Juste la fin du monde

Réalisateur : Xavier Dolan

Date de sortie : 21 septembre 2016

Pays : France, Canada

Genre : Thriller, huis clos

Durée : 95 minutes

Budget : NC

Casting : Gaspard Ulliel (Lousi), Nathalie Baye (Martine), Marion Cotillard (Catherine), Léa Seydoux (Suzanne), Vincent Cassel (Antoine)

Louis, écrivain, journaliste, gay, habitué aux mondanités, va mourir. Cela fait 12 ans qu’il n’est pas retourné chez lui, retrouver sa famille, des êtres dont il a peur, peur de les revoir et peur de leur annoncer la terrible nouvelle. Il y a Suzanne la petite sœur qui l’idolâtre, guettant avec convoitise ses lettres pour être la première à les lire, Antoine le frère taciturne, un mur qui « n’est pas facile à prendre », sa femme Catherine qu’il n’a jamais vu, ne pouvant être présent lors du mariage et sa mère. Dolan adapte avec justesse la pièce de théâtre de Jean-Luc Lagarce, allant même jusqu’à garder les dialogues si atypiques, hachés, décousus, demandant un effort de concentration, tout en la rendant conforme aux cadres du cinéma.

Pas de doute, nous sommes bien dans un film de Xavier Dolan, il y applique sa signature reconnaissable. Tout d’abord d’un point de vue esthétique, comme à son habitude, c’est soigné, léché, travaillé. Par les effets visuels et la façon de cadrer certaines scènes, il parvient à insuffler des émotions et des sentiments. Les ombres et les couleurs, la netteté ou le floutage, rien n’est laissé au hasard. A cela s’ajoute les volutes de fumées de cigarettes, c’est sur Dolan ne roule pas pour la lutte anti-tabac. On sait qu’il maîtrise ce genre de procédés mais il en use et en abuse, à force ça peut devenir gavant. On mentionnera la prouesse de rendre communicatif un échange de regards, sans parole, Catherine parvient à comprendre la véritable raison de la venue de Louis. Alors que pour tous, c’est la grande interrogation. Que vient-il faire après 12 ans d’absence,donnant uniquement des nouvelles de façon sporadique sur des cartes postales ? Si visuellement c’est abouti, musicalement ca l’est tout aussi. Dolan parvient à coller des musiques pop et entraînantes là où ne s’y attend pas. Les scènes où Léa Seydoux et Nathalie Baye entament une chorégraphie approximative sur du O-Zone, ce charmant groupe roumain qui avait enflammé nos pistes de danse en 2004 et ce moment, plein de nostalgie, quand Louis, la tête plongée sur son matelas d’adolescent, repense à ses ébats avec Pierre « Jolicoeur » sur une musique envoûtante d’Exotica risquent de devenir aussi cultes que ceux de Mommy où les protagonistes chantent du Celine Dion dans la cuisine après une soirée bien arrosée où quand l’écran s’agrandit sous l’impulsion de Steve qui écarte les bras.

Juste la fin du monde est un huis clos tantôt passionnant tantôt mollasson qui aborde les relations familiales avec une certaine maitrise. Les rancoeurs, les non-dits, les déclarations, l’attente, les petites phrases qui permettraient d’aller mieux, la tolérance et la compréhension, bref Dolan, ou plus justement Lagarce, traite cela avec une brillante pertinence mais avec une pas mal d’exagération. Ce qui constitue nos racines, ce que l’on a de plus sûr et de plus proche devient ici un champs de mines, ou le moindre faux n’est pas épargné. Pourtant, si la raison de la venue de Louis était connue, il serait temps de crever les abcès et de pardonner. Parfois on a l’impression d’être dans un confessionnal où chacun ouvre son coeur à Louis, tout d’abord sa soeur dans sa chambre d’ado, fumant joint sur joint, sa belle-soeur, sa mère qui casse son rôle de déjantée bloquée dans ses souvenirs joyeux et le plus compliqué, son frère. Le seul bémol du film est sa fin, ça part en pleurs, ça crie, ça devient hystérique, tout cela pour des pacotille. On est en proie à l’incompréhension, la famille se déchire à nouveau alors qu’elle semblait enfin réunie. Un moment de grâce où enfin les frères et soeurs semblent se comprendre, s’encourager, Louis s’intéresse à Antoine, lui qui ne voulait que cela mais ne sachant pas comment réagir, reste mutique. Puis il suffit d’une phrase pour que tout éclate à nouveau. La métaphore finale avec le coucou agonisant sur le tapis est inutile et gâche cette dernière scène pleine de tension.

