TUNISIE INSOUMISE
Par
SONIA .D

Dans les profondeurs de ma mémoire, la Tunisie à la chaleur du lait maternel, aussi incroyable que cela puisse paraître pour d’autres, pour nous tunisiens, peut-être parce que nous sommes un petit peuple, parce que nous sommes le fruit adultérin de tant et tant d’HISTOIRES, cela coule de source, de toute source de vie.
Les drames et les violences de ce que la réalité de ce pays au jour d’aujourd’hui charrie , incessantes menaces de l’enfer sur terre , c’est dans l’exil qu’ils m'ont été transmis , comme une offrande , je dois me soumettre à leurs folie , vivre avec , ou les combattre , il s'agit presque qu'avant que d'être , de choisir , choisir entre la dignité ou la soumission , pas de nuance , les nuances sont faites pour les Hommes libres. Je vis le coupable besoin de toujours et à jamais, de les transgresser et l’indicible douleur de ne pas pouvoir m’en affranchir , coupable parce que je sais que mes actes , mes paroles , mes choix humains donneraient de la matière à l’horreur de violer , torturer , et même tuer des tunisiens en Tunisie, qui n’ont avec moi que de simples rapports de filiation , à ma place , ils seront maltraités et réduit en esclavage , mes grand parents , mes cousins , mes oncles , mes tantes et mes amis , ces méthodes maffieuses , je n’ai aucune honte de le dire , ont une prise incroyable sur moi , tout se passe hors de mon être selon le rythme d’un constant balancier, des fois quand même, la dignité se fait fièvre et je me saisis l’espace d’une folie du droit de vivre ma vérité , tout en me demandant sans cesse si j’en avais la légitimité , sous les huées chaotiques des centaines de sans voix , sans souffle des emmurés.
ICI l’école républicaine , la rue républicaine et citoyenne et le conditionnement emphatique de mon enfance ,et jusqu’à ce jour, le ridicule de ce leurre qui tient la France et 60 millions d’individus debout malgré tout ,cette devise qui fait pleurer pour de bon…des fois de rire , disons jaune pour être plus juste, "liberté , égalité , fraternité », la marseillaise et tout la paradoxe des parodies , je suis fière, quand je vois des nègres ou des arabes debout , au garde à vous devant ces fantôme d'un empire ignoble , parce que la révolution, parce que les droits de l'Homme, parce que l'esprit de Voltaire, sont au-dessus de tout cela, tout cela me soulève, je me dis que je peux ne pas totalement désespérer de la Tunisie , et que décidément la connerie est la chose la mieux partagée du monde , et que les cons ne sont presque jamais malheureux.
Ma vie binationale et amoureuse d’un amour animal et de reconnaissance du ventre , et d’un autre plus fanatique , plus passionnel , plus juste, parce qu’il porte en lui la plus part de mes stigmates et de mes vérités , parce qu’il porte en lui la stupide promesse d’être prête à mourir pour une vison , pour un poème pour une terra incognita, où gisent les miens aux autres semblables et mes morts , à qui me rattache le nom , le mot le verbe et surtout le faciès que d’aucun ,d’un côté comme de l’autre , que le temps , l’histoire , les rencontres , la cuisine , le chant la musique , l’opprobre ne cessent de me le rappeler; .ma vie , ça commence où , et surtout quand ? , ça finira où, quand et surtout pourquoi et pour qui ?
"Prés de toi je suis loin et loin de toi je suis toujours étranger disait la chanson de NAJET», j'ai toujours vu mon père fermer les yeux en écoutant cette chanson, pour refouler ses larmes à son for intérieur, là où ça brûle sa vie, là où ça fait le plus mal, je le sais c'est le même amour, la même damnation que j'ai pour la Tunisie
-Papa tu dors ?
-Oui.
-Tu te moques de moi ?
-Oui.
-Tu es où ? Tu penses à quoi?
-Je pense vraiment que nous aurons une belle récolte de dattes cette année.
-Mais comment tu le sais ? Tu es à Paris ?
– Je le sais, c'est pareil chaque fois qu'il pleut en Août…..
– Tu ne vas pas dormir ?
-Oh tu sais j'aurais toute la mort pour dormir.
La douce obsession d’une torpeur océane et d’une infinie douceur de vivre , la damnation , pourtant implorée d’une histoire faite de spoliations et de lèse-libertés , la damnation de la beauté , du soleil , mais aussi violente , liberticide , celle arbitraire des oppresseurs , tout cela s’excite dans un mouchoir de poche , dans le souffle partagé, et mes doigts qui glissent sur les rides de mon père , sur les plis de son âme , tout cela , tout le temps, discuté et expliqué à mes amis français de souche , pour ne pas dire français non tunisiens , bahi ? À tel point que j’étais devenu, moi avec bien d’autres tunisiens binationaux, la nostalgie et le souvenir involontaire, du moins une part importante, de beaucoup d’entre eux. Chaque fois que je retrouve cette Tunisie éparpillée dans la mémoire , chaque fois que physiquement je suis en elle , ma vie antérieure fait abstraction de ses lourdeurs ,de ses laideurs , celles des légions de flics et de délateurs , celles des bakchichs et des corruptions , celle des statues , des portraits et du lamentable culte de la personnalité , celle de la misère humaine et de plus en plus matérielle qui jette des pans entier de la société dans le renoncement , la révérence et même la prostitution , et surtout , pour négocier avec cette terreur constante qui m’étreint , depuis mon réveil jusqu’à mes rêves , la trouille en Tunisie, c’est celle d’être enfermée , torturée , violée et même tuée , mais croyez moi ma terreur en France , celle qui a déchiré mon enfance et qui me taille encore et jusqu’à la fin de ma mort , c’est celle d’être , sans cesse , en train de mourir loin de la Tunisie, oui cette horrible sensation constante d’être en train de mourir à l’intérieur , de cramer , de me consumer , sans que personne autour , surtout mes proches , ne puissent même le soupçonner. La Tunisie reste douloureuse pour tout notre petit monde, même si ce n’est jamais la même pour chacun d’entre nous, on a tous une Tunisie mythique qu’on croit sublime, unique et universelle, un jour il faudrait que LAZARE réveille les morts, un jour malgré tout pour punir les monstres et expier nos errances, cette Tunisie là, il faudra la faire. Chacun de nous a une histoire avec elle, mais personne de nous n’en a le même regard, ni la même réalité, c'est peut-être cela notre chance aussi. Et personne de nous ne doit supposer avoir tord ou raison, nos fréquentes retrouvailles sont un défi au sectarisme partisan ou politique, nous avons tous compris et surtout digérés et admis que notre amour pour notre pays et notre attache, ne nous font détenteur de rien, sinon de notre propre mémoire.