L’extrême-droite autrichien pour le maintien dans l’UEri

Épine dans le pied de Marine Le Pen et du Front national : le chef de file du FPÖ autrichien, Norbert Hofer, probable futur président (après invalidation de l’élection), se déclare favorable au maintien de l’Autriche dans l’Union européenne et critique tant les Britanniques favorables au Brexit que le Frexit du FN.

Norbert Hofer, chef de file du Parti de la Liberté autrichien, vient, dans un entretien avec le quotidien allemand Die Presse, contredire la plupart des partis eurosceptiques et nationalistes européens. Parvenu en tête des élections présidentielles sur le plan intérieur, mais battu d’une courte tête par le Vert Alexander Van der Bellen, élu, lui, grâce aux votes par correspondance des Autrichiens résidant à l’étranger, se déclare favorable à l’Union européenne et critique le Brexit, décision « très regrettable et à courte-vue ». Celui qui conserve à présent, après invalidation des élections, toutes ses chances de devenir le prochain président autrichien, ne proposera à ses concitoyens un référendum sur la sortie de l’Union européenne si, et seulement si, la Turquie était admise à rejoindre les 27 (ou les 28, si le Brexit ne se concrétisait pas).

Mieux, il ne souhaite pas de rupture avec l’UE et l’exprime clairement. Ce serrait une erreur dommageable pour l’Autriche et les Autrichiens. Il a regretté que, du fait de son opposition à l’entrée de la Turquie, il ait été perçu tel un eurosceptique partisan de la rupture. « L’Autriche contribuera à rendre meilleure l’Union européenne », estime-t-il (sous-entendu, sous sa présidence et si son parti, le FPÖ, entre au, ou dirige, le gouvernement). Car l’UE est « irremplaçable ».

Il a aussi clairement indiqué que la ligne de son parti diffère nettement, sur la question européenne, de celle du Front national. Pourtant, les deux formations cohabitent dans le même groupe au Parlement européen.

En réalité, Norbert Hofer réagit surtout à un sondage pour le quotidien Österreich : 60 % des répondants (600 personnes) se disent hostiles à l’organisation d’un référendum et 52 % à la sortie de l’UE (18 % se déclarent indécis). Et surtout, son concurrent, Alexander Van der Bellen, entend faire de la question européenne son argument central de (nouvelle) campagne.  L’important est d’être élu…

Attendez-vous donc à savoir, comme le disait Geneviève Tabouis sur RTL, qu’à l’approche de la présidentielle française, le discours de Marine Le Pen, prenant le pouls de l’opinion, différera sans doute sensiblement de celui qu’elle prononça devant le Parlement européen, félicitant chaudement Nigel Farage et les Britanniques et prédisant des sorties massives de l’UE. Le Frexit risque fort de passer à la trappe.

Après le Brexit : les avertissements suisses et étasuniens aux Britanniques

Le Brexit s’appliquera-t-il ? L’éventuel départ britannique a d’ores et déjà des répercussions pour les Suisses. Car l’UE semble ne pas vouloir transiger sur la libre circulation des personnes dans ses négociations avec la Confédération helvétique dont le terme doit intervenir en février prochain. De plus, l’ambassadeur étasunien au Royaume-Uni a levé quelques illusions : le lien privilégié subsiste, mais le Royaume-Uni pourra difficilement passer avant l’Union européenne dans les négociations commerciales en cours.

Si le prochain gouvernement britannique invoque l’article 50 du traité de Lisbonne dès le 10 septembre (la nomination de sa ou de son nouveau Premier ministre est prévue le 9), ou plus tard, si ce n’est jamais, le Brexit pèse déjà sur la Suisse. Négocier, pour le Royaume-Uni, s’étalerait sur deux ans (ou un peu moins, ou davantage), mais pour la Suisse, la date butoir est dans huit mois : février 2017.

Comme les pays de l’Espace économique européen (Norvège, Islande…) et d’autres pays tiers, la Suisse a obtenu des droits et souscrit des obligations découlant d’un accord avec l’UE. Ce dernier est de moindre portée : plus faible contribution au budget de l’UE, préférence nationale pour l’accès au marché du travail provisoirement maintenue. Mais la libre circulation des personnes est redevenue désormais le point crucial des négociations helvético-européennes qui se poursuivront cet été, avec pour échéance février 2017.

L’UE n’a guère envie d’offrir un argument aux Britanniques lors de futures négociations. Les Suisses vont tenter d’obtenir, comme l’a réussi le Royaume-Uni de David Cameron, une dérogation sur le versement différé des aides sociales aux ressortissants de l’UE ou de l’EEE. Mais la Suisse se trouve dans une position plus difficile encore :  elle exporte près de 56 % de ses biens et services vers les pays de l’EEE. Un relèvement des droits de douane, s’ajoutant au renchérissement constant du franc suisse, plus que jamais valeur refuge après la chute de la livre, minerait l’économie helvète.

La position de l’UE face à la Suisse s’est déjà durcie après le référendum d’initiative populaire « contre l’immigration massive ». C’était en février 2014, et pratiquement du jour au lendemain, l’UE a supprimé ses aides à la recherche scientifique (de même aux chercheurs et entreprises innovantes suisses), sabré le programme Erasmus. Depuis, des arrangements sont certes intervenus, notamment parce que la Suisse, qui s’y refusait jusqu’alors, a concédé, début mars 2016, un accord permettant un libre accès à son marché du travail pour les Croates. Mais, ce dimanche dans The Guardian, les universitaires suisses ont lancé un avertissement à leurs homologues britanniques. Non seulement des programmes de recherches seront affectés, mais les universités peineront à attirer des étudiants étrangers, et les entreprises à embaucher les chercheurs dont elles ont besoin.

Un député écossais favorable au Brexit avait hasardé que les universités pourraient appliquer des droits de scolarité supérieurs aux actuels pour les étudiantes et étudiants étrangers de l’UE et des pays associés. Encore faudrait-il que les candidatures restent au même niveau. Non seulement on peut fortement en douter pour le premier cycle, mais encore davantage pour les études (post-) doctorales.

Car ne plus obtenir de bourses du Conseil européen de la Recherche ne représente pas qu’un manque à gagner immédiat. Le C.E.R. est aussi un atout de poids sur un cv.

L’autre avertissement de poids reçu par les Britanniques émane de l’ambassadeur des États-Unis à Londres. Certes, le lien privilégié entre les deux pays ne sera pas rompu. Mais si le Royaume-Uni espère précéder l’Union européenne pour la signature d’un accord transatlantique, il risque d’être fort déçu. Les É.-U. vont privilégier les négociations avec l’UE sur le Tafta.

De plus, ce dimanche, au forum économique d’Aix-en-Provence, Christine Lagarde, directrice du FMI, n’a pas mâché ses mots. Elle a suggéré que la sortie du Royaume-Uni était une chance pour l’Europe : « peut-être qu’il y a des choses qu’il faut envisager puisque les Britanniques ne vont pas s’asseoir à la table [commune aux 27]. ». Le Royaume-Uni, doté d’un veto, a bloqué nombre d’initiatives… Lors de ce forum, Pierre Moscovici, commissaire aux Affaires économiques, a de nouveau appelé à un renforcement du plan d’investissement européen et à la nomination d’un « ministre des Finances pour la zone euro ». De telles perspectives déplairont fortement à tout futur Premier ministre britannique, qui ne pourra sans doute plus s’y opposer (car s’il peut toujours user d’un veto tant que l’application de l’article 50 du traité de Lisbonne n’est pas demandé, cela reste possible… au risque de pousser l’UE à dégainer l’article 7 sous un prétexte quelconque afin d’expulser le Royaume-Uni du club).

Les conservateurs britanniques continuent de jouer la montre pour retarder l’activation de l’article 50. Theresa May, la favorite pour le poste de Premier ministre, aurait pu devancer la date du 9 septembre pour accéder au 10 Downing Street. Il lui suffisait de céder à l’amicale pression de ses amis parlementaires qui s’activent pour obtenir que les concurrents se retirent. Certains l’ont déjà fait, en sa faveur. Mais Andrea Leadsom, qui pourrait reléguer Michael Gove au rang de figurant après le coup qu’il a porté à Boris Johnson, semble déterminée à rassembler les conservateurs réellement favorables au Brexit. Tout comme Theresa May, elle s’était opposée au Brexit, pour finir par s’y rallier. À présent, elle n’exclut plus, si jamais elle été désignée Premier ministre, d’associer l’Ukip aux négociations avec Bruxelles. Pour le Sunday Telegraph, elle a renchéri sur Theresa May : la réelle émule de Margaret Thatcher, ce sera elle, et non son adversaire. Cela peut aussi plaire à l’électorat de l’Ukip. Mais cela n’ébranle guère les députés et l’électorat conservateur : Theresa May conforte jour après jour sa position de favorite (six électeurs conservateurs sur dix lui seraient favorables, et la majorité des députés qui départagera les deux « finalistes » s’est déjà déclarée pour elle).

Mais qu’elle soit désignée Premier ministre ou non, qu’elle ravisse la place de négociatrice de pointe avec l’UE à Michael Gove ou non, elle pourra difficilement contenter l’Ukip si elle doit se prononcer sur la question des expatriés européens au Royaume-Uni et de leurs homologues britanniques dans l’UE.

Nicola Sturgeon, la Première ministre écossaise (SNP) veut obtenir des garanties pour les 173 000 ressortissants européens en Écosse. Ils sont près de trois millions au Royaume-Uni.