La force du film ce sont ses acteurs, Dolan a réussi à mobiliser un casting 4 étoiles. Bien qu’assez stéréotypés, les personnages sont traités de façon assez équilibrée. On a Vincent Cassel l’ours bougon maniant l’ironie et le silence comme une arme pour être tranquille, une prestation pas très loin de ce qu’il joue souvent, Léa Seydoux en post-ado, un rôle pas trop convaincant à plus de 30 ans, mais qui tient bien la petite soeur vivant dans les histoires fantasmées racontées sur son frère et ayant une rancoeur envers sa mère qui la néglige, Marion Cotillard la plus sensée dans ce foyer, « pièce rapportée » qui n’est pas atteinte par la folie familiale, timide, elle ferait penser à Kyla de Mommy, Nathalie Baye est maquillée à outrance, coiffée d’une perruque et bardée de bijoux en toc, bohème en façade, elle reste néanmoins grave quand il le faut. Puis il y a Gaspard Ulliel dont le rôle est particulièrement ego centré, l’impression qu’il revient juste par nostalgie, pour revoir son ancienne maison, fouiller dans ses anciennes affaires prédomine sur l’envie de voir sa famille. Une famille dont il a plus ou moins honte, se mettant toujours à l’écart, une distance perceptible à deux moments : lors de l’apéritif dans le jardin où il semble perdu dans ses pensées et dans la chambre dans sa soeur, préférant rester debout contre le mur plutôt qu’assis à côté d’elle. Ce nouveau film n’est peut être pas la meilleure réalisation de Xavier Dolan, mais il est globalement réussi.

Folles de joie

Réalisateur : Paolo Virzi

Date de sortie : 8 juin 2016

Pays : Italie

Genre : comédie dramatique

Durée : 114 minutes

Budget : NC

Casting : Valeria Bruni-Yedeschi (Béatrice), Micaela Ramazzoti (Donatella)

La Villa Biondi, jolie demeure italienne, a été transformée en asile pour femmes souffrant de troubles mentaux en tout genre. Des patientes catatoniques, hystériques, dépressives ou encore paranoïaques. C’est ici qu’évolue Béatrice, la précieuse mythomane, « princesse » en robe légère de satin, sujette à des sauts d’humeur violents quand on la contredit. Elle s’ennuie ferme parmi les autres pensionnaires qu’elle considère comme ses sujets. Un jour, Donetella débarque dans son univers, sa curiosité est piquée au vif. Tatouée, la jambe cassée, rock’n’roll et suicidaire, Béatrice ne reste pas indifférente. Malgré les tensions du début, une amitié naît entre elles. Profitant d’une après midi de travaux agricoles à l’extérieur, elles filent à l’anglaise. 

Qu’il est agréable de voir le cinéma italien renaître après des décennies de coma. Les heures sombres avaient commencé avec la mort des maîtres dans les années 1980 suivie d’une grave crise économique et créative. La politique n’accordant plus, ou peu de crédit à la culture, préférant abonder le cinéma et la télévision de productions américaines. Fort heureusement, les temps ont changé et Folles de joie est un film brillant. C’est fin et subtil, drôle et émouvant, tout à la fois. Capable de bouleverser et de passer du rire aux larmes. Même si la première partie se passant dans la villa n’est pas dénuée de rythme ni d’intérêt, c’est clairement dans la deuxième phase que le film prend toute son importance. Il se transforme en road movie vécu telle une fugue, ressentie par les protagonistes comme une ode à la liberté, un pied de nez au système qui les a jugé folles. Chaque instant passé à l’extérieur de la villa est un instant gagné sur la vie. Pourtant cette demeure n’a rien d’effrayant, loin d’un asile d’Arkham avec son ambiance glauque et malsaine. Ici, la vaste propriété agricole est entourée de champs gorgés de soleil et une nature luxuriante, les patientes vivent en semi liberté, encadrés par un personnel soucieux et prévoyant. Comme lieu de rétention, il y a pire !

Folles de joie est porté par un duo d’actrices magnifiques. Valérie Bruni Tedeschi joue certainement un de ses meilleurs rôles au cinéma en beauté déglinguée, exubérante racontant ses histoires d’amours malheureux sans retenue, confondant réalité et fantasme. Une pétulance cachant en réalité une grande tristesse. Micaela Ramazotti quant elle, campe parfaitement cette femme taciturne et secrète. Même si tout les oppose, les deux « folles » se complètent, l’une est solaire, l’autre lunaire et elles partagent un passif douloureux. Si elles sont ce qu’elles sont cela est du à des histoires d’amours. C’est bien connu, ça finit mal en général. Celle de Béatrice n’est pas aussi glamour que prétendue, ressemblant plus à une passion dramatique et dévorante qu’à un amour idyllique. Le rythme du film est insufflé par celle de Donatella, progressivement son passé est raconté et la raison de sa détresse est expliquée. En réalité, elle ne sont pas aliénées, elles sont juste victimes consentantes d’une relation qui les a détruites. Si le fond est tragique, Folles de joie est bourré d’énergies positives et un plébiscite pour la deuxième chance.

Paoli Virzi après Les opportunistes en Lombardie, place l’intrigue de son film dans une Toscane de toute beauté. Le soleil, la campagne, la mer magnifie l’image. Folles de joie est un film où ça crie, ça rigole, ça se dispute jamais très longtemps, ça se rabiboche aussi vite, ça se hait, ça s’aime, les relations passent d’un extrême à l’autre mais Béatrice et Donatella sont comme deux soeurs en quête d’un renouveau.

