Sonic : avis sur le nouveau comics

Le comics Sonic a fait les beaux jours de l’éditeur Archie pendant de nombreuses années, puis a tiré sa révérence. Mais les aventures de la mascotte de SEGA ne sont pas terminées : après avoir trouvé un nouvel éditeur, la nouvelle BD du hérisson bleu est disponible depuis peu chez nous, en version française, grâce à Mana Books. Voyons ce que vaut le tome 1. Continuer la lecture de « Sonic : avis sur le nouveau comics »

Émilie, roman « sans paroles » d’Aïssa Lacheb, aussi figeant que remuant

C’est un condensé d’émotions, maîtrisé, aussi tamisé que la lueur hivernale d’une aube de bombardements. Le sujet : la Grande Guerre, vue côté allemand, à l’Ouest, parmi les frères d’armes d’un Erich Maria Remarque, là où erre une fillette mutique, Émilie.

Je ne sais si Aïssa Lacheb a écrit ce livre les yeux embués de larmes, mais sa lecture les fait venir aux paupières. Je ne sais non plus ce qui le lui a vraiment inspiré, tellement il tranche d’avec ses romans et essais antérieurs. Ce qu’il en dit ? Soit le récit de deux rescapés allemands de la première ligne de défense du mont Cornillet, dans les ruines presque totalement recouvertes d’éclats d’obus de l’ex-village de Nauroy. Sans doute. Peut-être, en amont, vers l’Aisne, le Chemin des Dames, si souvent revisité par les regrettés Yves Gibeau, écrivain, et Gérard Rondeau, photographe, qui en ont fait resurgir le souvenir dans les années 1990.
Un mot tout d’abord sur la couverture d’Olivier Fontvielle, très inspirée par la série de trois albums BD de Jacques Tardi sur la boucherie de 1914-1918, qui campe Émilie à découvert, recouvrant de branches et d’herbes les boueuses sépultures (comment employer « les tombes » ?) des fantassins allemands. Il fait subsister quelques pâquerettes en premier plan ; celles de naguère… Les fantassins sont terrés dans leurs tranchées, en proie à la panique, à l’abrutissement, au désespoir, à l’envie de se rendre pour éviter les « nettoyeurs » français qui achèvent les blessés, et trop souvent acculés à la folie, au suicide. Autre préambule : hormis celle la presse régionale du Grand Est, de France Bleue, et surtout de divers libraires subjugués, cet Émilie n’a pas eu encore la reconnaissance critique qu’elle mérite. Cela viendra… Assurément.

Condensé, contenu, étouffé

Les prières d’insérer vantent l’érudition de Lacheb, qui s’est amplement documenté sur le conflit. C’est tomber à côté de la plaque : si elle est indéniable, elle ne s’exprime jamais. Pas d’étalage, nul pittoresque, aucun détail inutile, l’auteur s’en tient à signaler, parcimonieusement, quand c’est indispensable, le calibre des obus qui vont ensevelir plus d’un millier de soldats sous le mont Cornillet, et la taille des éclats qui jonchent encore le site et bien au-delà. Toute cette contrée est restée domaine militaire pour l’interdire au public toujours exposé à des blessures encore parfois mortelles. Dialogues réduits au minimum… Récit court, mais si lourd, si dense. Lacheb ne cherche pas à « voir » par les yeux d’Émilie, devenue muette après avoir perdu sa famille et raté l’évacuation. Elle a dix ans à peine, et elle ne hurlera qu’une fois, hagarde, en voyant s’avancer le feu roulant de l’artillerie française. Les soldats lui parlent parfois dans une langue qui lui est inconnue, mais surtout par gestes et mimiques. C’est à travers les regards de ces soldats sur elle que Lacheb construit son récit avec une sobriété acérée. Mais quelle langue… Épurée au possible. On pense à Michel Doury, ex-officier de marine, devenu Sedanais, traducteur angliciste et auteur, à de rares autres n’écrivant qu’avec des mots simples, usant de litotes, écrivant « plat » – art formidablement exigeant –, mais avec une si poignante force évocatrice.