Pour les expatriés britanniques, qui, pour ceux le pouvant, ont déjà demandé en masse la nationalité irlandaise (au point de submerger les services irlandais), la tentation de la double nationalité est forte. La Belgique est aussi assaillie de demandes, les Verts et les sociaux-démocrates allemands ont appelé à une attribution automatique de la double nationalité aux expatriés britanniques partout en Europe. Cela pourrait aussi s’appliquer à de jeunes expatriés, étudiants en particulier, résidant depuis peu dans les pays de l’Union.

Même le seul député de l’Ukip, Douglas Carswell, a signé un appel pour que les ressortissants de l’UE actuellement établis au Royaume-Uni puissent bénéficier de fortes garanties (pour les suivants, ce serait à négocier).

Bref, les partisans du maintien se lamentent, ceux de la sortie de l’Union s’inquiètent vraiment enfin et les deux camps veulent arracher un maximum de concessions à Bruxelles. Qui avertit : tournez donc le regard vers la Suisse…

Tony Blair, dimanche soir sur Sky News, a laissé entendre que la volonté populaire britannique pourrait évoluer. Il préconise qu’avant de se confronter aux négociateurs de l’UE (qui s’y refusent tant que le Brexit ne sera pas acté), des délégués gouvernementaux fassent le tour des popotes des capitales européennes pour estimer « la marge de manœuvre ». Ils pourraient commencer par Berne…

10 Downing St : BoJo renonce, Theresa May favorite

Boris Johnson n’a pas su manœuvrer Michael Gove, son principal allié lors de la campagne du Brexit. Ce dernier ayant déclaré qu’il se présentait pour la succession de David Cameron, BoJo a prudemment jeté l’éponge. Selon les observateurs, Theresa May, actuelle ministre de l’Intérieur, qui avait prudemment, sans la moindre emphase, opté pour le maintien dans l’UE, serait largement favorite.

Mrs Gove avait laissé fuiter hier un courriel expédié à son mari dans lequel elle l’avisait que, faute d’obtenir de solides garanties de la part de Boris Johnson (sans doute un portefeuille de vice-Premier ministre), il ferait mieux de renoncer à un « ticket » BoJo-Gove en vue de la succession de David Cameron, le 9 septembre prochain. L’actuel ministre de la Justice s’est déclaré candidat, deux proches de BoJo se sont prononcés pour lui, et l’ex-maire de Londres, encore dauphin présumé hier, s’est retrouvé contraint de se retirer.

La grande favorite après ce coup de théâtre est Theresa May, actuelle ministre de l’Intérieur. Intérieur contre Justice : ne plaquons pas les mises en scène françaises sur les décors britanniques. Car Theresa May ne met aucunement l’accent sur les questions judiciaires ou de maintien de l’ordre, mais sur l’austérité, l’imposition, les aides sociales, &c. Ce n’est pas forcément se démarquer de Gove ou des autres concurrents (deux ministres, Stephen Crabb et Andrea Leadsom, un ex-ministre, Liam Fox). Mais c’est se différencier de l’actuel gouvernement, en particulier de George Osborne qui avait fait de la réduction du déficit budgétaire un point-clef et s’était particulièrement illustré en maître-d’œuvre du Project Fear (alarmisme outrancier sur les conséquences du Brexit).

Theresa May assure qu’elle s’entourera de Brexiters mais que l’invocation de l’article 50 n’interviendra qu’à la fin de l’année. Bref, il s’agit, en vue des élections générales, à la fois de tenter de récupérer des voix du côté des travaillistes ayant voté pour la sortie de l’UE, avec des mesures d’étalement de la réduction du déficit jusqu’à ces élections (2020) et de moindre pression fiscale, et aussi de rassurer les partisans du maintien puisqu’elle s’affirme européo-compatible.

Après 2020, elle porterait l’effort sur la réduction des dépenses, sans remonter de nouveau les taxes (la TVA a augmenté, mais celles sur les successions ou frappant les entreprises ont été réduites).

Elle a aussi mis en avant ses origines modestes (fille d’un vicaire, petite-fille d’un sous-officier), sa retenue à se mettre en avant dans les médias, ou à répandre des vacheries en coulisses. Sur ce dernier point, elle s’est départie de ce type d’attitude en se moquant ouvertement de BoJo.

Le handicap de Gove, que BoJo a su évoquer perfidement, c’est qu’il avait très nettement déclaré qu’il ne se sentait pas l’étoffe d’un Premier ministre (contrairement à David Cameron, dont il souhaitait le maintien en poste après le référendum). Il l’avait affirmé par au moins trois fois (octobre 2012, mars 2014, juin 2016), et de fait, avait poussé – s’il en était besoin – BoJo à se déclarer candidat.

Il a fortement indisposé les partisans du maintien dans l’UE, en renchérissant sur les exagérations de BoJo. Et il passe désormais pour un traître, un ambitieux, prêt peut-être à se rallier à Theresa May si un poste ministériel lui était promis.

Theresa May, s’adressant aux classes populaires sur l’antienne du « j’ai compris vos difficultés » et surtout en écartant l’idée d’un second référendum invalidant les résultats du précédent, en se déclarant prête à longuement négocier après avoir différé, mais accepté que l’article 50 s’applique, a toutes les chances de son côté. D’autant plus que David Cameron l’appuiera discrètement, que les 27, comme l’a laissé entendre Michel Sapin à la BBC, pourraient lui concéder des accommodements sur la question de l’immigration « choisie », et qu’elle a déjà engrangé divers ralliements d’importance.

Si désignée, elle devra affronter, sur le plan intérieur, l’épineuse question de l’Écosse. Mais en dépit d’un veto espagnol, appuyé par la France, sur l’ouverture de tractations avec l’Écosse, les 27 semblent se préparer à lui réserver un statut particulier. Cela pourrait retarder la perspective d’un nouveau référendum sur l’indépendance, mais aussi conforter la position du SNP (indépendantiste) qui ne saurait l’exclure indéfiniment.

Reste à savoir, en dépit des déclarations non équivoques de Theresa May, ce qu’il adviendra réellement du Brexit. L’édition germanophone de l’Huffington Post définit la candidate comme la « Merkel britannique ». Helmut Kohl, dans le Bild, plaide pour une approche circonspecte (entendez : complaisante) des propositions britanniques à venir : il ne faut surtout pas faire preuve de sévérité ou de hâte. Brusquer ou imposer des conditions trop raides serait « une énorme erreur », et il appelle même à faire « un pas en arrière avant d’en faire deux en avant ». Plus significatif encore ? Barack Obama, évoquant le Brexit, et la croissance mondiale, a employé le conditionnel : le Brexit, s’il se produit… dit-il en substance. Lord Adair Turner, ancien président de l’autorité britannique des marchés (FSA) confie qu’il y aurait « même une petite chance – pas plus de 5 % selon moi – que le Royaume-Uni reste finalement membre de l’Union européenne ». Petite chance aujourd’hui, plus forte probabilité demain ?

Entre les deux Merkel, l’allemande et la britannique, la France risque de se retrouver prise en tenailles et de devoir s’aligner…

L’UE à 27 : salutaire ou mortifère ?

Le Brexit va considérablement modifier les équilibres politiques en Angleterre et Pays de Galles. Mais certainement aussi dans divers pays. Il serait grand temps qu’émergent des formations politiques résolues à ne plus opposer Europe des nations et Europe fédérale, et qu’elles puissent prendre des initiatives communes, que ce soit à six ou sept, ou à 27.

Qu’adviendra-t-il du Brexit, s’il était jamais implémenté ? Selon David Cameron, la rupture n’est pas réversible (ce qu’il reste à vérifier), et le Royaume-Uni doit trancher entre trois voies. Soit un statut d’État commercialement associé, ou en passe de l’être, tel le Canada. L’accord EU-Canada, qui n’est pas encore ratifié, prévoit un libre-échange encadré excluant les transactions financières. Soit un statut similaire à celui de la Norvège. Dans ce cas, la contribution britannique augmenterait, et ce serait pratiquement le seul changement, les Britanniques poussant leurs intérêts en entretenant des groupes de pression à Bruxelles, mais n’ayant plus ni veto, ni représentants officiels. Soit l’association de type suisse : contribution moindre, liberté de circulation des personnes, comme pour la Norvège, mais pas des transactions financières. Bref, les deux points de clivage se rapportent à l’immigration infra-communautaire et au sort de la City et des banques britanniques. La Royal Bank of Scotland, Lloyds, Barclays’, et les autres institutions financières, ne pourraient plus opérer comme actuellement sur le continent, c’est-à-dire en toute liberté.

Le remodelage des partis politiques britanniques est en voie d’accélération. Les conservateurs ne seront plus tout à fait sur la même ligne si Boris Johnson l’emporte ou non sur Teresa May (ou une, un autre candidat). Les travaillistes soient se scinderont, soit se purgeront en éjectant Jeremy Corbin ou, si ce dernier pouvait se maintenir, en se coupant d’une large majorité parlementaire dont la réinvestiture n’irait pas de soi. Un troisième larron pourrait aussi fortement évoluer : l’Ukip. Son principal donateur, Arron Banks, un assureur multimillionnaire (tiens, comme c’est étrange…), pourrait refonder le parti pour attirer les déçus conservateurs ou travaillistes, réservant à Nigel Farage un statut honorifique proche de celui dont aurait pu se contenter Jean-Marie Le Pen.