Boulevard

Réalisateur : Dito Montiel

Date de sortie : 23 mars 2016

Pays : USA

Genre : drame

Durée : 88 minutes

Budget :

Casting : Robin Williams (Nolan Mack), Bob Odenkirk (Winston), Kathy Baker (Joy), Roberto Aguire (Leo)

Nolan Mack est un employé de banque modèle. 25 ans au même poste, à faire toujours les mêmes choses, avoir des ambitions ne semblent plus faire partie de son quotidien. Il mène une vie tellement rangée qu’il s’ennuie dans une forme de confort moribond, rempart à toute nouveauté. En amour ce n’est pas mieux, Nolan et sa femme font chambre à part, une finalité en somme pour tous les vieux couples qui ne s’aiment plus vraiment. Un soir alors qu’il rentre chez lui, Nolan prend une décision folle, il change d’itinéraire. Sur ce boulevard, il va faire la rencontre de Léo, jeune prostitué qui saura au gré de leurs multiples rencontres lui redonner goût à la vie. 

Tristesse et gâchis sont les premiers mots qui viennent à l’esprit. Pas à propos de la qualité du film mais vis à vis de Robin Williams. Tristesse de se dire que Boulevard est sa dernière prestation au cinéma et qu’une ombre posthume plane irrémédiablement sur lui (c’est également la raison non avouée de voir un film de ce réalisateur sortir en France, lui qui n’a jamais eu ce privilège). Gâchis de voir un acteur si talentueux, lui qui aurait pu faire encore tellement de choses, qui a su faire rire et pleurer les familles dans les années 1990 puis effrayer par ses personnages torturés dans les années 2000. Tout comme son personnage, Robin Williams incarne un Nolan attachant, gentil, diplomate, affichant un sourire mais est-il sincère ? Derrière, se cache un homme qui ne veut pas froisser, qui a «la phobie de faire du mal», respectant les convenances et cachant une profonde mélancolie.

Ce n’est pas le scénario de Boulevard qui assurera sa postérité mais bien ce qui a été écrit ci-dessus. Le film est certes beau et plein d’émotions, un joli drame sur un thème assez actuel, c’est à dire le coming out d’hommes et de femmes plus ou moins âgés qui osent enfin dire qui ils sont. Profitant d’une époque beaucoup plus tolérante sur ces questions qu’il y a 40 ou 50 ans. L’attitude du père grabataire traduit bien cela, lui au bout de ses forces, tourne sa tête de dégoût et de rejet quand Nolan lui avoue avoir ressenti de l’attirance pour un petit garçon sur la plage lors des vacances d’été dans les années 1960. Bien sur ce genre de révélation bouleverse toute une existence, pas seulement des parents (quand ils sont encore en vie) mais bien sur celle du conjoint. Où était la sincérité durant toutes ces décennies de vie commune ? Etait-il un « jouet » de substitution ? Ce qu’incarne parfaitement Kathy Baker quand elle apprend la vérité. Elle qui rêvait d’une croisière pour recoller les morceaux, là c’est son vaisseau qui sombre, une catastrophe pire que celle du Titanic. Si les deux comédiens principaux sont justes, c’est moins le cas de Roberto Aguirre, le jeune Léo. Même s’il révèle la vraie nature de Nolan, il reste effacé, à côté de ses pompes, arborant un visage figé d’indifférence. De plus ce personnage est un peu trop cliché, il introduit dans le film une dimension peu originale liée à la prostitution : le mac violent, l’argent sale, les problèmes familiaux, etc.

Il y a quelque chose de malsain, froid et austère dans Boulevard. Tout d’abord, vis à vis de la jeunesse, Nolan semble envieux des jeunes qui se bécotent joyeusement sur les bancs publics, de son meilleur ami (Bob Odenkirk en professeur désabusé mais drôle qui revit une nouvelle jeunesse avec une de ses élèves) avec qui, il ambitionnait de conquérir New York étant étudiant. Cette jeunesse est vue comme une source de regrets et d’amertume, mais sa jeunesse il la revit maintenant. Il ironise dans le miroir quand il souligne qu’il vient d’avoir son « premier cocard à 60 ans ». Deuxièmement, cette relation entre les deux hommes est assez perturbante. Si au début, Nolan donne l’impression de considérer Léo comme le fils qu’il n’a jamais eu, cela tourne vite en une sorte d’amour unilatéral.  Même s’il n’a pas d’âge, il est assez dérangeant de s’imaginer un homme de 60 ans avoir une relation avec un jeune adulte sortant à peine de l’adolescence. Au final, Boulevard est un film assez sombre, pas très gai mais qui profère une morale optimiste : être ce que l’on est et s’assumer pour être heureux.

Demolition

Réalisateur : Jean-Marc Vallée

Date de sortie : 6 avril 2016

Pays : USA

Genre : drame

Durée : 100 minutes

Budget : NC

Casting : Jake Gyllenhaal (Davis Mitchell), Naomi Watts (Karen Moreno), Chris Cooper (Phil), Judah Lewis (Chris Moreno)

Jeune banquier ayant réussi dans les affaires grâce au népotisme pur provenant de son beau père, Davis semble mener une vie bien rangée auprès de sa femme, sa maison d’architecte et sa belle Porsche Cayenne. Cette existence bascule quand un accident de voiture emporte son épouse. Au lieu de fondre en larmes, il va faire une lettre de réclamation à la compagnie gérant les distributeurs automatiques de l’hôpital pour ne pas avoir eu son paquet d’M’M’s alors qu’il attendait la mort de sa femme. Une lettre dont les nombreuses digressions attirent l’attention de Karen du service client. 

