Tu ne fumeras point

 Des professeurs d’université le disent, des politiciens le disent, des médecins le disent, des économistes le disent, le cannabis doit être légalisé. C’est cette conclusion qui se fait de plus en plus populaire partout à travers le globe. La guerre contre les drogues est un échec et coûte cher aux États et donc, par transitivité, à la population.

Pourquoi légaliser? Pourquoi est-ce illégal? Nous y reviendrons plus tard. Ce qui est maintenant sûr c’est que la question de la légalisation est plus d’actualité que jamais, pensons notamment au référendum de 2010 en Californie ou encore à la nouvelle politique instaurée en 2001 au Portugal. Peu importe l’endroit sur le globe, des mouvements plus ou moins gros se soulèvent. Au Canada, un homme a franchi un pas énorme dans la mobilisation avec la création d’un documentaire.

En 2007, Brett Harvey réalise le film qui gagnera des prix dans les festivals auquel il concourt. Son sujet? Le commerce illégal du cannabis, la culture commerciale et amateur du cannabis, les conséquences économiques de la prohibition et les usages médicaux de la plante. Pour bien comprendre tout ce phénomène entourant une substance pourtant interdite et dont il est criminel de la posséder dans la majorité des pays, il faut se pencher plus profondément sur tous ses aspects.

 Tel est le commandement de nos gouvernements, tu ne fumeras point. Pourtant, cette plante est naturelle, alors pourquoi est-elle prohibée? Revoyons l’histoire du cannabis que nous appellerons ici chanvre pour désigner la plante intégralement. Le chanvre est l’une des premières plantes qui furent domestiquées par l’homme. Sa polyvalence a poussé les cultivateurs et les colonisateurs à la répandre avec eux lors de conquête et d’exploration de sorte qu’au final cette plante se retrouve sur tous les continents. La plus ancienne pipe du monde fut trouvée dans un tombeau en Bavière. Que ce soit dans l’Empire romain ou encore en Chine, le chanvre était une plante de choix! Le cannabis fut d’ailleurs cultivé aux États-Unis jusqu’à sa prohibition. Il fut même un temps où sa culture fut obligatoire. Comment ont-ils pu passer d’une culture obligatoire à la prohibition? C’est un mélange de facteurs qui a conduit à cette situation, en effet, suite à l’échec de la prohibition de l’alcool, des groupes se sont intéressés de plus près au cannabis qui devenait alors de plus en plus populaire sur le marché noir. C’est alors le début des campagnes de « sensibilisation » que nous désignions plus de propagande comme en témoigne le slogan suivant : « Marijuana is Devil » slogan qu’on pouvait voir sur un fond de diable enflammé. C’est ainsi que tout déboule. Les journaux de l’époque associent la majorité des crimes au cannabis et une image de violence entoure alors cette plante qui a côtoyé l’homme depuis le début des temps. En 1937, Roosevelt impose une taxe sous forme de timbre qui est maintenant obligatoire si on veut cultiver du cannabis. Le piège vient du fait qu’il est tout simplement impossible d’acheter ledit timbre… Le coup de grâce survient lorsqu’une étude, menée dans les années 60-70 sur des singes, arrive à la conclusion que le cannabis tue les cellules cérébrales de façons permanentes. Mais maintenant si on regardait un peu plus loin et qu’on remettait en question la validité de cette expérience voulez-vous bien? Lors de la sortie de cette étude, le protocole officiel de l’expérience dictait qu’on avait fait fumer 30 joints par jours à des singes et que ceux-ci seraient morts au bout de 90 jours. 30 joints par jour c’est énorme, mais voici maintenant ce qu’ils ne vous ont pas dit. Après 6 ans de demandes incessantes, ils ont finalement révélé la vraie méthodologie de l’expérience. Au lieu de consommer 30 joints par jour comme cela avait été dit, les singes se sont fait « pomper » à l’aide de masque l’équivalent de 63 joints colombiens maxi (joints jugés très puissants) en 5 minutes par jour, et ce, pendant 3 mois. Une variable fut alors négligée, l’asphyxie des singes. Comme il n’y avait pas d’oxygène de transmis, les cellules cérébrales ont fait ce qu’elles font lors d’asphyxie, elle meurt. Ce n’est donc pas le cannabis qui a tué les cellules cérébrales des singes, mais bien le manque d’oxygène. Depuis cette étude, aucune autre expérience n’a montré que le cannabis tue les cellules cérébrales, en fait, en 2005, une étude est même arrivée à la conclusion que le cannabis pourrait accroitre la croissance des cellules cérébrales.