En Écosse, peu de changement, si ce n’est un rapprochement entre une partie du Labour écossais et le SNP indépendantiste, lequel devrait se renforcer considérablement si le Brexit finissait par s’appliquer (soit aux lendemains du 9 septembre, et la nomination de la ou du futur Premier ministre britannique). Sauf que le SNP se retrouverait dans une impasse s’il ne pouvait obtenir quoi que ce soit de l’UE. Or, l’Espagne, qui n’a pas envie de voir la Catalogne s’emparer d’un précédent, opposera un veto à toute initiative institutionnelle associant mieux l’Écosse à l’UE des 27.

Le modèle d’une UE fédérale fait figure d’épouvantail pour les partisans de l’Europe des nations (dont le Royaume-Uni, celui des conservateurs comme celui des travaillistes). Mais ce modèle, appliqué par l’Allemagne ou la Confédération helvétique, n’a rien d’un repoussoir. En revanche, si l’on se tourne vers les royaumes de Belgique ou de Grande-Bretagne, on en voit les failles. Le modèle de l’Europe des nations est de fait, quoi que puissent en dire les souverainistes, l’actuel : l’Allemagne en profite le plus en raison de la cherté de l’euro pour la France, les pays du Sud et ceux de l’Est, mais aussi du fait de l’imposition et du bas coût des salaires pour les postes peu ou pas qualifiés. Elle bénéficie de prêts à taux négatifs, fonde sa compétitivité et ses excédents commerciaux sur de bas niveaux de salaires.

Il existe pourtant des voies médianes entre les deux modèles, et elles pourraient être développées, soit à 27, soit entre pays fondateurs s’élargissant à ceux disposés à les rejoindre.

L’un des textes les plus éclairants du moment est la contribution Reconstruire l’Euope, de Thomas Piketty (en accès libre sur le site des blogues-notes du Monde). Son analyse des causes du Brexit n’apporte pratiquement rien de nouveau ou d’inconnu du lectorat de Come4News (en tout cas, celui qui consulte mes contributions). Pour résumer, les torts sont partagés entre partis de droite, du centre et de gauche européens, et les partis britanniques, qui se sont opposés à toute avancée fédéraliste. Les partis français, pour que la France bénéficie de taux d’emprunt proches de ceux de l’Allemagne, ont collé aux vues germano-britanniques.

Piketty préconise que des sanctions soient appliquées aux « paradis fiscaux de la couronne britannique » (qui alimentent très fortement la City) et qu’intervienne un « moratoire sur les dettes européennes ». Mais il faudra aussi envisager des réformes structurelles, et entamer une « refondation démocratique ».

Parmi les démarches qu’il envisage figure la remise en cause des rôles respectifs du Conseil européen (ou plus largement, des conseils, celui des chefs d’État ou de gouvernement, celui des ministres par catégories sectorielles : finances, agriculture, transports…) et du Parlement européen. On le sait, c’est le Conseil qui prédomine largement et tout ce qui a été le plus reproché par les Britanniques à l’Europe découle des décisions de leurs gouvernements successifs. La règle de l’unanimité s’impose au Conseil pour toutes les questions importantes (fiscalité, règles budgétaires, degré d’autonomie des régions…) qui peuvent être écartées par un veto.

On pourrait inverser les rôles, le Conseil n’ayant plus qu’une fonction consultative ou de mise en garde, et le Parlement devenant in fine décisionnaire (avec ou sans va-et-vient, comme, en France, entre l’Assemblée et le Sénat). Cela impliquerait aussi des règles claires quant à l’initiative des lois et réglementations (en France, le gouvernement détient de fait l’essentiel de l’initiative des lois). Il serait aussi envisageable d’instaurer un « bicaméralisme européen ». Nous aurions alors deux parlements, l’un élu au suffrage universel (soit l’actuel), l’autre désigné à la proportionnelle (Piketty n’indique pas si elle serait intégrale ou non) par les chambres parlementaires des divers pays.

Pourquoi pas ? Encore faudrait-il revoir les frais de fonctionnement de ces deux parlements, tant la Commission que le Conseil ou l’actuel parlement grèvent déjà copieusement les investissements du fait de rémunérations élevées, de frais considérables. Il faudrait aussi « imaginer (…) différentes règles de majorité qualifiée ».

Piketty n’aborde pas le problème de l’interrégionalité européenne. Elle existe déjà plus ou moins, pour des régions frontalières de part et d’autre des limites territoriales, aussi par le biais de jumelages sectoriels (par exemple, en matière de formation, entre le Banat ou Timis roumain et le Grand Lyon). Cela ne résoudrait sans doute pas l’épineuse question de l’intégrité territoriale (cas de l’Écosse, de la Catalogne, peut-être de l’Ulster pouvant désirer se rattacher à la république irlandaise, mais aussi, dans certains cas, de revendications nationales comme celles de la Hongrie accordant la double nationalité aux magyarophones roumains, &c.).

« Transformer progressivement les législateurs nationaux en colégislateurs européens » semble judicieux à Piketty. Lequel relève au passage qu’un souverainiste fort mitigé tel J.-P. Chevènement vient aujourd’hui plaider certes pour un parlement européen issu des nationaux, mais, ô paradoxe, pour un renforcement du Conseil. Pour conflictuel que cela semble, c’est au moins aborder autrement que les candidats à la primaire à droite, ou les frondeurs et hollandistes, et même les écologistes ou centristes français, la question fondamentale du devenir de l’UE.

Une autre hypothèse, évoquée par des parlementaires européens, consiste à constituer un parlement de la zone euro. Et pourquoi pas deux conseils, l’un de la zone, l’autre élargi ?

Pour en revenir au Brexit en lui-même, on constate un fort infléchissement (ou un flottement ?) de la position française. Après avoir laissé Emmanuel Macron appuyer le Project Fear des conservateurs pour le maintien (soit un alarmisme outrancier sur les conséquences du Brexit) sans le rappeler à l’ordre, voilà que Hollande et Valls laissent de nouveau Cazeneuve affirmer l’intangibilité des accords de Sangatte et du Touquet (sur le report de la frontière de Douvres à Calais). Laisser planer le doute n’aurait-il pas été plus conforme à la volonté proclamée de fermeté face aux exigences britanniques ?

Pire. Voilà que, sans le moindre démenti de l’Élysée ou de Matigon, Michel Sapin laisse entrevoir aux Britanniques que leurs vues sur un tri des immigrants communautaires pourraient être considérées lors des futures négociations. Cela suppose-t-il que, si des ressortissants européens entraient sans visa au Royaume-Uni, ils seraient renvoyés vers la France ? Faudra-t-il créer un « second Calais », y compris pour des Français ayant tenté de travailler outre-Manche et ne retrouvant pas de possibilité de logement en France ? Peut-être pourraient-ils s’employer à donner, dans leur jungle commune, des cours de français aux Baltes, Roumains, Polonais, &c., refoulés par la police ou les douanes de Sa Majesté ? Michel Sapin était-il soucieux d’offrir de nouveaux arguments au Front national pour qu’il devance les Républicains lors de la campagne présidentielle ?

Cet insolite indice d’un net repli de la position française a été formulé par le ministre français des finances devant les caméras de Newsnight, le bulletin vespéral de la BBC. C’est ainsi offrir des facilités à BoJo (Boris Johnson, candidat à la primature) qui a rassuré en déclarant que tout serait discuté, sans a priori, cela en contradiction totale avec les récentes affirmations des chefs d’État européens. C’est peut-être faire la nique à Macron, ou songer à remplacer Lagarde au FMI avec l’appui du Royaume-Uni, mais aussi conforter la place de Londres qui a recouvré ses pertes (en dépit du fléchissement de la livre, l’indice Footsie est remonté à son niveau d’avant le référendum).

Bref, au lieu d’évoquer une relance de la construction européenne, un ministre français de premier plan laisse entendre que tout peut s’arranger, se négocier, et qu’après tout, quitter l’Union n’est pas si dramatique. Les bons comptes continueront à faire les bons amis. Et les mêmes victimes, les mêmes mécontents, les futurs ralliés à un souverainisme s’amplifiant, les encore plus dégoutés du jeu politicien qui virent à l’abstentionnisme, &c. Ceux qui ne s’abstiendront pas se souviendront de l’attitude du PS lors des prochaines européennes.

Salutaire ou mortifère, le Brexit ? Ni l’un, ni l’autre dans l’immédiat. Pour le moyen et surtout le long terme, sans ressaisissement, il y a de quoi désespérer.

Conforter les conservateurs britanniques, c’est approfondir ce que dénonce le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’Onu qui vient de se prononcer sur la politique d’austérité au Royaume-Uni. Les inégalités se creusent, les indemnités d’assistance se réduisent tandis que grimpe la TVA mais que baissent les droits de succession et les taxes versées par les entreprises. Un véritable effet de ciseaux. Si c’est cela que veut importer Michel Sapin, qu’il le dise franchement.

P.-S. – Avant l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté européenne d’alors, j’étais étudiant en anglais et j’avais trouvé un job d’été (employé d’entretien) dans un hôpital écossais. Il fallait redescendre au Home Office demander un permis. Á peine avais-je ouvert la bouche que le fonctionnaire m’assena un No, Sir ! Je tentais de m’expliquer, ce fut Next, please… Je n’eus pas à rejoindre une « jungle de Calais » et j’ai filé vers Bremen où je fis la plonge. J’imagine que les descendants de Michel Sapin et de ses épouses successives trouveront sans problème à s’employer au Royaume-Uni : un courtois échange préalable suffira, quoi qu’il advienne.