Comme à son habitude, dans tout ce qu’il entreprend, Jake Gyllenhaal est brillant. Parfait, il maîtrise son personnage apathique mais attachant d’homme d’affaire parfaitement fagoté en costume cravate noirs, rasé de près, sombrant dans une curieuse forme de folie destructrice. Davis devient monsieur Bricolage, il démonte le frigo qui fuit chez lui, les portes des toilettes qui grincent, son ordinateur et jette son dévolu sur l’horloge hors de prix de son boss, legs familial depuis des génération. Il en vient même à payer des ouvriers pour pouvoir détruire les murs d’une maison. Une transformation psychologique et physique, Davis arbore des boots en daim, un pantalon trop grand et une barbe naissante pour s’adonner à ses nouvelles préoccupations. Cet homme inattentif, fruit d’une société spéculative reposant sur l’aspect, se meut en observateur du monde qui l’entoure, en bricoleur, en démonteur, destructeur pour voir ce qui se passe à l’intérieur des objets mais également dans son coeur. Un palpitant qui ne palpite plus trop et qu’il croit dévoré par un bombyx. Ses émotions sont en panne. Bien que sa femme soit morte tragiquement, pas une goutte de larme, pas de tristesse, de remord, de regret, de haine, uniquement un vide abyssal. Il arrive même à se demander s’il a aimé sa femme.

Jake Gyllenhaal n’est pas le seul à rayonner dans ce mélo, il faut compter aussi sur Naomi Watts qui malgré un coup de vieux garde toujours un charme indéniable. Pauvre mère addicte au cannabis, elle a fort à faire avec l’éducation un brin chaotique de son fils Chris. Interprèté par un Judah Lewis terriblement androgyne et convaincant dans un rôle où le personnage se cherche sexuellement, aime-t-il les filles ? Regarde-t-il les mecs avec envie dans le vestiaire après le sport ? Un personnage très rock’n’roll et tourmenté. Cette rencontre hasardeuse permet à Karen de trouver une bouée de sauvetage, bien que maquée avec un homme, elle ne l’aime pas. Cette correspondance, de nombreuses lettres vont être échangées, prend la forme d’une romance clandestine et sincère car écrite à cœur ouvert.

Beaucoup de choses sont métaphoriques dans ce film. Davis considère sa vie comme telle depuis que sa femme est partie, il semble déconnecté de la réalité, ne comprends plus très bien où il est, ce qu’il fait, ce qu’il doit faire, il est comme une coquille vide sur l’océan de la mélancolie. Voguant à droite, à gauche, constamment en mouvement mais ne sachant pas comment atteindre son but. Demolition est le deuil de Davis, sa façon de gérer la mort de sa femme. Certes elle n’est pas conventionnelle, pas de cri ni de pleur, mais un visage légèrement souriant et un regard perdu. Progressivement le passé refait surface par le biais des lettres et des flash, des souvenirs remontant à la surface comme des bulles dans un champagne, des petits détails qui permettent de voir plus clair. Certes Demolition possède un fond dramatique mais le film est bourré d’énergie positive et d’humour. Un condensé de philosophie pure et une vraie leçon de vie. La mort est une chose qui détruit les familles, le mari, les parents, les proches mais c’est également l’occasion de rebondir et de partir sur de nouvelles bases, prendre conscience des petites subtilités qui au fond, forment la richesse d’une existence.

Dans la fond le film est assez irrégulier, partant sur un jeu de pistes intriguant entre Karen et Davis, il se mu en errance identitaire. Le spectateur est un peu comme Jake, égaré dans ses délires. Heureusement, le film est fourni avec une bande son joyeuse et rythmée qui donnerait presque envie de danser. Le film vaut aussi pour sa mémorable scène de destruction de la maison, froide et hostile synonyme d’une vie révolue. Afin d’accentuer le réalité, le réalisateur a voulu que Jake et Judah vandalisent vraiment les meubles et les murs. Pas de plâtre donc, mais du vrai béton, du vrai bois, du vrai verre et du vrai marbre. Demolition est un film touchant, authentique et qui se veut proche de spectateur, en témoigne les lumières naturelles et la caméra à l’épaule, effet désiré afin de casser cette frontière matérialisé par une toile blanche.

Julieta

Réalisateur : Pedro Almodovar

Date de sortie : 18 mai 2016

Pays : Espagnol

Genre : drame

Durée : 97 minutes

Budget : 1 350 000 euros

Casting : Emma Suarez (Julieta à 50 ans), Adriana Ugarte (Julieta à 30 ans), Daniel Grao (Xoan), Inma Cuesta (Ava)

Julieta a tout d’une femme sûre d’elle. La cinquantaine, pimpante, intellectuelle, professeur de philosophie grecque, elle vit au coeur de Madrid avec un homme cultivé et ont le projet de déménager au Portugal. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. Cependant,  alors qu’elle se promenait dans les rues de la capitale, Julieta fait la rencontre de Béa, l’ancienne meilleure amie de sa fille Antya disparue sans laisser de trace plusieurs années auparavant. Selon Béa, Antya croit sa mère toujours à Madrid. Cette brève altercation la bouleverse et ouvre la porte aux fantômes du passé tout en faisant réapparaître le fol espoir de revoir sa fille.

