La notion de parti est très différente dans le paysage politique français : personne morale et historique à adorer pour les uns, simple outil pour leur promotion personnelle pour les autres. Dominique de Villepin bouleverse une tradition bien ancrée chez les gaullistes. Pour lui, désormais, il faut faire vivre l’UMP pour elle-même. De quoi sourire.

Une réflexion déjà ancienne me faisait remarquer qu’il y a une différence essentielle entre les partis de gauche et les autres.


La gauche pour qui un parti, c’est important

Les partis de gauche, que ce soient le Parti socialiste, le Parti communiste français ou même des groupuscules d’extrême gauche comme la LCR ou Lutte ouvrière, sont des personnes morales à part entière, et souvent, le discours de leurs dirigeants et de leurs militants, que ce soit hypocrite ou pas d’ailleurs, est tourné vers l’intérêt du ‘parti’, son devenir, sa grandeur, son unité etc. Sorte de divinité laïque et politique.

C’est d’ailleurs ce qui a conduit François Hollande, que je pourrais nommer le ‘Guy Mollet du nouveau siècle’ à réussir là où tout le monde croit qu’il a échoué : dans la direction du Parti socialiste. Son objectif (voire sa mission) était de préserver l’intégrité du PS, son unité, son rassemblement, et d’éviter tout risque d’éclatement (éclatement qui pourrait faire le jeu à la fois du MoDem de François Bayrou et des altermondialistes d’Olivier Besancenot).

Et en ce sens, François Hollande a merveilleusement réussi malgré les anciens clivages entre vieille gauche et gauche moderne (seconde gauche de Michel Rocard) et surtout malgré les risques énormes depuis le clivage du TCE de 2005 et les primaires pro- ou anti-Ségolène Royal de 2006.

D’ailleurs, aujourd’hui, les leaders du PS ont tellement peur de risquer l’éclatement que recommence ce qui s’est déjà déroulé après la défaite de Lionel Jospin en 2002, à savoir une opération escargot : le statu quo et l’absence d’audace pour avancer à découvert, pour se lancer dans une candidature à l’élection présidentielle (Nicolas Sarkozy, dès 2002, n’avait pas eu de scrupule à se considérer déjà comme candidat).

Une droite et un centre pour qui, un parti, c’est un simple moyen

Si le fonctionnement du Front national n’est pas très clair (les militants FN semblent beaucoup attachés au FN et pas seulement à son unique leader Jean-Marie Le Pen) ni non plus celui du MoDem (beaucoup de militants ‘démocrates’ sont parfois plus attachés à ce nouveau parti qu’à son leader François Bayrou), il reste évident, sans faire plus d’analogie (puisque les options politiques y sont diamétralement opposées), que ces deux partis ont été construits pour la promotion de leur seul leader.

À droite et au centre droit, la tradition est également ancienne avec le RPF, puis l’UNR, l’UDR, rassemblement des gaullistes derrière la personne du Général De Gaulle.

Le RPR, fondé en décembre 1976, a été également une machinerie orchestrée pour l’unique promotion de Jacques Chirac (le RPR était resté irréductiblement fidèle à Jacques Chirac lorsque Édouard Balladur était au plus haut dans les sondages en 1994) et si l’UMP, fondée en avril 2002, devait être l’outil promotionnel du dauphin officiel, du fils aîné de Jacques Chirac, Alain Juppé, elle s’est transformée très vite, dès décembre 2004, en artillerie pro-Nicolas Sarkozy, le dernier fils du Président, celui qui réclame sans arrêt qu’on s’occupe de lui et qui se sentait délaissé, trop agité et indiscipliné, trop enfant terrible.

Quant à l’UDF, rassemblement initialement confédéral (au fonctionnement impossible !) fondée en 1978 pour la sauvegarde (ratée) du Président Valéry Giscard d’Estaing, elle est vite devenue, après 1981, un parti de notables sans grand leader (l’erreur par exemple de Raymond Barre ayant été de ne pas avoir créé son propre parti en 1985 comme lui avaient proposé ses lieutenants Charles Million et Philippe Mestre), qui n’était finalement qu’un ‘syndicat d’élus et de réélus’ bien commode jusqu’à ce qu’en 1998 et la désignation de François Bayrou à sa tête où l’UDF opéra la fusion de ses composantes et était devenue un outil à la promotion exclusive de François Bayrou.

La création du Nouveau Centre dès juin 2007 a adopté la même démarche que l’UDF des années 1980, un syndicat d’élus sans leader mais confortable pour éviter l’enrégimentement de l’UMP tout en assurant les réélections.

Les radicaux de gauche du PRG sont dans la même logique que l’ancienne UDF et les Verts demanderaient sans doute un examen plus approfondi car il n’y a pas de leader mais l’appartenance au parti semble très diversifiée, à tel point que certains, comme Jean-Luc Bennahmias, l’ont quitté pour d’autres partis (le MoDem pour Bennahmias).

Patriotisme ou pas de parti

Il va donc sans dire que peu d’adhérents des partis de droite et de centre droit, et les dirigeants en premier lieu, ne cultivent ce ‘patriotisme de parti’ si fréquent et si cher à gauche.

C’est sans doute l’une des raisons de la sclérose du Parti socialiste (je ne parle même pas du Parti communiste français), la peur de refonder ce parti, celui de Jaurès, de Blum, de Mitterrand et de Jospin, de casser son identité historique.

C’est donc avec une grande surprise qu’on a pu entendre Dominique de Villepin le 6 avril 2008 sur Canal Plus.