 

UE : droite-extrême-droite ; copains-coquins

Escarmouche, et encore à fleurets mouchetés, entre Nigel Farage (Ukip, souverainiste), et J.-C. Juncker, président de la Commission européenne, ex-Premier ministre luxembourgeois (droite), au Parlement européen. En fait, presque tout le monde est là, à Bruxelles ou Strasbourg pour la soupe, et n’a pas vraiment l’intention d’y renoncer…

On le constate jour après jour : les partisans anglais du Brexit n’ont nullement l’intention de se plier au résultat du référendum britannique, et encore moins de tenir leurs promesses. Ce à l’exception de Nigel Farage (Ukip, parti partenaire de Debout la France), souverainiste, qui a tout à gagner en faisant preuve de détermination verbale (l’Ukip n’a qu’un seul député à la chambre des Communes, Farage siège à Strasbourg et Bruxelles).

Réunis à Bruxelles ce mardi matin, les parlementaires européens ont émis le vœu que le Royaume-Uni demande l’application de l’article 50 actant la rupture du Royaume-Uni avec l’Union européenne. Un vote sans conséquence ni effet ayant recueilli 395 voix pour, 200 contre (sans doute des parlementaires allemands, polonais, hongrois), et 71 abstentions (peut-être, allez savoir, d’eurosceptiques britanniques).

Ce fut cocasse lorsque Nigel Farage s’est gaussé de ses collègues. « Alors, on ne rit plus, hein ! », s’est-il exclamé. Auparavant, il avait croisé Jean-Claude Juncker qui s’étonnait de sa présence : « Mais pourquoi être venu ? ». La confrontation n’a pas du tout tourné à l’altercation, mais aux embrassades, à une franche accolade dans une primesautière bonne humeur confinant à l’hilarité.

Aucun des partis souverainistes européens ne renonce à siéger au parlement. C’est trop juteux.

Alors que Nigel Farage a reproché à ses collègues de n’avoir pas, pour la plupart, un « réel boulot » (alors que lui reste trader et cumule ses revenus de parlementaire avec ses rétributions et commissions), il s’est bien gardé d’inciter les souverainistes à renoncer à leur siège. L’ancien Premier ministre belge, Guy Verhofstadt a rétorqué que le chef de l’Ukip s’occupait surtout de montages dans les paradis fiscaux (ce qui explique peut-être sa cordialité avec l’ex-Premier ministre luxembourgeois). Comme Farage ricanait en retour, Verhofstadt a conclu : « bon, restons positifs, nous allons purger le plus grand gâchis du budget européen : vos indemnités… ». Rien n’est moins sûr…

La séance a notamment été marquée par des interventions de députés écossais, gallois, et de l’Ulster, fort applaudis, demandant l’instauration de relations privilégiées. Par ailleurs, le Plaid Cymru (Galles) a exprimé le désir de voir s’ouvrir un bureau diplomatique européen à Cardiff. Nicola Sturgeon, Première ministre de l’Écosse (SNP), sera sans doute chaleureusement accueillie, demain, mercredi, à Bruxelles.

Marine Le Pen, réjouie, pour une fois présente, a osé lancer que les Britanniques s’étaient assis souverainement sur « vos cours de bourse ». Elle ne doit pas lire la presse d’outre-Manche… Par exemple, le Virgin Group de Richard Branson a déjà perdu le tiers de sa valeur boursière. Elle s’est bien préservée de lancer un ultimatum pour que le Royaume-Uni puisse s’affranchir de la tutelle européenne au plus vite.

Elle s’était, précédemment, engagée à organiser un référendum en France après son élection à la présidence « dans les six mois ». Mais pourquoi donc six mois ? Pour que Philippot et d’autres continuent de percevoir des indemnités européennes ? Puis jusqu’au terme de longues, très longues négociations ?

L’Europe, on l’aime, ou la quitte ! Et au plus vite.

Farage, et la plupart des Brexiters, avaient invoqué de meilleurs droits de pêche en cas de Brexit effectif. La fédération des patrons pêcheurs britanniques se souvient à présent que la Grande-Bretagne n’est pas tout à fait l’Islande. Renégocier des quotas sera incertain et coûteux. « Qui paiera ? C’est une question critique. », soulève leur communiqué. Ben voyons, la réponse est simple : le contribuable britannique, ou le consommateur, s’il consent à payer plus cher des poissons ou fruits de mer pêchés par ses compatriotes. Et il faudra substituer des subventions britanniques aux européennes en faveur de la modernisation de la flotte et de filets préservant mieux le jeune frai. L’UE consent aussi des prêts à taux privilégiés aux pêcheurs britanniques : c’est Farage qui les remboursera ? On l’avait vu embarqué sur la Tamise, promettant monts de poissons et merveilles de revenus.

Sur cette question, WWF-UK remémore que ce ne fut pas l’UE, mais le gouvernement britannique, qui avait attribué les trois-quarts des quotas pour l’Angleterre et le Pays de Galles à seulement trois grands armateurs… Sans qu’alors l’Ukip s’en alarme.

Quand les souverainistes, presque tous issus de l’establishment qu’ils dénoncent,  tous dotés de solides revenus, se font les hérauts des « petites gens », ils encensent, sauf sans doute les polonais, Poutine et ses oligarques. Croit-on vraiment que c’est pour épargner les russes miséreux qu’ils plaident pour la levée des sanctions qui frappent la Russie ?

Tout comme la finance allemande, ils ne veulent surtout pas que le Royaume-Uni soit éjecté au plus vite de l’UE. Il faudrait lui accorder les meilleures conditions possibles, ne rien hâter. Par solidarité avec celles et ceux qui auront le plus à souffrir des conséquences ou pour ne pas laisser empirer un contre-exemple défavorable à leurs hypothèses ?

 

Vers une Europe totalement anglo-germanique ?

On commence à discerner ce qui se trame… Un Brexit en trompe l’œil, et le couple anglo-allemand modifiant encore plus profondément les mécanismes communautaires pour enrichir toujours davantage les plus riches au détriment de tous les autres…

Sans jouer vraiment les Cassandre, le pire n’étant jamais sûr, les dernières prises de position sur le Brexit des deux côtés de la Manche laissent penser qu’il sera totalement vidé de sa substance, que l’électorat britannique sera berné, et qu’une Union européenne encore plus libérale économiquement, consacrera la primauté du couple germano-anglais.

Plus le Royaume-Uni digère les lendemains de son référendum, plus se clarifient. Ce n’est pas tant, en soi, la sortie de l’Union européenne qui a motivé l’essentiel du résultat. Ce sont les appauvris, les laissés pour compte de la politique européenne dominée par les intérêts anglo-allemands qui ont manifesté un amer mécontentement dont il ne sera nullement tenu compte.

En fait, Merkel, Cameron, Altmaier, Johnson, Osborne, et bien évidemment les blairistes du parti travailliste, sont tous sur la même ligne : tout doit continuer comme avant, et même empirer. En cela, ils sont les meilleurs propagandistes des mouvements populistes qui finiront par l’emporter et dont les chefs de file trahiront sans vergogne les aspirations.

Ce qui se dessine, c’est un remaniement conservateur, avec peut-être une alliance entre Bojo, Gove et Osborne (ce dernier ayant été le plus actif des partisans du maintien dans l’Union). Et avec l’appui de l’Allemagne, un renforcement de l’emprise libérale sur toute l’Europe. Ce avec la complicité explicite des caciques du parti travailliste, tout disposés, comme ceux du parti socialiste en France, à des alternances sauvegardant l’essentiel : leurs intérêts, ceux de la finance, des très grandes entreprises.

Le spectacle politique en Europe est devenu une totale pantomime : depuis Margaret Thatcher, avec l’assentiment d’Helmut Kohl, puis de Gerhard Schröder, en dépit des apparences, la construction européenne a été dévoyée pour favoriser les intérêts des dirigeants anglais et allemands.

Lesquels s’accommodent fort bien de la montée en puissance des mouvements populistes que leurs orientations économiques ont largement favorisée. Qu’importe d’ailleurs qu’ils l’emportent, que l’Union européenne se désagrège, puisque les lois du marché subsisteront, qu’une politique ultra-libérale sera encore approfondie par leurs successeurs populistes d’extrême-droite.

Que viennent de déclarer Merkel par la voix de son porte-parole, Steffen Seibert, et Peter Altmaier, son bras droit à la chancellerie fédérale ? Qu’il est hors de question, jamais, de pousser l’Angleterre, qui tient l’Écosse en otage, hors de l’Union européenne. Les conservateurs britanniques pourront indéfiniment s’abstenir de demander l’application de l’article 50 du traité de Lisbonne… En revanche, en coulisses, on leur facilitera la tâche…

Les conservateurs partisans de la rupture ont totalement cessé d’intervenir sur les réseaux sociaux et les archives de leur site « Vote Leave – Take Control » sont devenues inaccessibles. La page d’accueil, remerciant les électeurs, ne comporte plus le moindre lien.

En fait, de fortes contradictions apparaissent entre les dirigeants conservateurs prêts à se rabibocher et faire durer l’incertitude en dépit des réactions négatives des marchés, contrairement à ce que vient d’affirmer Boris Johnson, et la base de leur parti. Le comité interne des Tories annonce que les candidatures pour la direction du parti devront être déposées au plus tard jeudi prochain et que l’élection devra intervenir le 2 septembre (et non plus courant octobre). Cela revient à pousser au Brexit, pour ne pas décevoir ce qu’ils supposent être une majorité de leurs électeurs. Pour des raisons différentes, Jeremy Corbin, le chef de file travailliste, très fragilisé, incite à ce que le résultat du vote soit respecté, et que la demande de retrait s’effectue au plus vite.