Petite princesse lunaire

Du mont Cornillet, en 1974, on extirpa des membres, rarement les cadavres entiers de quelques dizaines de soldats de divers régiments, puis l’année suivante, les restes de seulement 321. Nouvelle tentative en 1984, et exhumation de 265 corps, pour la plupart asphyxiés dans les travées et coursives de cet immense et immobile bâtiment. Puis on renonça à dégager les galeries effondrées, on reboucha les entrées obstruées plus loin, les tunnels et puits sans fond d’aération, ensevelissant de nouveau sans doute bien plus de 500 dépouilles. Aïssa Lacheb se rendit, le 20 mai 2017, pour le centenaire de l’offensive française, à une commémoration. Il gravit seul jusqu’au sommet, en clandestin s’exposant au dérapage sur le tapis d’éclats métalliques, à une explosion de munition encore munie d’un détonateur intact… « Du regard j’ai longtemps cherché Émilie (…) Il y avait une Émilie de son âge dans les archives départementales (…) J’ai senti sa présence (…) C’était une sensation puissante de douleur et d’espoir, un souffle violent et tendre à la fois. ». Cette dernière phrase est l’unique qu’il s’autorise pour résumer le ressenti qui imprègne tout l’ensemble de son récit, ô combien prenant, perturbant… déchirant, et même déchiquetant, emploierai-je pour traduire heartrending.

Quand elle n’est pas prostrée, Émilie vagabonde là où nul soldat ne s’aventure. Elle était sortie de sa ferme éventrée « couverte de fragments de peau, de chair, de sang ». Les soldats la retrouvent indemne, sanguinolente, avec « de la matière humaine, accrochée à sa chemise, [qui] glissait le long de ses bras, de ses jambes. ». Dès lors, elle n’émit plus un mot, passa son temps à recouvrir les cadavres de restants de végétation, car il n’est plus de floraison. Ce n’est parfois qu’une ombre qui remémore aux soldats leurs propres enfants, souvenir fugitif que chasse la mitraille ou les démangeaisons des poux, ou la soif et la faim, la douleur des blessures, un éclat de bois quand il faut consolider, en vain, la tranchée — tâche abrutissante, sans cesse renouvelée. Bien plus que l’inconscience d’Émilie, c’est la conscience des combattants – ceux des deux bords, même si les « bleus », les poilus, sont à peine esquissés –, ou plutôt leurs émotions, que l’auteur fait partager. Le père d’Aïssa Lacheb, un harki, n’avait pas été rapatrié indemne d’Algérie. Son fils mentionne les zouaves algériens qui menèrent l’assaut du mont Cornillet, incidemment, sans aucunement s’y attarder. À Reims, en 2014, fut érigée une réplique de la statue de Bamako honorant « la mémoire des armées noires ». Il en est une autre, différente, à Merfy, non loin de Reims, rappelant le sacrifice des tirailleurs sénégalais au château de Maretz, en mai 1918. Ce n’est pas du tout le propos d’Aïssa Lacheb, qui campe des soldats universels et conclut sur cette phrase de Soljenitsyne : « Comment l’humanité a-t-elle pu tomber si bas ? ».
Aïssa Lacheb ne s’est pas emparé du personnage d’Émilie en conteur champenois ou du Schleswig-Holstein, de Cochinchine ou d’ailleurs. Ses combattants n’ont ni nom, ni prénom, hormis un certain Hans, celui d’entre eux qui s’attache le plus à arracher un sourire à la fillette.
Cherchez ailleurs des allusions aux guêtres ou autres bandes molletières, aux insignes régimentaires : mal ravitaillés, ces soldats sont devenus des gueux, enviant parfois le sort du déserteur qu’ils sont forcés de fusiller sans le moindre ressentiment à son encontre ou celle de l’officier qui ordonne. Ils restent le plus souvent hébétés, et finalement si semblables à Émilie restée si près de son foyer détruit, mais dont le souvenir s’enfuit dans ce désastre méconnaissable, si ravagé qu’il ne peut plus évoquer rien d’autre que lui-même. Inutile de dessiner à Émilie un mouton : voilà des mois que le dernier a été mangé ou trop éclaté pour en récupérer des lambeaux. On ne sait ce qu’elle peut dessiner sur des feuilles souillées récupérées dans la mairie-école effondrée, mais on s’en doute : des explosions, encore, toujours des explosions. Peut-être, à l’arrière, un insolite ballon d’observation hors de portée des tirs adverses. Avec deux-trois avions, ce sont les seuls éléments du décor tranchant sur tout le reste, sur tout ce qu’il reste, faute de pouvoir subsister. Difficile de sortir indemne de ce roman, difficile aussi de ne pas le reprendre au début. L’entrée en matière, l’évocation du monde d’avant, c’est un extrait du cahier de doléances des gens de Nauroy, en 1789. Il suffit. À cette misère, au printemps 1917, rien ne succéda : strictement rien. Ni âme, ni bête, juste du fer et des ossements.