Pedro Almodovar filme ce qu’il sait faire de mieux : une histoire de femmes avec des femmes fortes au destin tragique. Le film est construit en parallèles, d’un côté l’histoire de Julieta à 50 ans et celle de Julieta à 25-30 ans, avec des passerelles entre les deux tout au long de la narration. Ce retour au passé se fait le biais d’un journal que rédige la femme d’âge mûr à destination de sa fille, comme une confession. Par ces lignes, elle tente d’exorciser ses souvenirs et permettre au spectateur de mieux comprendre ce qui a bien pu se passer. Le mystère se décante progressivement et ses mémoires apportent une lumière sur des événements très sombres. Tout commence dans les années 1980, Julieta rencontre Xoan, une beau jeune homme barbu, dans un train, à l’arrêt suite à un suicide.

Le destin les a fait se croiser mais Julieta est rongée par la culpabilité car si cet homme vient de se suicider c’est qu’elle n’a pas voulu lui parler alors qu’il était assis en face d’elle. Almodovar montre que le destin est fait de choix qu’il faut assumer. L’histoire avance par ellipses ce qui donne du rythme sans jamais lasser le spectateur. Et pourtant, il est bavard, ça parle beaucoup, l’espagnol est vraiment une langue charmante et chaleureuse à écouter. Bavard et pourtant il y a tellement de non dits dans les relations entre les protagonistes. C’est délicat, subtil, finement joué puis il y a cette idée du puzzle qui se complète sans encombre. La musique est une alliée de poids afin d’instaurer un climat sonore lent, mystérieux, feutré. Le tout sublimé par de très belles images découpées et maîtrisées. Certains plans ressemblent à des peintures dans la façon dont se place le personnage dans le décor. L’esthétisme a été soigné jusqu’à l’affiche, le rouge se conjugue au jaune et au noir. La jeune femme sereine de 30 ans tend une serviette à la femme de 50 ans, perturbée et fatiguée, il se dégage une dimension quasi-christique de cette mise en scène.

Julieta traite de façon un peu particulière du deuil, certes Antya n’est pas morte mais c’est tout comme. Cela fait des années qu’elle n’a pas donné signe de vie, disparue de la surface de la Terre du jour au lendemain. C’est là une des grandes interrogations du film, pourquoi ? [spoiler] Almodovar, un brin sadique n’apporte pas la réponse laissant dans le flou, autorisant l’imagination à toutes les théories possibles. La seule chose sûre c’est qu’elle est partie suite à une mise au vert dans les montagnes pyrénéennes. A-t-elle été fanatisée par cette communauté hippie amatrice de thé qui l’a accueillie? Son cerveau a-t-il été lavé pour qu’elle rejette sa vie d’avant ? Tout est spéculation, hypothèse, c’est troublant mais plaisant. [spoiler]

Un dernier mot sur les comédiennes, deux nouvelles dans l’univers d’Almodovar. Lui qui aime pourtant tourner avec ses acteurs fétiches. Adriana Ugarte tout comme Emma Suarez sont brillantes, attachantes, émouvantes. Le choix est juste car il y a entre elles une ressemblance, pas frappante, mais assez forte pour permettre le doute. Le réalisateur espagnol tisse un portrait d’une femme solide qui résiste aux affres de la vie (mort, disparition, éloignement, mensonge, parent malade, père qui s’accoquine d’une jeunette, les reproches de la femme de ménage (Rossy de Palma effrayante aussi bien physiquement qu’ humainement)) avec tact et brio. Elle n’est pas une simple mortelle, elle en devient l’héroïne de sa vie se rapprochant d’une référence récurrente du film, celle de la mer sous ses 3 aspects : calme et sereine, démontée et dangereuse et un chemin. La vie de Julieta c’est l’Odyssée d’Homère en quête d’Ithaque où se trouve son fils.

Room

Réalisateur : Lenny Abrahamson

Date de sortie : 9 mars 2016

Pays : Canada, Irlande

Genre : Drame

Durée : 118 minutes

Budget : 6 millions de dollars

Casting : Brie Larson (Joy), Jacob Tremlay (Jack), Joan Allen (la grand mère), William H. Macy (le grand père)

Les films inspirés de faits réels sont nombreux au cinéma, en faire une liste serait inutile et fastidieux puis surtout le propos de cet article s’en verrait dénué de sens. Car ici, il s’agit d’un film influencé seulement car la fiction à tendance à modifier certains aspects, gommer l’adversité des événements ou parfois, au contraire, rendre les choses plus difficiles pour accentuer la dramaturgie. Les larmes, les pleurs, les violons et les kleenex, un cocktail émotionnel. Le prisme du 7ème art doit rendre les histoires plus romanesques. Dans une simple reconstitution, l’expérience ne peut-être aussi intense qu’au moment de son déroulement, les détails s’émoussent et le vécu n’est pas le même. Room permet surtout la découverte de deux talents prometteurs : Jacob Tremlay et Brie Larson.