Mais cela n’obligera pas la ou le futur Premier ministre à présenter devant le parlement la discussion sur le référendum (qui n’a de valeur que consultative selon la constitution britannique) et l’éventualité de mettre en application l’article 50 avant… courant novembre.

Boris Johnson a rompu son silence en déclarant que « l’unique changement (…) est que le Royaume-Uni va s’extirper de l’opaque (…) système législatif européen ». Tout cela pour ça ? Rien sur l’immigration, rien sur le redéploiement de la contribution britannique à l’UE vers des services sociaux ou des investissements infrastructurels ? Certes, l’Allemagne est toute prête à concéder de nouvelles dérogations aux conservateurs britanniques, mais il serait grand temps de lui rappeler, véhémentement s’il le fallait, que le sort de l’Europe ne doit pas se décider entre Londres et Berlin.

Un léger espoir cependant. Le Medef, ainsi que les fédérations allemandes de l’industrie (BDI) et des employeurs (BDA) ont signé un appel commun pour que soit envisagée un « passage à la majorité et non plus à l’unanimité au Conseil européen des chefs d’État ou de gouvernement ». Cela impliquerait que le veto britannique, et les efforts de Berlin pour l’éviter en multipliant les concessions, en quasi-totale connivence depuis l’ère Thatcher, n’auraient plus lieu d’être. Mais est-ce autre chose qu’un vœu pieux ?

Cela a néanmoins incité Angela Merkel à réfuter toute ouverture de négociations officielles (ce qui n’en exclut pas de parallèles, bilatérales) entre les 27 et le Royaume-Uni tant que ce dernier ne se prononcera pas soit pour l’application de l’article 50, soit pour la réfutation, par le parlement, des résultats du référendum sur le Brexit.

C’est donner, formellement au moins, un timide appui à la position française. Ou plutôt l’inciter à s’infléchir ?

Ce que le Brexit a démontré, c’est que les peuples d’Europe ont réalisé que l’UE germano-britannique les a appauvris et entend continuer à les appauvrir encore. Il leur reste à bien prendre la mesure de l’illusionnisme des promesses populistes : Bojo a mené campagne avec des arguments très proches de ceux du Front national, du Parti néerlandais pour la Liberté (PVV), ou celui de l’Autriche (FPÖ), voire des partis au pouvoir en Hongrie et Pologne. Mais à présent, il ne songe plus qu’à ses intérêts personnels. Tout comme… ses modèles de circonstance.

Brexit : leave ou remain, une course contre la montre…

David Cameron, mardi 28 juin, sera-t-il contraint par ses homologues des 27 pays de l’Union européenne, de s’exprimer sur l’application de l’article 50 du traité de Lisbonne ? Dans ce cas, le résultat du référendum sur le Brexit serait irréversible. Or, un nouvel élément pourrait changer la donne : les expatriés, pratiquement tous favorables au maintien dans l’UE, en contestent la validité.

« Ils sont fous, ces Anglais ! » : il n’y a pas que le « petit » Breton Obelix à se gratter la tête à la suite du référendum « grand-breton » sur le Brexit…

Les partisans du maintien dans l’UE sont passés, outre-Manche, et même outre-Atlantique, vraiment à l’offensive. Individuellement, comme David Lammy, député travailliste, et d’autres parlementaires, qui soulignent que ce vote n’est qu’indicatif, que la décision finale appartient au parlement. Lequel est très majoritairement composé d’opposants à la sortie de l’Union. Collectivement aussi, d’abord par des manifestations, rassemblant surtout des jeunes dans les grandes agglomérations. Et aussi, ironie du sort, en signant massivement une pétition, qui devra obligatoirement être débattue par les députés, exigeant une nouvelle consultation. Le paradoxe, moins insolite qu’il n’y paraît, est que cette pétition a été lancée par un partisan du Brexit, et que ce sont ceux du Remain qui l’utilisent massivement.

À l’origine de cette pétition, un trentenaire, William Oliver Healey, qui craignait que le vote soit plus ou moins truqué et que le référendum tourne à ce que souhaitait David Cameron, soit une formalité confortant l’adhésion à l’UE.

On se souvient qu’à la clôture des bureaux de vote, ni Farage (Ukip), ni Gove (conservateur, pour la rupture) ne croyaient pas du tout à leur victoire. Pratiquement tout le monde estime que Boris ‘Bojo’ Johnson misait sur un résultat très serré en faveur du maintien. Beaucoup de votants pour le Leave admettent que leur suffrage s’apparentait davantage à une forme de contestation de la classe politique qu’à réelle volonté de rompre avec l’UE. Forcé de discuter de la pétition, qui va dépasser les trois millions de signatures, dont certaines douteuses, estimées par Brexiters à 80 000 (mais il n’en faut que 100 000 valides pour qu’il en soit ainsi), le parlement pourrait tenter de mieux prendre le pouls de l’opinion et de décider un retour aux urnes. C’est certes improbable, mais non exclu. Mais les députés auront-ils le loisir de renverser le cours des choses ?

Car si David Cameron et Boris Johnson ont déclaré qu’il n’y avait nulle urgence à déclarer que le Royaume-Uni demandait l’application de l’article 50 du traité de Lisbonne, les partenaires européens ne l’entendent pas ainsi. Soit David Cameron déclare, mardi 28, que les Britanniques veulent se séparer de l’UE (confirmant ainsi la validité du référendum), soit la réunion de Bruxelles serait ajournée. Nul besoin d’un écrit émanant du gouvernement ou du parlement, considèrent les 27.

Le nouvel élément, qui pourrait donner prétexte à David Cameron pour ne pas se prononcer, c’est que, d’ici mardi, de très nombreux expatriés pourraient réclamer l’annulation du référendum pour irrégularités.

Il est fort possible que malgré le fort écart de voix (51,9 % pour le oui à la rupture), une courte majorité de Britanniques soient, de fait, en faveur du maintien. D’une part, dans des régions favorables au maintien, nombre d’électeurs n’ont pu se rendre aux urnes à la suite de fortes inondations. D’autre part, un revirement d’un nombre significatif de votants pour le Leave est envisageable. D’une part, en Écosse et ailleurs, à la fois par crainte des conséquences économiques et en vue de rendre plus difficile la tenue d’un second référendum sur l’indépendance de l’Écosse.

Les expatriés se sont déclaré fort mécontents que celles et ceux résidant à l’étranger depuis plus de quinze ans ne puissent voter. Mais qui l’a pu conteste à présent que son vote par correspondance ait pu être pris en compte, ou qu’il a été de fait empêché de voter. Car, d’une part, dans divers pays, dont surtout la France, l’Australie et la Thaïlande, certains, dont aussi des touristes, n’ont jamais reçu leur bulletin en dépit d’une confirmation que leur demande avait été enregistrée. En d’autres cas, leur délégation de vote à un Britannique n’a pu être enregistrée à temps. Des cas de non-réception des bulletins de vote par correspondance ont déjà été recensés en nombre dans plus d’une douzaine de pays (dont aussi la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud, Hong Kong…). En d’autres instances, le bulletin est parvenu trop tard – parfois la veille du scrutin – pour pouvoir être retournés à temps.

Il est aussi fortement présumé que des postiers favorables au Brexit aient retardé ou empêché les envois (ou les auraient mal routé, un bulletin destiné à l’Australie a fini en Autriche, par exemple).

Les expats pouvant voter ne pouvaient le faire dans les ambassades ou consulats britanniques. Bien évidemment, certains expats, ou des touristes, voulaient se prononcer pour la rupture, mais ils sont considérés très minoritaires.

La commission électorale affirme qu’elle tiendra compte des cas signalés et les consignera dans son rapport. Cela pourrait-il suffire pour invalider le vote ?

Elle devra aussi se pencher sur un fait pour le moins insolite. La Cité du Vatican ne compte que 800 habitants mais près de 40 000 électeurs signataires de la pétition ont déclaré y résider. « Ils osent tout, ces Anglais ! », renchérirait Astérix.

On peut en douter, mais David Cameron pourrait arguer de ces divers facteurs pour éviter de se prononcer sur l’application de l’article 50 (qui donne deux ans au pays l’invoquant pour entériner la rupture d’avec l’UE). Avant le résultat, le Premier ministre démissionnaire avait indiqué que l’article 50 serait invoqué dès qu’il serait connu s’il était défavorable au maintien. Juste après, il a déclaré qu’il laissait cette tâche à qui lui succèdera (en octobre, a priori Boris Johnson, à moins que Matilda May l’emporte, mais elle a moins les faveurs des délégués conservateurs de la base).

Ce que veulent vraiment les Brexiters « mous », c’est de n’avoir pas à déclencher l’article 50. Ils souhaiteraient en fait de nouveaux accommodements, de nouvelles exemptions, et rejouer, avec un meilleur succès, le coup de Cameron (qui n’avait obtenu de Bruxelles qu’une dérogation sur l’attribution des aides sociales aux ressortissants étrangers). Bref, ils veulent du temps pour manœuvrer, convaincre d’autres pays à orientations ultra-libérales, diviser l’UE pour tirer une nouvelle fois leur épingle du jeu.