Émilie, Aïssa Lacheb, Diable Vauvert éd., fév. 2018, 128 p., 15 eur.

Quand le Manga réinvente les Grands Classique de la Peinture – Avis

Dans un monde de plus en plus connecté, il semble paradoxal de constater que l’art traditionnel occupe une place de plus en plus importante. Dans les publicités, dans les jeux vidéo et ailleurs, on voit régulièrement des œuvres d’art anciennes ou contemporaines. Je vais donc vous parler d’un livre qui veut revisiter de grands tableaux façon manga. Continuer la lecture de « Quand le Manga réinvente les Grands Classique de la Peinture – Avis »

Avis Fallout 4 Imaginer l’Apocalypse (Artbook)

Depuis le 4 janvier 2018, les fans français de Fallout 4 peuvent se procurer l’artbook officiel en français du jeu. Une bonne initiative qu’on doit une fois de plus au tout récent label Mana Books. Cet ouvrage est-il à la hauteur ? La réponse un peu plus bas. Continuer la lecture de « Avis Fallout 4 Imaginer l’Apocalypse (Artbook) »

Metal Gear Solid Projet Rex, le jeu version papier

Metal Gear Solid est une série de jeux vidéo d’espionnage/infiltration imaginée par Hideo Kojoma et éditée par Konami. Cette série se caractérise par des scènes très cinématographiques, des valeurs pacifistes et une grande réflexion sur la guerre. On peut maintenant se procurer Metal Gear Solid Projet Rex, la BD adaptée du premier jeu, en version française, grâce à Mana Books. Mon avis sur ce nouveau comics. Continuer la lecture de « Metal Gear Solid Projet Rex, le jeu version papier »

Bloodborne, l’artbook officiel enfin en Français

Mana Books continue de faire la joie des joueurs en proposant toujours plus de livres dédiés aux jeux vidéo. Juste après Halloween, l’artbook Bloodborne débarque parfaitement dans l’ambiance de la saison automnale, sombre et morose. Continuer la lecture de « Bloodborne, l’artbook officiel enfin en Français »

Mana Books : L’éditeur répond aux questions

Je vous ai déjà parlé de Mana Books, le nouveau label spécialisé dans les livres dédiés aux jeux vidéo. Après le comics Silent Hill et l’encyclopédie Final Fantasy, c’est Overwatch qui débarque la semaine prochaine. Il y avait donc matière à poser quelques questions, et les réponses ont été rapides. A lire tout de suite. Continuer la lecture de « Mana Books : L’éditeur répond aux questions »

Charly mouche et fouette Macron et Ça sent la rose !

Déjà auteur d’un Le Pot aux roses consacré à François Hollande, Charly (Charles Duchêne de son pseudo antérieur) récidive, toujours aux éds JBDiffusion, en décochant des piques à Emmanuel Macron dans un (prématuré ou prémonitoire, c’est selon) Ça sent la rose !.