 

Le rapport Roques. Cannabis face aux autres drogues

En 1998, Bernard Roques, un professeur français membre de l’Académie des sciences, présente le rapport qu’il s’était fait commander par le Secrétaire d’État à la Santé de l’époque, M. Kouchner. À la page 182 du rapport, on trouve le tableau suivant :

Facteurs de dangerosité des drogues, selon le rapport Roques (1998)35

 

Héroïne
(opioïdes)

Alcool

Tabac

Cocaïne

Psychostimulants

Benzodiazépines

Cannabinoïde
(Chanvre et dérivés)

 

Dépendance physique

très forte

très forte

forte

faible

faible

moyenne

faible

 

Dépendance psychique

très forte

très forte

très forte

forte mais intermittente

moyenne

forte

faible

 

Neurotoxicité

faible

forte

nulle

forte

forte

nulle

nulle

 

Toxicité générale

forte¹

forte

très forte

forte

forte

très faible

très faible

 

Dangerosité sociale

très forte

forte

(cancer)

très forte

faible
(exceptions possibles)

faible²

faible

 

1: nulle pour méthadone et morphine en usage thérapeutique

2: sauf conduite automobile où la dangerosité devient alors très forte

Dans ce tableau du rapport, on peut constater que contrairement à ce que veut la culture populaire, le cannabis n’est pas dangereux au même niveau que la cocaïne ou, que l’héroïne. Même qu’il serait en fait moins dangereux que le tabac et l’alcool, deux produits qui sont légaux et incrustés dans la culture de toutes les sphères de la société.

L’environnement et la médecine

Le chanvre est une plante et donc, en ce sens, elle consomme du CO2 pour créer de l’oxygène grâce à la photosynthèse. N’est-ce pas exactement nos objectifs environnementaux? Maintenant, pourquoi utiliser des terres arables pour cultiver du cannabis au lieu d’autres plantes? C’est très simple. Le chanvre est une plante qui peut atteindre plus de deux mètres en une seule saison et qui pousse sous toute sorte de conditions. Cette plante sait s’adapter aux différents sols et climats. Pourquoi était-il aussi cultivé à travers le monde? C’est parce que sa fibre est la fibre naturelle la plus solide au monde et qu’à partir de sa fibre on peut faire 5000 produits de textiles différents et plus de 25 000 produits à partir de sa cellulose. On peut même faire du papier à partir de chanvre. D’ailleurs, les deux premiers exemplaires de la Déclaration d’indépendance des États-Unis furent écrits sur du papier de chanvre. Il est également possible de faire de l’huile, des médicaments et même du carburant à partir de chanvre. Tout cela avec une ressource entièrement renouvelable et qui participe à l’absorption de gaz à effet de serre. L’une des utilités les plus vertueuses du chanvre est sans doute son utilisation pour la fabrication de médicament et les capacités thérapeutiques de sa fleur lorsqu’elle est consommée. Contrairement à ce qui est dit dans la société, il n’y a aucune preuve qui nous permet d’accuser le cannabis de causer le cancer. Les études américaines qui sous-entendent cela sont obligées d’utiliser des mots comme « pourrait » « éventuellement » causer le cancer. Le cannabis peut être consommé afin d’inhiber les symptômes de plusieurs maladies et ralentir l’avancé précoces de la maladie dans le cas des patients en phase terminaux. Sa consommation stimule également l’appétit qui peut être nécessaire pour certains malades. Dans 15 États des États-Unis et au Canada ainsi que dans d’autres pays, son usage médical est décriminalisé. Le tueur numéro un dans le monde est le tabac avec environ 430 000 morts par ans aux États-Unis. En deuxième place, si on exclut les mauvais régimes alimentaires, on retrouve l’alcool avec 80 000 morts par ans. Beaucoup plus bas sur cette liste on trouve également la caféine avec 10 000 morts par ans et tout en bas, le dernier et non le moindre, il y a le cannabis avec aucune mort enregistré jusqu’à présent sur plus de 3000 ans d’utilisation.