Pour faire court, Jack et Ma sont enfermés depuis des années dans une chambre. Ce petit espace confiné c’est l’unique monde que connaît le garçon. Ma est prête à tous les sacrifices pour sortir son fils de cet endroit afin de lui offrir une vie libre hors de ces 4 murs recouverts d’un papier peint miteux et d’un vélux comme seul source de lumière naturelle.

Le rythme du film est correctement soutenu. Découpé en phases bien distinctes, d’abord l’incarcération ensuite la libération, cela évite l’écueil de voir un film se passer uniquement dans un seul endroit avec une mère et son enfant. Cela aurait donné un côté expérimental, très art contemporain, assez éloigné du grand public. Tout au long de la première période le décor (assez étroit) se plante, les personnages prennent forme ainsi que cet univers, coincé entre 4 murs, inventé par une mère aimante afin de rendre les choses plus acceptables pour son fils. La deuxième est plus intéressante en traitant de l’après séquestration. La reconstruction d’une vie perdue pour la mère et la construction psychologique du fils dans un environnement nouveau, comme s’il débarquait sur une nouvelle planète. Cette liberté retrouvée est synonyme de perte de repères et une quête d’identité.

Les personnages sont la véritable richesse de Room, ce couple fusionnel qui unit une mère à son enfant est d’une grande puissance. Le film reste centré sur le petit Jack, c’est lui qui narre l’histoire avec ses réflexions pleine de candeur et d’interrogations. Sa perception des choses fait sourire comme lorsqu’ il se demande si certains animaux sont réels ou vivent seulement dans la télévision, ou bien sur sa naissance et sur le fait qu’il ne conçoit pas qu’il puisse y avoir un monde hors de cette cage. Ce point de vue au niveau de l’enfant permet de rendre le film plus léger et apporter une touche d’innocence. Jack est le moteur de tout ce qui arrive dans Room, la fuite, la délivrance et la recomposition de Ma. Malgré les apparences, la mère est plus fragile que son fils. Elle sait la vérité et conçoit dans quelle situation affreuse ils se trouvent. C’est une fois à l’extérieur que l’édifice se brise, la maison mère vole en éclat. La deuxième phase est teintée d’une certaine ironie troublante à propos de l’isolement, car aussi bien dans la cabane que chez sa mère, Ma est seule et loin de tous. Finalement c’est toujours entre 4 murs qu’elle est prisonnière.

Le grand absent de toute cette aventure c’est le bonheur. Ma fera une réflexion là dessus, elle pensait qu’une fois sortie des griffes du Vieux Nick, il reviendrait, en vain. Elle traîne une forme de tristesse et de ressentiment envers ses proches. Le sentiment d’avoir été abandonnée pendant 7 longues années à cause de sa bienveillance quand elle a voulu aider son ravisseur à retrouver un chien inexistant, prétexte pour qu’il commette son crime. Elle a l’impression d’être inutile pour ce monde qui a continué de tourner. Ses parents ont divorcé, sa mère a retrouvé un concubin et ses amies du lycée ont continué leur vie. Brie Larson est juste et émouvante toute au long du film, tout comme Jacob Tremlay jamais lassant et très professionnel pour un enfant de cet âge.

Le réalisateur prend un parti pris intéressant dans le déroulement de son film. En effet, alors que d’autres aurait pu aborder la deuxième phase avec le jugement du criminel, Leny Abrahamson l’élude complètement. Le ravisseur disparaît de la circulation, il n’est cité que deux fois très brièvement. Une choix qui focalise l’attention sur ce binôme naturel sans être pollué par un homme qui a déjà brisé leur existence.

Carol

Réalisateur : Todd Haynes

Date de sortie : 13 janvier 2016

Pays : UK, USA

Genre : Drame, Romance

Durée : 118 minutes

Budget : NC

Casting : Cate Blanchette (Carol Aird), Rooney Mara (Therese Belivet), Kyle Chandle (Harge Aird), Sarah Paulson (Abby)

Todd Haynes, réalisateur américain, aiment mettre en scène des femmes, mais pas n’importe lesquelles, des femmes fortes, prenant des risques en luttant contre les cadres exigus de leur époque. Il y eut Julianne Moore dans Loin du Paradis dorénavant il y aura Cate Blanchett et Rooney Mara dans Carol. Ce choix de scénario pas facile révèle un goût prononcé pour les prises de risque. Il l’avait fait avec I’m not there où il tissait une biographie bien particulière de Bob Dylan par le biais de 6 acteurs différents pour 6 périodes de sa vie. Audacieux, il raconte ici l’histoire de deux lesbiennes dans les années 1950, adaptée du roman de Patricia Highsmith sorti en 1952, Le gout du sel jugé sulfureux en son temps.  

New York, il neige, Noël approche, Carol Aird cherche un cadeau pour sa fille. Dans un grand magasin, elle fait la rencontre de Therese Belivet, charmante vendeuse de jouets qui lui propose un circuit de petits trains. Cet échange anodin, qui aurait pu s’arrêter là,  va se muer par un hasard provoqué en une romance peu conventionnelle pour les mœurs de cette société puritaine.