Ils sont de fait en position de force : certes, une simple déclaration orale pourrait suffire. Mais la date de l’application de l’article 50 est totalement du ressort de la partie demanderesse. Il n’est pas plus possible d’obtenir son déclenchement que, comme l’a souhaité Jean-Marc Ayrault, de forcer les conservateurs à désigner au plus vite un nouveau Premier ministre.  En contrepartie, rien n’oblige les 27 d’accepter d’entrer en discussions informelles afin de préparer un compromis. Vous voulez du temps pour discuter, tergiverser, gratter des avantages ? Non, nein, nu, niet, den, que no, ne… never !

Bojo, Gove, et tant d’autres se retrouvaient dans une situation délicate : Cameron s’abstenant de toute initiative, puis, en octobre, son successeur se voyant opposer une fin de non-recevoir, obligé de continuer à verser la contribution britannique à Bruxelles, d’appliquer les décisions de la cour européenne, pour un temps infini. Politiquement, ils se discréditeraient.

Prendraient-ils le risque d’attendre les prochaines élections générales, en mai 2020 ? Ou celui d’appeler à un vote anticipé ?

Un autre article pourrait s’appliquer, mais on voit mal sur quelles bases juridiques. Il s’agit de l’article 7 (qui s’appliquerait davantage à la Pologne ou à la Hongrie qu’au Royaume-Uni), lequel permet aux pays membres de révoquer l’adhésion d’un pays enfreignant les principes démocratiques de base ou appliquant des dispositions judiciaires léonines (soit s’affranchissant de l’égalité devant la loi). Carl Bildt, l’ancien Premier ministre suédois, a brandi, sans vraiment y croire, cette menace.

Tony Blair est aussi à la manœuvre : il suggère que le gouvernement britannique pourrait négocier informellement en promettant la tenue d’un nouveau référendum dans une ou deux années. Cela lui semble difficilement envisageable, mais, qui sait ? Rien n’est plus, selon lui, exclu.

Ce qui semble décisif, c’est que la valse-hésitation des conservateurs britanniques va amplifier l’incertitude des marchés financiers, retarder certains investissements, augmenter le risque de récession tant au Royaume-Uni que dans le reste de l’Europe, voire du monde.

On finira peut-être par apprendre, tout comme les Panama Papers ont révélé que la famille Cameron avait des avoir dans des paradis fiscaux, que Bojo boursicoterait contre la livre et l’euro, et les multinationales implantées au Royaume-Uni. L’argent n’a pas d’odeur, et la City aucune morale. Pas davantage qu’Angela Merkel qui parie que l’Allemagne profitera d’une période d’incertitude prolongée (comme le franc suisse, les emprunts allemands à taux négatifs drainent l’épargne de précaution, et un euro plus faible profitera d’abord aux exportations allemandes).

Le statut quo peut-il vraiment durer jusqu’en juillet 2017, date à laquelle le Royaume-Uni accéderait automatiquement à la présidence de l’Union européenne, imposant son agenda, jouant de nouveau sur les deux tableaux ? Pendant ce temps, l’Ukip et les plus radicaux des eurosceptiques tenteraient d’influencer d’autres pays afin qu’ils demandent aussi la rupture d’avec l’UE.

Ce qui pourrait accélérer le déclenchement de l’article 50 serait un fort mouvement des immigrés européens, beaucoup s’en allant, mais encore davantage affluant avant que le pont levis soit relevé (s’il l’est jamais vraiment). L’Ukip se ferait alors un plaisir de critiquer vertement les conservateurs… Si la France veut vraiment accélérer les choses, un signal fort serait de dénoncer au plus vite les accords du Touquet et le protocole de Sangatte. Stéphane Le Foll a exclu cette hypothèse. Il deviendra urgent d’y songer si, mardi, David Cameron tergiverse et que les conservateurs entendent souffler le chaud et le froid, avoir deux fers au feu pour attiser le brandon de la discorde… Lesquels, unanimement, après avoir fait de la réduction du nombre des immigrants un point central de la campagne (tant du côté Leave que Remain), avouent qu’au mieux, ils ne pourraient instaurer qu’un meilleur contrôle de l’immigration (soit sélectionner mieux les migrants qualifiés dont leurs industries et services ont besoin). Si des Britanniques (de moins en moins nombreux aux lendemains du vote) désirent un illusoire splendide isolement, qu’ils le prouvent au plus vite.

L’après-Brexit : complaisance ou fermeté ?

Outre l’annonce de la prochaine démission de David Cameron, ce qui a surtout frappé les esprits, au Royaume-Uni, c’est la très grande retenue de l’un – et non du seul, Teresa May reste une possible concurrente – de ses présumés successeurs, Boris Johnson. Loin de jubiler tel un Nigel Farage, Bojo l’a joué profil (très) bas. Peut-être présage-t-il que les présidents et chefs de gouvernement des 27 ne vont pas se montrer aussi coopératifs qu’ils le proclament.

Bojo, comme le surnomment les concitoyens de l’ancien maire de Londres, soit l’ex-citoyen étasunien et très cosmopolite Boris Johnson, redoutait-il une aussi nette victoire de son propre camp ? On en vient à penser qu’un résultat très serré, donnant de justesse le maintien dans l’Union européenne, aurait beaucoup arrangé ses affaires, soit ses ambitions…

C’est sous les huées de nombreux Londoniens qu’il a rejoint le lieu de sa conférence de presse. Et là, où donc était le flamboyant, le hâbleur et fort contradictoire Bojo ? Oh, Bojo, where’s your mojo! Pour une fois, il parut même sincère, voire au contraire, aussi désabusé qu’un moine prêcheur ayant perdu la foi mais devant malgré tout sermonner, sans conviction, des fidèles. Très peu fidèles, d’ailleurs…

D’une part, il apparaît clairement que les électeurs les plus précarisés ont majoritairement voté pour la sortie de l’UE. Or, Bojo n’a guère à leur proposer davantage que du sang et des larmes. Avant le vote, Nigel Farage, de l’Ukip, promettait que le rapatriement de la contribution du Royaume-Uni à l’Europe permettrait de redresser le NHS, le National Health Service, qui fonctionne à peu près, mais avec de plus en plus piètres résultats, comme la Sécu et l’Assistance publique françaises. Il a dû faire volte-face, concéder que ses propos étaient clairement « une erreur ».

Pour Bojo, le Brexit ne signifie plus du tout couper les ponts avec le continent, et encore moins fermer le Shunnel sous la Manche. Deux préoccupations l’habitent désormais. L’une, s’il parvenait au 10 Downing Street, est budgétaire. L’autre est clairement politique. D’une part, si les votants pour le maintien l’ont fait en traînant les pieds, et par réalisme, parmi les très enthousiastes partisans de la sortie jeudi se retrouvent des ahuris et des inquiets vendredi. Ils ne croyaient pas vraiment que leur bulletin amplifierait un score si net. L’autre souci de Bojo, c’est que la xénophobie affichée par l’Ukip lui vaudra le ralliement des déçus qui estimeront que les conservateurs partisans de la sortie n’en feront jamais assez…

Polonais, Baltes, Roumains, ne quitteront pas la Grande-Bretagne de sitôt. Mais comme du temps de la prime au retour accordée aux immigrés sous la présidence de Giscard d’Estaing, un départ de ces immigrés signifiera une dévitalisation de quartiers, voire de localités entières, la faillite de nombreux petits commerces, une régression des loyers, &c. Sans que, forcément, pour autant, les emplois libérés soient repris par des nationaux. Mais l’Ukip mettra les conséquences sur le dos des conservateurs et réclamera toujours plus de mesures amplifiant le phénomène (en espérant peut-être qu’elles seront peu ou mal appliquées).

Autre sujet d’inquiétude : certaines régions sont largement bénéficiaires des fonds européens. Le Pays de Galles, sauf Cardiff et les régions côtières faisant face à l’Irlande, les plus celtisantes (et aussi universitaires), a majoritairement voté pour la sortie. Mais c’est la province – tout comme les Cornouailles, qui ont voté nettement aussi pour la sortie – qui reçoit le plus de la manne européenne.

Aussi, en Cornouailles, où l’UE finance un parc naturel, l’Eden Project, l’aéroport de Newquay, et aide considérablement le secteur éducatif, dès vendredi, des élus ont demandé, si ce n’est plutôt exigé, des assurances pour les 60 millions de livres annuelles que fournit l’UE soient intégralement compensés.

Il n’y a donc plus d’urgence, pour Bojo, à l’inverse de ce qu’il professait voici peu, d’invoquer l’application de l’article 50 du traité de Lisbonne. Chaque chose en son temps, ne précipitons plus rien. Sans doute espérait-il qu’un David Cameron fragilisé par un résultat sur le fil du rasoir, mais favorable au maintien, finirait par lui céder la place. À l’inverse, il peut envisager un effritement du vote conservateur dans les classes populaires, avec report vers l’Ukip (si ce n’est un retour vers le Labour), ainsi qu’une campagne difficile en cas de nouveau référendum sur l’indépendance de l’Écosse, quelques problèmes avec l’Ulster, et même de quoi perdre des cheveux. Et il s’est montré fort réticent à porter la moumoute.

Il n’est pas du tout sûr que les dirigeants européens se montrent aussi complaisants envers un Boris Johnson, qu’il soit en première ligne des négociations ou dans les coulisses, qu’ils l’ont été à l’égard d’un David Cameron.