Si la première impression compte, celle de Ça sent la rose collera durablement aux basques d’un président que Charly, devenu féroce pamphlétaire tel le père Duchesne (1789 et suivantes, pseudo collectif d’un précurseur du Marat publiciste de L’Ami du peuple), poursuivra sans doute de son exécration. Car ce petit opus d’une petite centaine de pages, quinzième du genre (depuis Il présidera, 2005), aura assurément une suite. Toujours en compagnie du caricaturiste du Canard enchaîné, Jean-Michel Delambre (auteur de maintes illustrations aérant la lecture des ouvrages charlyesques). Ça sent la rose brosse les quelque trois premiers mois de l’actuelle présidence et ambitionne, faute de pouvoir tirer la chasse, de créer un appel d’air. Qu’actionneront peut-être les plus prometteurs et douées de la jeune garde de la France insoumise. C’est du moins ce que pressent Charles « Charly » Duchêne, en froid avec un Méluche méluchonnant (et ses groupies Voix de son maître) au point de faire fuir un électorat qui le trouvait, naguère, prometteur. Mais, chez Charly, si l’observation des évolutions politiques reste primordiale, le style, direct, familier, prime tout autant, mis au service d’un humour, acerbe, narquois, primesautier, tintinnabulant en jester à clochettes agitant ses klappersteins, titillant aux dépens d’un peu tout de ce qui le défrise (et chagrine, voire souvent offusque la gent plébéienne).

Miscellanées

On trouve de tout au BHV (le Bazar du Marais), idem chez Charly. Lequel écrit souvent aussi précipité et foutraque que votre serviteur (nous nous lisons de longue date, au point peut-être de déteindre). D’où ces digressions récurrentes, d’un essai à l’autre, sur les parcours vers les divers salons du Livre (au nord de la Loire le plus souvent), et les bonnes adresses qui les jalonnent. C’est le petit travers pédagogique de Charly qui ne cesse d’inciter ses lecteurs à dénicher le gîte d’exception ou la cantine hors du commun à tarifs plus que raisonnables. S’il trouve, vous pourrez aussi passer expert dans l’art d’éviter les arnaques au long des routes. Là, avec Emmanuel Macron, c’est pour lui l’évidence, la plupart d’entre nous, gens de peu de revenus, s’est faite filouter. Pédagogique… Soit exposant l’impact de diverses macroniennes mesures budgétaires. Pour un smicard, le bonus sera, sur la fiche de paye, de 2,84 € mensuels ; pour un, une salariée au niveau moyen national, de 8,51 ; et pour une employée à mi-temps en touchant 900, ce sera 1,53 de mieux à la fin du mois. En revanche, les ponctions diverses anéantiront ce pactole. Ce que Charly met en rapport avec le gain pour Bercy de la réforme de l’APL (32,5 millions attendus, soit 0,0068 % de la fortune de Bernard Arnaud). « Pourquoi pénaliser 6,5 millions de personnes, alors qu’une seule pourrait y suffire ? », s’interroge Charly. Le coup de torchon sur l’ardoise de l’ISF l’a sans doute – litote – froissé. Charly saute souvent du coq à l’âne, et s’attarde aussi sur le sort de la musulmane de Laponie, obligée d’enfiler une burqa XXXL sur des empilements de pelisses et subissant, lors du ramadan, un jeûne de 22 heures et quelques (davantage si le calendrier de l’hégire coïncide avec le Midsommar de juin). Charly ne l’exprime pas ainsi, mais son détour à propos du burkini me l’a inspiré. Charly Chapo (voir infra) sautille d’un sujet d’actu à d’autres, proposant par exemple – au nom de la parité –, de remplacer la moitié des coqs des clochers par des poules. Cela étant, le Charly polémiste a parfois le raccourci un peu trop riquiqui, s’en prenant à une Europe dont la dirigeance dépend pour l’essentiel des décisions des chefs d’État et de leurs ministres des finances. Feindrait-il de l’oublier ? Mais qu’on soit en phase ou désaccord avec sa prose, elle vous suscitera maints sourires. Même les analystes d’En Marche, quelque peu éberlués par la chute brutale des sondages, ne sauront s’en empêcher. Ça sent la rose ! est plus présent dans les rayonnages des bibliothèques (même celle de Mouscron, en Belgique, bientôt…) que sur les étals des librairies (mais votre libraire peut le commander : c’est six euros, avec une douzaine d’illustrations de Delambre). Mieux, en prenant langue avec l’auteur (Twitter, @CharlyChapo ; F., idem en deux mots) – repérez aussi l’homme chapeauté sur les salons du Livre – vous pouvez espérer une dédicace.