Le film est d’une grande beauté ! Les placements et les mouvements de la caméra traduisent à eux seuls l’état d’esprit des personnages. Au début du film, Therese est assise à côté de ses amis dans une voiture, par la fenêtre elle regarde la pluie tomber dehors, elle est absente et les discussions deviennent des bruits incompréhensibles, l’objectif se focalise sur elle et le reste de l’écran devient flou. Carol l’a perturbée. Les décors sont soignés et les années 1950 sont fidèlement ressuscitées, les immeubles, les voitures, les costumes, tout y est pour nous faire voyager dans le temps. Les lumières et les couleurs font preuve d’un grand travail, l’extérieur est dominé par le gris et le blanc évoquant la douceur et le froid d’un hiver calme tandis que les intérieurs sont composés de tons verdâtres, jaunes et de vieux roses pour un soucis de conformité avec les couleurs de cette époque. Des teintes qui tapissaient les maisons dans l’Amérique pré-Eisenhower.

Carol est surtout une magnifique histoire d’amour interdit, tout au moins, très mal perçu. Celui de deux femmes que tout oppose, Carol est riche, en plein divorce, mère d’une petite fille tandis que Therese est d’origine modeste, courtisé par un homme qui veut l’épouser et possède une passion mal assumée pour la photographie, ses clichés pourtant d’une belle qualité finissent dans un carton sous son évier. Bien que différentes, toutes deux partagent des points communs, la solitude et l’ennui, deux perceptions qui vont les rapprocher. Le jeu des actrices est d’une grande justesse, Cate Blanchett est magistrale, rayonnante, elle habite son rôle avec une grande élégance. Rooney Mara n’a pas usurpé son prix d’interprétation à Cannes l’an dernier, avec son visage fin, sa moue boudeuse, toute en retenue, une nouvelle Audrey Hepburn éclot à l’écran. « Un ange tombé du ciel » qui intervient à un moment fatidique pour Carol. Il est facile d’imaginer que sans cette rencontre, elle aurait pu commettre l’irréparable. Le duo est impliqué jusqu’au bout, allant même jusqu’à la scène de sexe.

Cette dernière création est également une ode à l’affirmation de soi, de l’orientation sexuelle assumée. Todd Haynes en homosexuel reconnu sait de quoi il parle et il traite le sujet avec justesse, loin des clichés et des caricatures. Les deux personnages iront même jusqu’à entreprendre un long voyage vers l’Ouest faisant un bras d’honneur symbolique à leur vie d’avant contrôlée par les hommes. Une virée émancipatrice, une douce parenthèse, qui sera là encore brisée par un homme. Car oui les hommes ont le mauvais rôle, entre un mari jaloux prêt au pire des chantages pour garder sa femme qui ne l’aime plus sous son emprise et un jeune prétendant, prétextant aimer sa promise, mais qui n’hésite pas à la tromper, le mâle est vil.  Dans la façon de d’exprimer également tout contraste, les deux femmes se lancent des regards, des gestes tendres, un mode de communication tout en douceur, alors que les hommes ne sont que paroles brusques et blessantes.

Phoenix

Réalisateur : Christian Perzold

Date de sortie : 28 janvier 2015

Pays : Allemagne

Genre : Drame historique

Durée : 98 minutes

Budget : N.C

Casting : Nina Hoss (Nelly Lenz), Ronald Zehrfeld (Johnny Lenz), Nina Kunzendorf (Lene Winter)

Le festival Télérama a pour but de faire découvrir ou redécouvrir en salle, dans un délai très limité, des chefs d’œuvre de l’année qui vient de s’écouler. Une nouvelle occasion de s’émerveiller, de s’émouvoir, d’être chaviré, remué, saisi par ces merveilles cinématographiques en tout point de vue. Une sélection de films intelligents, dérangeants, divertissants, pour cinéphiles amateurs mais pas que. Tout cela est également pour le grand public, comme une main tendue qu’il faut saisir pour voir autre chose que des blockbusters explosifs et pas très fins. Phoenix fait partie de cet élite, de cet écrémage savamment organisé. 

La guerre a bien fait des malheurs mais Nelly a survécu aux camps de concentration. Dorénavant son but est de retrouver son mari Johannes. Dévisagée par les atrocités commises par les nazis, elle doit subir une opération chirurgicale afin d’avoir une tête potable et reprendre une vie normale. C’est alors sous un tout nouveau profil et sous un nouveau nom, Anna, qu’elle parvient à mettre la main sur son époux, celui-ci a troqué son costume de musicien pour un tablier de serveur au Phoenix, bar miteux où les américains victorieux profitent des joies des bas fonds de Berlin.

Ce qui ressort de ce film c’est un envoûtement long et pénétrant à l’image de cette chanson « Speak Low » berçant la narration plusieurs fois de ses notes. Une vieille chanson d’une autre époque racontant un amour impossible entre un pygmalion et sa muse. Le rythme est lent mais loin d’être un défaut, c’est une véritable force. Il nous envoûte comme un serpent resserrant progressivement son étreinte. Le titre est divinement bien trouvé car il résume à lui seul l’essence du film, celui de la renaissance. Durant cette heure et demie, on suit Nelly, incarnée par une Nina Hoss exceptionnelle, dans sa reconstruction et sa résurrection. Elle, sortie des camps de la mort, sans âme, sans identité, qui subit une chirurgie esthétique miraculeuse et parvient à retrouver un semblant de vie. Sa métamorphose est complète, d’une femme recouverte de bandages, marchant comme une prisonnière hagarde et naïve, elle devient une belle femme flamboyante pleine d’assurance et d’entrain. Une transformation sublimée par la scène finale où le phénix prend son envol, déployant ses ailes de feu, subjuguant les personnes autour de lui.