 

Le modèle portugais

Depuis 2001, Le Portugal a instauré une pratique encore jamais vue dans aucun autre État. Le gouvernement a choisi de décriminaliser toutes les drogues sans exception. La différence entre une décriminalisation et une légalisation est que lorsqu’un produit est décriminalisé il reste illégal, mais son utilisation constitue seulement une infraction au Code civil et non plus un crime. Dans ce système, fumer un joint revient à se garer dans un endroit interdit et donc la peine risque d’être une amende. Le Portugal ne s’est pas arrêté là, il a également cessé de considérer les drogués comme des criminels et a plutôt choisi de les considérer comme des malades. En bref, si vous êtes arrêté pour possession ou consommation de drogues au Portugal, ce n’est pas un juge, mais un sociologue ou un psychologue qui imposera les sanctions. Dans les cas problématiques, une cure de désintoxication sera prescrite et un suivit adéquat se fera de la part des professionnels de la santé. Une baisse de mortalité suite aux injections d’opiacé comme l’héroïne a suivi cette réforme. Maintenant, les drogués à problèmes ont moins peur de se dénoncer aux policiers et tombent maintenant entre les mains du ministère de la Santé. Bien que le modèle portugais ne soit pas infaillible, il est à surveiller de près dans les années à venir. Est-ce que d’autres pays suivront le pas?

Regard philosophique

Si on se fie à son livre A Theory of Justice, Rawls serait contre la manière dont la question est traitée. En effet, les gouvernements n’appliquent pas le voile d’ignorance que Rawls prescrit pour des décisions politiques éclairées. Selon la théorie de Rawls, pour prendre des décisions politiques éclairées il faut être en mesure d’oublier sa condition physique et psychique et donc sa place dans la société. Or, le cannabis fut prohibé grâce à l’intervention de lobby tel que l’industrie du coton pour qui le chanvre était un concurrent ou encore de propagandes racistes qui ont associé le cannabis aux Mexicains et aux Afro-Américains. Il est clair que la prohibition ainsi que l’obstination à ne pas vouloir revoir cette politique ne tiennent pas compte de l’objectivité et du voile d’ignorance que Rawls nous suggère. Si on regarde maintenant du côté de l’utilitarisme de John Stuart Mill, la légalisation serait un acte qui bénéficie la grande majorité de la population en créant un nouveau secteur économique, en aidant à la préservation de l’environnement, en coupant l’herbe sous les pieds du crime organisé, en réduisant la surcharge des prisons et en donnant plus de droits aux citoyens. Si on fait abstraction du crime organisé, tout le monde est gagnant!

Mot de la fin

Cet enjeu social et environnemental n’a bien sûr été que survolé. Sur chacun des points qui fut énuméré plus haut il aurait été possible d’en dire encore plus long. En bref, on constate que les causes entourant la prohibition et qui retarde également les démarches de légalisation sont en faite des jeux de pouvoir orchestré par des lobbys qui bénéficient de la prohibition. Quand on sait que l’alcool et le tabac sont plus dangereux que le cannabis, on constate qu’il y a beaucoup plus derrière la prohibition que la simple raison que c’est une drogue. Devrions-nous être plus sévères avec nos deux vices populaires ou devrions-nous au contraire abaisser notre acharnement contre le cannabis? La réponse varie d’une personne à l’autre. Ce qui est sûr c’est que la situation actuelle est loin d’une justice équitable et qu’il faut trouver en société une alternative à notre législation actuelle.