Cela pour des raisons tenant à la fois à l’économie qu’à leur devenir politique. Certes, l’Allemagne, alors que la Commerzbank et la Deutsche Bank vont être fragilisées par le Brexit, va temporiser, préconiser de ne pas laisser la livre s’effondrer, ni de risquer qu’un pays client pour ses exportations, ses investissements, sombre dans une forte récession. Mais l’Allemagne devra composer avec de multiples partenaires qui, parmi les 27, voudront obtenir de fortes contreparties. Voire seront désireux de favoriser tel ou tel secteur industriel ou financier souhaitant un affaiblissement de la concurrence britannique.

Mais les classes – ou plutôt castes – politiques au pouvoir ou le briguant sur les bases du jeu politicien traditionnel entre grands partis et formations affidées, se voient confrontées à un autre dilemme. Si le Brexit s’effectue trop en douceur, les opinions publiques se formeront la conviction que rien ne change de fondamental. Qu’en fait, les Britanniques auront eu presque tout à gagner, peu à perdre, qu’une monnaie nationale peut résister à la sortie de l’Eurozone…  Des mouvements populistes pourront s’en trouver confortés, déclarer que le réalisme est de leur côté. D’autres, plus radicaux, reprenant les diatribes de l’Ukip sur l’immigration, qui ne sera pas jugulée au Royaume-Uni du jour au lendemain, accuseront l’Union européenne d’avoir imposé des clauses trop libérales, ou au contraire trop contraignantes (la contradiction ne gênant nullement ces mouvements), et qu’une sortie de l’Union, sur leurs bases nationalistes encore plus fermes, est la seule issue envisageable.

Finalement, les dirigeants européens se retrouvent dans une position similaire à celle de Bojo. Qui est désormais confronté à la nécessité d’en faire assez (pour rester populaire auprès d’un électorat versatile), mais surtout pas trop.

Peut-être devront-ils supporter ce Bojo trainant dans la boue la Commission et le Parlement européens dans ses discours pour la galerie, mais sachant, tel un David Cameron, jusqu’où aller trop loin pour préserver les intérêts de la City, et des classes dirigeantes et possédantes dont il est issu.

Les caciques du parti conservateur peuvent détester Bojo, ils savent que l’écarter totalement jettera une forte partie de leur électorat dans d’autres bras.

L’un des facteurs que les dirigeants européens devront soigneusement considérer découle des observations des analystes politiques britanniques au lendemain du scrutin. D’une part, la poussée du nationalisme, d’un sentiment national qui se traduit, au Royaume-Uni, par un effritement du sentiment d’appartenance à une nation britannique au profit d’un sentiment identitaire purement anglais (d’une part, c’est surtout l’Angleterre qui a voté majoritairement pour le Brexit, mais ailleurs, ces électeurs se définissent de plus en plus « anglais » et non plus « britanniques »).

D’autre part, sans qu’on puisse vraiment parler d’inconséquence, de sous-information crasse, il s’est trouvé que 7 électeurs pour la sortie sur 10 n’ont pas vraiment eu l’impression que leur vote revêtait une grande importance (contre le quart seulement des votants pour le maintien). Ce soit qu’ils aient estimé que leur camp ne l’emporterait pas (ce n’est qu’en dernière semaine que les sondages ont indiqué un réel risque de sortie de l’Union), soit qu’ils n’ont pas mesuré l’ampleur des répercussions.

Pourtant, la participation a été particulièrement forte (et aurait pu l’être davantage si des inondations n’avaient pas dissuadé de se rendre aux urnes, dans certaines contrées). Cela implique que des électrices, des électeurs peuvent tenir très faiblement compte des discours, des informations, débats, &c., et se laisser guider soit par de fortes convictions (nationalistes ou xéno-nationalistes), soit par une sorte d’impulsion, un vague sentiment…

Les outrances du camp Leave n’ont pas vraiment effarouché son électorat, les exagérations alarmistes du Remain ont en revanche été prises pour telles (il n’y a pas eu qu’Emmanuel Macron à comparer l’importance d’un Royaume-Uni hors-UE à celle de Guernesey), qu’elles soient tolérées par ses partisans ou qu’elles aient eu l’effet inverse : une désaffection poussant dans le camp du Leave.

La crédibilité des argumentaires pour ou contre la sortie, qu’elles émanent de personnages politiques ou d’experts, a été prise à la légère par une large fraction d’un électorat s’impliquant finalement assez peu par son vote. Ce qui s’est produit au Royaume-Uni peut se reproduire dans d’autres pays…

Le vote « britannique » (en fait, très majoritairement anglais, hors Londres et autres exceptions fondées, aussi, sur des considérations de classe) a aussi été une protestation contre des « élites » estimées de plus en plus distinctes, séparées, et indifférentes aux préoccupations du « peuple ». Bojo a, tout aussi habilement qu’un Jean-Marie Le Pen en son temps, avec le même aplomb compte tenu de ses origines, de sa formation (Eton, Oxford), de sa fortune, interprété cette partition. C’est en fait un excellent bonimenteur, un aguerri charlatan. Il en est d’autres en Europe continentale. Qui pour se faire élire ou progresser dans la hiérarchie politicienne, s’inspireraient de son exemple.

Trouver la juste mesure dans les futures relations, économiques et politiques, que l’Union entretiendra avec le Royaume-Uni (mais aussi, parallèlement, avec l’Écosse et l’Irlande du Nord… voire… la Catalogne) sera ardu. D’autant plus que les conservateurs britanniques tenteront de se trouver des alliés en divers pays de l’Union. En développant le thème, comme Bojo, du « plus Européen que moi, il n’y a pas, mais on peut rester nationaliste comme cela nous arrange ». Il a du bagout, et si cela semble lui réussir durablement, il fera des émules. La fermeté sur l’essentiel s’impose donc, tout comme la souplesse sur l’accessoire. Et il faudra, enfin, savoir convaincre de la justesse des mesures. Jusqu’à présent, force est de constater que l’Union européenne n’a pas su convaincre une majorité de Britanniques…

Le Brexit acté par 52 % des Britanniques

La BBC n’a pas attendu que tombent les résultats des votes du Somerset – en faveur de la sortie de l’Union européenne – peu avant 7 heures ce matin, pour annoncer que le Royaume-Uni s’était prononcé pour le Brexit. Vers 07:11, cinq résultats étaient encore attendus, mais, avec plus de 17 millions de votants en faveur du « out », une majorité avoisinant 52 % ne laissait plus aucun doute sur l’issue… Autre résultat qui n’était guère envisagé : la démission du Premier ministre, David Cameron.

Ce fut une nuit riche en rebondissements. Très logiquement, les premiers résultats laissaient envisager une très légère avance pour les partisans du Brexit. Mais, par deux fois, le camp du « Remain » est repassé en tête. Insuffisamment… Ce n’est en fait que vers cinq heures du matin que s’est affirmée l’éventualité d’une victoire du camp « Leave ». Encore ne lui concédait-on qu’une courte avance. Ce n’est pas le cas : le différentiel de voix est d’un peu plus d’un million et le pourcentage du camp vainqueur frôle les 51,9 %.

Les directeurs des instituts de sondage ont présenté ce qui s’apparente à des excuses, et sans toutefois se frotter les mains, les bookmakers ont enregistré, très tôt, un renversement de tendance qui ne s’est pas démenti…

C’est en particulier l’Angleterre, et pour une majeure partie le Pays de Galles, qui ont projeté le Royaume-Uni hors de l’Union européenne. L’Écosse, contrairement à ce qui pouvait être redouté, et en dépit de dissidences manifestées au sein du SNP, le parti indépendantiste, n’a pas penché, par calcul, pour une sortie de l’UE. Mais environ 38 % des électeurs votant en Écosse se sont prononcés pour le Brexit. Il n’y a eu en fait que l’Irlande du Nord et Londres pour accorder une nette majorité au maintien dans l’Union, ainsi que, dans une moindre mesure, les comtés du centre et du sud regroupant de fortes proportions d’étudiants et de membres des classes moyennes supérieures.

Le Parti travailliste, qui redoute que Bojo (Boris Johnson) et les plus droitiers des conservateurs, affranchis des directives européennes, rognent résolument les avantages sociaux et allongent la durée du travail, n’a été que mollement suivi, voire souvent désavoué. Une large partie de son électorat a sans doute été plus sensible à la concurrence que représentent les immigrés (Polonais, Baltes et Roumains en particulier) sur le marché du travail. La direction du Labour Party a diffusé des éléments de langage pointant un vote sanction contre le gouvernement et la classe possédante.

Le sort du gouvernement de David Cameron semble en suspens. Boris Johnson et d’autres l’auraient volontiers laissé s’empêtrer avant de faire pression. Il les place face à leurs responsabilités en annonçant, une petite heure après la proclamation des résultats définitifs, sa démission. Elle deviendra sans doute effective en octobre prochain (après le congrès de son parti). L’Ukip, dont le chef de file, Nigel Farage, estimait, dès la fermeture des bureaux de vote, que le suffrage pour le maintien l’emporterait (et en faisait porter la responsabilité à l’organisation du scrutin), peut pavoiser.

Le futur, à moyen terme, est incertain… L’Écosse pourrait exiger un second référendum sur son indépendance. Il se pourrait même que l’Irlande du Nord songe à se rapprocher de Dublin.

Quant au futur proche, sauf dérapages, incidents chaotiques, ou réactions durables des marchés, notamment asiatiques, il semble orienté vers la circonspection. Le processus sera long et il n’est pas du tout sûr que les conservateurs ayant appelé à voter pour le largage des amarres veuillent vraiment le hâter.

Le Brexit selon Macron : du machiavélisme de comptoir ?