Avis : Silent Hill Rédemption – nouveau comics officiel

Le nouveau label Mana Books vient de sortir ses premiers livres sur les jeux vidéo. J’ai eu la chance de mettre la main sur le premier tome du nouveau comics Silent Hill Rédemption. Adapter le célèbre jeu d’horror survival de Konami en BD est-il chose aisée ? Venez vite le découvrir ! Continuer la lecture de « Avis : Silent Hill Rédemption – nouveau comics officiel »

Comme un bal de fantômes, tel le vivace et charnel Éric Poindron

Le Bal, c’est le titre, Poindron, c’est l’auteur, et c’est dans la col. Curiosa & cœtera de l’éditeur Castor astral. Factuel le chapô, suite au lapin fantasque à la suite d’une Lettre ouverte aux fantômes

Étrange. Enfin, non, venant d’Éric Poindron, l’insolite est toujours attendu (convenu et imprévisible à la fois, ce qui n’est pas ici oxymore, mais quasi-redondance). Donc, de lui ayant reçu voici peu une petite plaquette, Lettre ouverte aux fantômes, les miens, les vôtres & peut-être les leur(re)s – Le Réalgar éd. –, petite somme éveillant de multiples réminiscences littéraires d’écrivains et d’auteures ayant frayé avec les spectres, j’imaginais concevoir la suite, plus développée, plus érudite, voire carrément anthologie exhaustive de l’ectoplasmique (des apparitions aux zombies en passant par les lémures, revenants et spectres, dans cet ordre alphabétique et manuéliste) en littérature ; un truc au nième degré de la cuistrerie feinte et distanciée, égayée d’hyperboliques digressions, bref, &c., un régal pour le pédant interloqué, pris au dépourvu, devant s’armer des dictionnaires et lexiques ésotériques.  Incise : pas mal, une phrase de 750 caractères (point final exclu) pile… Ce qui me rappelle d’avoir loué un fourgon avec et Alain Georges Leduc, autre auteur, et un forfait de 3 000 km puis de l’avoir rendu avec ce total à la décimale près au compteur (anecdote aussi authentique que stupéfiante car relevant du seul hasard). D’accord, j’ai triché : le titre de la plaquette fut d’un grand secours, le point-virgule aussi. Qui veut tenter l’impossible gageure de se mettre au niveau narratif de Poindron devrait lire Straight Man, de Richard Russo, qui vaut bien d’être mis au cursus des ateliers d’écriture de l’Iowa State U. Mais pour moi, ce fut vain, la preuve… Où en étais-je ? Ah oui, après la Lettre ouvertes aux fantômes, voici le Comme un bal de fantômes (préfacé par Jean-Marie Gourio, auteur des Brèves de comptoir, poète lui-même, comme Jean Lassalle est fils de berger, frère de berger, et fut berger). Là, je tire à la ligne pour prendre élan avant de me fracasser sur l’obstacle…