Dominique de Villepin, un général sans armée et sans guerre

Dominique de Villepin ne représente plus grand chose politiquement. Il l’a d’ailleurs avoué, il n’envisage aucun avenir politique sérieusement. C’était un peu le second fils de Jacques Chirac, celui, docile, loyal et fidèle, qui devait remplacer au pied levé Alain Juppé tombé dans une disgrâce à la fois judiciaire et d’impopularité.

Il n’a jamais été élu de nulle part. Pire, il a toujours montré beaucoup de suspicion voire de médisance vis-à-vis des élus, et notamment des parlementaires.

Un homme plutôt serviteur de l’État, technocrate, de cabinet (Secrétaire général de l’Élysée de Jacques Chirac avant d’être son ministre).

Érudit, intelligent, cultivé, passionnant, littéraire, fougueux, Dominique de Villepin est, par certains côtés, très attachant. Séducteur.

Mais politiquement, la pertinence n’était pas forcément son atout même si son discours historique à l’ONU contre la guerre en Irak avait relevé sa popularité : la dissolution de l’Assemblée Nationale du 21 avril 1997 et son incroyable entêtement dans l’affaire du CPE en mars 2006 ont montré les grandes limites de l’homme politique qui, pourtant, à la fin de l’été 2005, avait surpris et avait réussi à prendre un ascendant sur Nicolas Sarkozy en se présentant presque comme le vice-président au moment de l’accident vasculaire cérébral de Jacques Chirac.

Donc, maintenant, Dominique de Villepin est un homme seul, blessé même par l’affaire Clearstream, une affaire qui est loin d’aboutir (les affaires cassent de nombreuses vies politiques : Charles Hernu, Laurent Fabius, Alain Juppé… il faut s’appeler Clemenceau pour se relever du scandale de Panama !), sans crédibilité ni politique ni élective.

De Villepin, sauveur de l’UMP ?

Et que dit-il ?

Qu’il aurait « préféré un électrochoc » à la tête de l’UMP.

Et là, on commence à sourire. Dominique de Villepin explique le plus sérieusement possible que jamais l’UMP n’a été aussi bien dirigée que pendant la période où Nicolas Sarkozy avait été son président, entre 2004 et 2007 : « Nicolas Sarkozy, comme président de l’UMP, a montré ce que devait être un président de l’UMP. ».

Or, à l’époque, l’indépendance de l’UMP avait même un but : s’opposer à Dominique de Villepin et à Jacques Chirac.

C’est donc très hypocrite de la part de la principale victime de dire maintenant que Nicolas Sarkozy est son modèle !!

Mais le pire, c’est que Dominique de Villepin semble montrer (faussement évidemment) un véritable patriotisme pour ce parti qui n’est qu’une auberge espagnole : l’échec des élections municipales aurait dû aboutir à « tirer les leçons d’une UMP qui n’existe pas suffisamment. ».

On croit donc rêver : entendre Dominique de Villepin faire de l’UMP une personne morale à part entière qu’il faut chérir (comme dans la tradition de gauche) et prendre Nicolas Sarkozy en exemple de président de parti.

Des propos pas sans arrière-pensée

L’arrière-pensée est toutefois vite dévoilée : « Il n’y a pas à sa tête de président élu par l’ensemble des militants. (…) Je crains que cela ne s’impose à nous dans le cours du quinquennat. », poursuivant ainsi : « Si l’UMP veut être aussi forte qu’elle l’a été à l’époque où j’étais Premier Ministre, ça implique de l’indépendance, de l’imagination, de la vitalité. ».

Mais la question que devrait se poser Dominique de Villepin est plutôt : l’UMP veut-elle être aussi forte qu’avant 2007 ?

En supprimant le président élu par les militants qu’il avait lui-même contribué à imposer, Nicolas Sarkozy a clairement répondu à la question : non, l’UMP doit être inexistante pour lui permettre, lui, de continuer à exister, mais à l’Élysée. Il ne peut se permettre d’avoir, hors du pouvoir, un éventuel rival en interne. Il n’a pas tort. Tout le monde ne s’appelle pas François Mitterrand ou Jacques Chirac. Un leadership chèrement acquis n’est jamais acquis définitivement. Nicolas Sarkozy refuse de laisser tout au hasard.

Autre proposition de Dominique de Villepin, un véritable serpent de mer à l’UMP, la formalisation de courants, « sans doute la meilleur réponse dans un parti qui se veut démocratique, ouvert et moderne ».

En 2002, Alain Juppé y était défavorable (les courants ne permettent pas une caporalisation complète). Mais Nicolas Sarkozy, qui était contre le principe même de la fusion du RPR et de l’UDF dans l’UMP, avait réclamé ces courants afin que chacun pût s’y retrouver (et notamment lui) : les gaullistes, les souverainistes, les libéraux, les centristes, les radicaux etc.

Tout est une question de perspective. Devenant président de l’UMP, non seulement Nicolas Sarkozy oublia sa volonté de faire des courants, mais les chiraquiens commencèrent à trouver l’idée intelligente !…

Une idée derrière la tête ? celle d’exister encore ?

Alors, pourquoi de tels propos de la part de Dominique de Villepin ?

Cache-t-il une secrète ambition de reprendre le flambeau, de récupérer l’UMP et de monter sa propre écurie pour 2012 ?

Ou finalement, n’est-ce là que l’illustration d’un romantisme politique qui laisse de côté lucidité et réalisme pour ne bâtir que des nouveaux moulins ? Une nouvelle preuve d’illusionnisme médiatique ?

Dans ce cadre, force est de constater que Don Quichotte ne manque pas d’élégance.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (11 avril 2008)

Pour aller plus loin :

L’émission Confidences+ sur Canal Plus le 6 avril 2008.