Pour la seconde fois en trois mois, Emmanuel Macron, outrepassant son rôle et ses fonctions ministérielles, a évoqué un Royaume-Uni hors de l’Union européenne devenu aussi insignifiant mondialement que Guernesey. Malhabile provocation ou hypocrite volonté de faire gagner le camp du Brexit ?

En comparant le Royaume-Uni sorti de l’Union européenne à un comptoir commercial de l’importance de Guernesey, Emmanuel Macron s’est soit comporté en parfait crétin, soit en harangueur d’estrade. En plus, il récidive…

Il est fort probable que, si le Royaume-Uni se séparait de l’Union européenne, David Cameron (ou Boris Johnson ou tout autre conservateur pouvant le remplacer au 10 Downing Street) négociera avec Bruxelles – soit de fait avec les chefs d’État et les ministres des finances de l’UE – un statut proche de celui des pays hors union mais appartenant à l’Espace économique européen. Il s’agit de trois pays signataires de l’Association européenne de libre-échange (Norvège, Islande, Liechtenstein) auxquels on peut ajouter la Suisse, signataire elle-aussi mais n’ayant pas encore ratifié le traité de l’AELE.

Dans ce cas, il y a fort à parier que les pays membres de l’UE imposeront des conditions similaires à celles s’appliquant à ces pays.

Pour la majorité de la classe politique norvégienne, ficelée par les résultats de deux référendums rejetant l’adhésion à l’UE, ce statut n’est guère avantageux. Pour continuer à faire pression dans les coulisses de Bruxelles, le gouvernement, le patronat et les syndicats norvégiens s’accordent au moins sur la contrepartie : une contribution financière importante. La Première ministre norvégienne, Erna Solberg, s’exprimant récemment dans Politico, a conseillé aux électeurs britanniques de ne pas s’aventurer dans cette voie : la Norvège s’est vue contrainte d’intégrer l’espace de Schengen, s’acquitte d’une contribution proportionnelle à ses revenus qui est relativement plus importante que celle du Royaume-Uni – lequel bénéficie d’une dérogation obtenue par Margaret Thatcher –, et s’aligne sur la plupart des décisions juridiques de l’Union (environ les trois-quarts) sans pouvoir opposer un veto. En sus, son gouvernement entretien une cinquantaine de délégués permanents dans les couloirs bruxellois ; patronat et syndicats font de même.

Dans un entretien accordé au Monde, Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, a précisé la position française : en cas de Brexit, la contribution britannique sera similaire à celles des pays de l’AELE. Mais il a assorti ce qui peut être pris pour une menace financière d’un insolite comparaison, déjà employée précédemment. Hors de l’UE, le Royaume-Uni se retrouverait dans la situation d’un comptoir commercial dont l’influence serait comparable à celle d’une île anglo-normande, Guernesey. Pourquoi pas Chausey ou Sercq, voire Sainte-Hélène (ou l’inhabitée Rockall, d’une superficie de 25 m²) ?

Une comparaison avec le Japon, qui est aussi, comme le serait le Royaume-Uni coupé de l’Union, « un petit pays à l’échelle du monde », aurait été concevable. Celle-ci est d’une outrance inconvenante et on peut se demander si Emmanuel Macron la formulée sciemment ou non.

Elle est de nature à inciter les eurosceptiques encore indécis à se rendre aux urnes pour lui adresser en retour l’équivalent du mot de Cambronne : F*** you ! De quoi renforcer la détermination des partisans du Brexit à ne surtout pas s’abstenir.

On feindra de croire qu’Emmanuel Macron, qui souhaite un renforcement de l’Union, et que se développe un sentiment d’appartenance à une Europe plus fédérale encore, et vaguement moins néolibérale (ben tiens, venant de lui…) considère que celle-ci gagnera à se conforter sur l’espace continental, ce qui implique que le Royaume-Uni largue ses amarres.

La provocation est toutefois quelque peu grossière, et même injurieuse. À trop vouloir copier les méthodes et les propos de Sarkozy, Emmanuel Macron s’expose à des dérapages que même l’ex-président sait mieux contrôler.

Les Britanniques, et surtout bien sûr les Anglais, ont été exaspérés par les exagérations, les arguments confinant au chantage, à l’alarmisme outré d’une large partie de la classe politique et des castes industrielles ou financières s’opposant au Brexit.

Pour le continent, les conséquences du Brexit ne seraient pas qu’économiques ou diplomatiques (puissance nucléaire, disposant d’un veto à l’Onu, le Royaume-Uni est aussi un partenaire précieux).

Les répercussions sur la politique intérieure des pays adhérents présenteront des similitudes avec ce qui risque de se produire au Royaume-Uni. Soit un renforcement de l’influence de l’Ukip, le parti de Nigel Farage. Un parti xénophobe, ultra-nationaliste, qui s’efforce de gagner en respectabilité (notamment en se rapprochant de Dupont-Aignan, infligeant ainsi un camouflet à Marine Le Pen et au FN).

Le nouveau chancelier autrichien, Christian Kern, est tout aussi inquiet des conséquences du Brexit : il encouragera les électorats populistes en Europe. Ceux-ci se sont notoirement renforcés en Autriche du fait de l’afflux d’immigrés et le candidat du FPÖ (parti de la liberté de l’Autriche), Norbert Hofer, a failli de très peu emporter l’élection présidentielle. Le chancelier autrichien estime que la dérive néolibérale de l’Union européenne facilite la montée en puissance des partis nationalistes et populistes.

L’exagération d’Emmanuelle Macron a été fraîchement reçue au Royaume-Uni. Même le lectorat du quotidien en ligne The Independent a majoritairement ironisé, ou s’est offusqué. Il a même été avancé que « l’élite politique française déteste le Royaume-Uni et se sentirait les coudées plus franches si le Brexit l’emportait… ». Ou que, ex-banquier d’affaires, il poussait l’électorat anglais vers la sortie afin de renforcer l’influence de la finance continentale. Sa pique révèle une vanité injurieuse et « ajoute de nombreux votes aux partisans du Brexit. ».

Les plus mesurés l’ont comparé au soldat français du film des Monty Python, Sacré Graal (soit un petit roquet finissant déconfit, et toussotant des cocoricos sur son tas de fumier).

On épargnera à Emmanuel Macron les commentaires glanés dans la presse populaire anglaise…

Un commentateur sur le site du Financial Times pose clairement la question : « serait-ce que le gouvernement français tente de saper le camp du Remain et de pousser au Brexit ? Ou que la France se considère toujours être le centre du monde ? ».

Un autre semble avoir été inspiré autrement par cette menace de représailles : « et si on mettait tous les produits consommables français en quarantaine aux îles Scilly ? » (avant de pouvoir être mis sur les rayons anglais). De quoi renforcer la réputation du pays des fromages « qui puent ».

Il est certain qu’en France, nombreux sont celles et ceux qui considèrent que la sortie du Royaume-Uni permettra de renforcer la coopération européenne. Günter Oettinger, le commissaire allemand à l’économie numérique (après avoir été chargé de l’énergie) est d’ailleurs de cet avis. Le seul contre-argument qu’il envisage tient au risque d’un « effet domino » que Macron a écarté d’un revers de main : les Pays-Bas ou le Danemark pourraient être tenté de suivre…

Dans ce cas, la crédibilité de partis comme le Front national serait raffermie. Macron roulant pour le FN ? On attend désormais les réactions de Jean-Marc Ayrault (Affaires étrangères) et d’Harlem Désir (Affaires européennes) ou même de Matthias Fekl (Commerce extérieur, promotion du tourisme… parmi les réactions suscitées par Macron outre-Manche figure le boycott des produits français). Jean-Marc Ayrault, en visite à Londres, avait su employer les mots confortant la position de David Cameron, « on ne demande pas aux Britanniques de nous suivre dans tout, chacun fait ce qu’il veut, l’Europe différenciée a été actée » (sous-entendu : ce référendum, imposé au Premier ministre britannique, n’a plus vraiment lieu d’être). Quant à la pertinence d’évoquer des renégociations financières en cas de Brexit, il revenait à Michel Sapin d’en décider.

Pourtant, Emmanuel Macron a réussi : à (re)faire parler de lui. C’est de plus, sur la question, un récidiviste. À la mi-avril dernière, en termes à peine mieux mesurés, devant Andrew Marr, de la BBC, il avait déjà évoqué Jersey et Guernesey, et même un renforcement des contrôles des porteurs de passeports britanniques. Le Daily Express avait alors donné largement la parole à des partisans du Brexit pour répliquer et lui dire son fait : « plus des ministres français parleront de la nécessité pour nous de rester dans l’Union européenne, mieux c’est car cela revient à inciter davantage d’électeurs à voter pour la sortie. ». Total ahuri ou politicard prêt à tout afin de se mettre en avant ?

Charitablement, on optera pour une troisième hypothèse : Macron prépare son retour dans le secteur bancaire français et parie sur un Brexit qui affaiblirait la City. Pari risqué et quelque peu cynique. Comme Siné avait pu le dire d’un fils de Sarkozy, « il ira loin, ce petit ».

À moins qu’il soit assez retors pour imaginer qu’un vote pro-Brexit ne serait pas entériné par le parlement britannique : 68 % des députés sont pour le maintien dans l’Union. Mais on voit mal celles et ceux craignant pour leur réélection s’aventurer à censurer une majorité de leurs électeurs. In fine, il est vain de supputer qu’Emmanuel Macron réfléchisse autant, si ce n’est à son propre destin…