Saisissable, inclassable

Si les huissiers frappent à votre porte, planquez ce Comme un bal de fantômes, avec un poème de Gourio en préface, et plus de 232 pages, au prix de 17 euros chez le Castor astral et les bons libraires. Vous seriez tentés de commettre un larcin, un cambriolage, voire pire, un casse nocturne en bande et escalade (ce qui vaut les assises) pour le racheter aux enchères si les retirages successifs avaient pris fin. Collez-le sous la table de la cuisine, la seule qu’ils vous concéderont. Ce Bal sans Bhaal – du sanscrit p(o)ur front – enfin, sauf erreur d’inattention, est un… recueil de poèmes et de très courts textes.  « Poèmes » ? Mettons que c’est composé au fer à droite, non justifié, avec paragraphes espacés d’interlignes cumulées, voire lignes séparées de blancs généreux sans que le gris typographique soit sacrifié. Poèmes donc. Voires odes. Il y a quand même plein de morceaux de fantômes dedans, puisque divers hommes blancs, âgés, morts (de jeunes métisses défuntes aussi, crois-je deviner) y figurent. Car Nabokov, pour n’en citer qu’un, est-il vraiment disparu, comme on dit pour très passé, péri en oubli ? Pour Poindron, c’est « un roman-poème en fragments » (son recueil, pas l’Vlad). Pour vous, je ne sais, mais puisqu’il l’écrit ainsi… « Une collection de poésies résolument narratives ». Là, tout à fait d’ac’ : tu l’as bien dit, non-bouffi (syn. ampoulé, grandiloquent, creux ; donc, ant. luxuriant et limpide à la fois). Vous avez les nouvelles, longues, courtes, et les haïkus non-japonais (qui sont à Villepinte ce que les tankas sont à Hokkaido, n’est-il point, Dominique de ?). (Paul) Fort comme un poète, qui s’étire (graphiquement) sur six pages, et la plupart des autres se situent dans l’entre-deux, en nb. p. et déf. gendrée. La Brunie vers N’Alien (c’est de moi, pas de Poindron, je pastiche mal, mais ne résiste pas à l’évocation de l’un des sujets qui m’est cher, moi-même) vous conterait brièvement un épisode hâlé-z’y-donc dans une localité burkinabée. En mille fois mieux, Poindron fait… mille fois mieux. Envers et pour mille riens qui exécutent (musicalement) un Grand Tout, comme il est un Grand Jeu. Poindron est Rémois, ce qui n’explique que partiellement cela. A contrario, alors que je me vautre en galimatias d’amphigouri, ce n’est nullement abscons (foin « d’articles inintelligibles » m’intimait récemment un directeur de sa bancale rédaction s’offusquant de me voir employer Douma, autocéphale et canonique à propos de la querelle entre la Rada kievienne et le patriarcat moscovite).

Délectable

Nonobstant, en dépit de quelques allusions second ou troisième degré qui passeront inaperçues des béotiens, sa facilité de lecture l’apparente plus à du San Antonio qu’à du Boby Lapointe. Pour qui connait l’auteur, quelques graines autobiographiques, évoquant des nanas connues ou que l’on aurait aimé connaître, laissées – les graines – en leur germinal état (brièveté du genre oblige), agrémentent le terreau. On passe du vénitien chevalier Mengaldo, une gypsophile au chapeau et une chanson aux lèvres, à… foultitude d’autres personnages. Ce en situations pas piquées des hannetons, avec mises en bouches émincées à l’hansart (ou « au hansart » ? Va savoir, lequel me manque… c’est une hachette expirée, aspirée par la désuétude, peu employant encore ce régionalisme), mets consistants offrant matière à songer et muser, goûteuses mignardises épurées de mignard mais nappées fumet d’aneth délicat, &c. Bref, un véritable menu Grand Siècle, davantage Curnonsky se bonifiant avec l’âge qu’Escoffier ou Carême adolescents restés kiriphiles. France culture a évoqué « un rêve-à-tout », maître et même joker. Pour Causeur, c’est « une réincarnation du bibliomane romantique Charles Nodier ». Plutôt noctambule, nocturnal, no dies et ça vous ira : ya d’la joie, de la lyre, non de l’ire. On avait le chasseur sachant chasser, Poindron est l’imaginatif imaginant, en gentilhomme au couvent d’un Montaigne, surtout pas en turquerie à livret de Lully. « Livre poétique, didactique et fascinant », dit l’éditeur. Fort divertissant aussi. En du Bellay évoquant La Boétie, il tourne un poème « qui parle de la Moselle et de patates au four » (j’affectionne placer des extraits insolites, si possible peu exemplaires ou significatifs). J’ai ouï dire que Jean-Michel Blanquer, nouveau ministre de l’Éducation, a émis une circulaire à destination des centres de documentation du secondaire, incitant à l’acquisition de l’ouvrage. Cet homme ne saurait être totalement mauvais, si toutefois la rumeur est fondée. Pour en finir… avec Debord (titre de Toulouse-la-Rose chez notre commun éditeur aussi wallon que devenu fantomatique ainsi que sa maison-demeure-en-paix Talus d’approche) et autres voraces lecteurs, et ce laïus : lisez Éric Poindron sans modération. Aussi sur Facebook (pages de son patronyme, du Cabinet de curiosités, de Curiosa & cœtera), and &c.  Traquez aussi les lectures publiques…