Ce n’est sans doute pas par excès de dévotion que Slah Ennouri, de la Sotupresse, la messagerie de presse tunisienne, a pris, en concertation avec les services des ventes des revues, de ne pas distribuer deux éditions du Point (portant sur l’existence d’un dieu) et de L’Express (traitant des populations arabes). Cette « censure » (ou autocensure) visait sans doute à ne pas voir des kiosques incendiés, ou des manifestations encore plus dommageables à l’image de la nouvelle Tunisie.

Dans la Tunisie de Ben Ali, il n’y avait pas que Le Canard enchaîné à être frappé d’interdiction d’entrée sur le territoire.
D’autres titres, sporadiquement, étaient visés. Quand à l’Internet, il était contrôlé.
Come4News fut l’un des premiers sites généralistes à être frappé de censure de la sorte.
Amar 404 (la censure) frappait.

Là, rapporte Jeune Afrique, Slah Ennouri, en mars dernier, était confiant : la censure appartenait au passé.
Place donc, à l’autocensure pour ne pas créer des tensions, envenimer le climat que font régner des islamistes radicaux, qui bénéficient de la tolérance des pouvoirs publics actuels.

On se doute pourtant bien, même sans les avoir lus, que L’Express ou Le Point n’ont pas, dans leurs éditions respectives de décembre, joué les boute-feux.

Eh, Fly with Emirates
Par ailleurs, leurs groupes respectifs peuvent fort bien publier des suppléments publirédactionnels payés par des pays du Golfe, voire par le Maroc : cela s’est déjà vu.

Dieu sur « Tunis-Surface »

Ayant fait un numéro courant avec un grand « Dieu existe-t-il ? » en titre de couverture, Le Point avait aussi créé un supplément « Questions et réponses sur l’existence de Dieu », un numéro double. La « catho et clubbeuse » Frigide Barjot y estimait que son dieu aimait les dancefloors. Le rappeur Abd Al Malik, y confiait que « Dieu est tout ». Rien de bien iconoclaste. Comme l’avait calculé Faustroll, dieu est le point tangent du zéro et de l’infini (et sa surface est égale à zéro racine de zéro). Ah, mais, aussi, le prophète des mahométans était représenté. Mais non caricaturé. Cela suffit, c’est une insupportable atteinte à la « vraie » foi musulmane, selon ses éléments les plus radicaux. Mais ce numéro du Point avait été interdit de vente en Algérie, d’où le principe de précaution tunisien.

Pour L’Express,  sa diffusion avait été interdite au Maroc où, à présent, c’est le hors-série de janvier intitulé « Les Arabes » du Nouvel Observateur qui ne peut être diffusé hors de Ceuta et Mellila. Là, c’est une décision royale. Au prétexte qu’il y aurait eu une représentation du même Mahomet. Faux, a rétorqué Claude Weil, de L’Obs. L’Express, lui avait osé faire un 95 pages sur l’islam, ses diverses composantes, ses divisions, ses dérives. Sulfureux. La Tunisie a suivi. En loucedé…

En fait, les chiites représentent le prophète Mahomet. Concurrence. Slah Ennouri a confié à Jeune Afrique : « s’agissant de représentations, les réactions auraient été telles que j’ai préféré éviter de provoquer des censures de tous bords. Cette décision, surtout citoyenne, a été très bien comprise par des journalistes et la profession. ». Ben voyons. Encore un effort pour être plus compréhensif encore. 

En revanche, le communiqué de la Sotupresse dit bien ce qu’il veut dire : « Par respect aux valeurs sacrées de l’islam et du peuple tunisien, la Sotupresse n’aurait pas distribué les deux numéros en question, parce qu’il y a atteinte inacceptable à la religion musulmane. ». Un discours pour l’intérieur, un autre pour l’extérieur.

Et c’est bien en fait le même Ennouri qui a bloqué la diffusion. Pourquoi donc les services d’expédition auraient tenté d’acheminer leurs numéros par avion ? Pour leur faire prendre l’air ? L’Express (un millier de copies) avait pris place à bord du vol TU725 le jeudi 22 décembre, rapporte Kapitalis. Mais la Sotupresse ne l’a pas trouvé à l’arrivée. Parachuté ou flanqué à la trappe par l’équipage ? La question mérite d’être posée à M. Ennouri : [email protected].

Bientôt, ce seront des publications tunisiennes qui ne parviendront pas aux kiosques et leurs vendeurs à la criée seront rossés.
On reprend les mêmes ?
Sotupresse est une filiale de Presstalis. Cette société diffuse au Maroc, en Tunisie, dans des ex-DOM-TOM, à Madagascar et en ex-Afrique Occidentale française. Que pense Christian Carisey, de Presstalis, signataire d’un appel pour investir en Tunisie et « dans la démocratie », aux côtés de Dominique Aguessy, Sonia Bahri-Gaïsset, Pierre Bekouche, Xavier Beulin (FNSEA), Alain Blandin (Carrefour), Michèle Breton (HEC Montréal), et de nombreuses autres personnalités ?

Certains anciens benalistes se font pousser la barbe et se surpassent en tartuferie. Verra-t-on les soutiens internationaux de Ben Ali se transformer eux aussi en thuriféraires du nouveau régime, certes démocratiquement élu (après tout, Napoléon III le fut bien lui aussi, ou Moubarak…).

Monique Cerisier-Ben Guiga est sénatrice (des Français hors de France). On devrait lui poser aussi la question : faire mieux avec Ennahdha que Michèle Alliot-Marie avec le clan Ben Ali ?

Nicolas Beau signe l’édito de La Lettre du Sud. Laquelle – incise, qui a quand même quelque chose à voir – signale que Bechir Salah, ancien kadhafiste en vue, est très bien reçu en France. Les affaires sont les affaires, et les Sarkozi, Juppé, Bernard-Henri Lévy, après quelques déclarations lénifiantes, prendront la nouvelle Tunisie comme elle est.

Tolérance de maison close

Petit extrait de l’édito de Nicolas Beau pour qui ne se reporterait pas à l’original : « un des plus zélés propagandistes de la Tunisie de Ben Ali à Paris et patron des hôtels Sango, Hosni Djemmali, a retourné sa veste avec un culot et une indécence rarement égalés. (…) Via son association Échanges franco-tunisiens ou encore grâce au groupe Femmes de Méditerranée, cet homme hospitalier a multiplié pendant un quart de siècle, et avec brio, les rencontres entre élites françaises et tunisiennes, célébrées dans Tunisie Plus, le magazine sur papier glacé qu’éditait ce généreux mécène. (…) Il faut lire la prose de ce délicieux imposteur dans le dernier numéro de son illustre revue, Tunisie Plus… ». C’est un cirage de pompes à l’égard nouveau modèle de démocratie. Tunisie Plus ne va tarder à publier des entretiens d’hommes politiques, des médias, des milieux universitaires, et autres, français. Prière de bien vanter le nouveau modèle…

Le grand argument des Tunisiennes et Tunisiens favorables au nouveau régime, c’est : laissez donc la Tunisie tranquille, mêlez-vous de vos affaires. Certes. Eh bien, que le nouveau régime commence donc par laisser tranquille la presse française. Car, cela, Tunisiens d’origine devenus français et autres, ce sont nos affaires. Non ? Ou si la Tunisie veut se transformer en maison close, qu’elle le dise : on ira voir ailleurs.