et se vautrant dans le ravin. (à peine 112.000 entrées en France, pas mieux à l’international). Afin de renouer avec le succès, après la trilogie capilo-tractée Matrix, ils se sont attelés à l’adaptation du livre éponyme sorti en 2004 et signé David Mitchell. Alors le pari est-il réussi ?


Mon humble avis d’amateur de 7ème art pencherait pour un « oui » franc et massif. Cloud Atlas est une œuvre qui ne peut laisser indifférent, le genre de film que l’on adore ou que l’on déteste. Nous avons devant nous un puzzle, un jeu se déroulant au fur et à mesure que les minutes avancent et où nous sommes les heureux spectateurs. Le film est inracontable dans son ensemble, pour en tirer une narration il faudrait une boussole afin de pouvoir naviguer entre les 6 histoires dispatchées aussi bien dans le temps que dans l’espace.


Six sketches aux tons différents, si on berce dans le polar avec l’enquête de Louisa Rey (Halle Berry) dans les années 1970, dans la romance impossible au cœur de l’Angleterre des années 1930 avec le jeune pianiste prodige torturé mentalement, Robert Frobisher (Ben Wishaw), dans la comédie avec l’infernale histoire de M.Cavendish (Jim Broadbent), dans l’aventure avec la traversée du Pacifique du jeune juge malade Adam Ewing (Jim Sturgess) en 1849, nous sommes belle et bien dans la science-fiction quand nous visionnons l’éveil existentiel de Somni (Doona Bae) à Neo Seoul en 2144 ou l’histoire de Zachary (Tom Hawks) au sein d’une société post apocalyptique retournée à un âge attardé en 2300.


Les réalisateurs ont opté pour une mise en scène audacieuse, faire s’entrecouper les différents parcours pour ne pas passer par une suite classique qui les auraient alternés. Cela est une réussite car, adopter cette forme donne au film un rythme soutenu et nous gardons en mémoire chaque élément. De nombreuses scènes se répondent comme la surface réfléchissante d’un miroir. A l’exemple de la course poursuite en Corée où les deux amoureux se font canarder par les forces loyalistes mise en écho avec l’épisode de l’escalade où Halle Berry et Tom Hanks s’entraident. Deux instants forts en suspens débouchant sur une avancée fondamentale du scénario. On apprécie la symbolique.


Les yeux sont choyés par ce film  esthétique et les oreilles sont chouchoutées par la musique omniprésente, opérant comme une berceuse. Parmi les sujets évoqués, nous restons dans des thèmes récurrents, le fait d’être prisonnier d’un système, d’une famille, d’une maladie, de l’envie de briser les codes, les protocoles, de religion où comment des personnages sont mystifiés et bien sûr, de l’amour (interdit ou non), celui capable de nous donner des ailes et permettant de triompher de l’adversité. Sans oublier l’accent mis sur les vies antérieures, tous les faits comptent, si anodins soient-ils, ils peuvent avoir des répercussions bien des années et bien des distances plus tard ou plus loin.


On remarque également qu’un grand effort a été fait sur les décors, les costumes et les maquillages. Aux pinceaux, la même équipe qui a œuvré sur Matrix.  Les acteurs en jouent, ils se griment, se transforment, vieillissent ou rajeunissent, deviennent femme ou homme (un souhait de Lana, voulant en faire un symbole de tolérance et de liberté). Le film est une ode à la vie montrant que chaque personne à son rôle à jouer dans le théâtre de la vie. L’histoire même de la création du film est un effet papillon car nous n’aurions certainement pas eu cette œuvre si Nathalie Portman n’avait pas donné le roman à Larry, un jour sur le tournage de V pour Vendetta.