Phoenix est un véritable jeu de dupes et une étrange histoire d’amour. D’un côté une relation décimée par la guerre, celle de Johannes et de Nelly séparés de force par des militaires froids et hostiles, et de l’autre, une idylle naissante entre le même homme et Anna, la même femme dans une enveloppe différente. Les deux forment un couple de convenance, Johannes est trouble, voit-il en Anna juste un moyen de toucher l’héritage de Nelly ou bien ressente-t-il quelque chose pour elle ? Mais peu importe, cette fraude est pour Anna l’occasion de redevenir Nelly et de se rapprocher de l’homme qu’elle a aimé. Ce Johannes incarné par un Ronald Zehrfeld fantastique, une gueule d’ange sur un corps de rugbyman. Personnage mystérieux, au comportement ambigu, a-t-il vraiment trahi sa femme en la vendant aux nazis pour sauver sa peau comme un lâche et a-t-il vraiment aimée ?

Ce récit est une réflexion sur le retour à la vie normale après une expérience mortelle, destructrice bouleversant la vie à jamais. Une reprise du quotidien marquée par le pardon et faire semblant de rien, que cette sauvagerie n’a été qu’une parenthèse, un cauchemar dont il faut se réveiller. Le réalisateur aime parler de l’histoire allemande, il l’avait si bien fait avec l’Allemagne de l’Est dans Barbara, film réunissant déjà ce casting efficace. Dans Phoenix, il s’agit de l’après guerre, d’une Allemagne en ruines qu’il faut reconstruire. Cette ruine a une connotation forte car elle résume à elle seule la relation entre Nelly et son « Johnny », avec cette scène où leur maison n’est plus qu’un trou béant entre deux immeubles détruits. Phoenix est un film à voir et à revoir.

Marguerite

Réalisateur : Xavier Giannoli

Date de sortie : 16 septembre 2015

Pays : France, Tchèque,Belge

Genre : Drame, Comédie

Durée : 129 minutes

Budget : 7,5 millions d’euros

 


Casting : Catherine Frot (Margueritte Dumont), André Marcon (Georges Dumont), Michel Fau (Atos Pezzini), Christa Théret (Hazel),

 

Le nouveau film de Xavier Giannoli, inspiré d’une histoire vraie, celle de Florence Foster Jenkins qui dans les années 1940 se prenait pour une mélomane accomplie puis connut une fin funeste, est un pure folie.n Pourtant pas évident de s’en apercevoir au premier regard. Les beaux costumes des Années Folles, la musique classique, les acteurs prestigieux, bref des ingrédients se prêtant plus à un marivaudage bourgeois. Cependant, le scénario révèle toute la substance de cette oeuvre loufoque. 

 

Paris est la capitale la plus vivante du monde dans les années 1920, un centre culturel bouillonant. Le lieu où naissent et prospèrent les artistes. Marguerite Dumont, une aristocrate férue d’opéras chantent régulièrement chez elles devant un cercle restreint de convives. Son rêve est de se produire, faire carrière et devenir une grande cantatrice admirée de tous. Un fantasme irréalisable, madame chante terriblement faux. Une barrière naturelle que tout le monde feint pour ne pas la froisser mais ce vaste mensonge ne peut durer éternellement. 

 

Autant le dire tout de suite, Marguerite est une vraie réussite. Il prête une véritable réflexion sur la folie en montrant que l’on est toujours le fou de quelqu’un d’autre. Dans ce film, les vrais fous ne sont-ils pas ceux qui entourent Marguerite, l’entretenant dans son délire ou bien est-ce elle qui ne voit pas la réalité ? Celle que l’on croit la plus folle est peut être la plus sincère de tous. Une sincérité attirante rendant le personnage sympathique et émouvant. On finit par comprendre pourquoi ses proches font minent de rien afin de ne pas la blesser. Un cercle vicieux en somme. Pire, il faut se méfier des personnes pleines de bonnes attentions, parfois ce sont les plus cruels. Il est beau de voir par quel déterminisme Marguerite souhaite accomplir son rêve, elle est prête à tout même au plus burlesque des entraînements. Ne voyant qu’il ne peut rien faire pour elle et étant l’objet d’un chantage malsain, Atos Pezzini prévoit des exercices aussi ridicule que stériles : se rouler par terre, se toucher les seins ou bien encore être face à un énorme tableau noir. Qu’on ne se leurre pas, tout cela ne suffit pas à faire d’elle une cantatrice. 

 

Les acteurs sont parfaits, Catherine Frot incarne merveilleusement cette femme de la haute société. Elle a tout l’argent du monde pour vivre heureuse mais son sourire et ses yeux trahissent une profonde solitude. Michel Fau, son professeur est magistral ! Il incarne cette star déchue de la musique classique avec toute la subtilité nécessaire. Malheureusement peu connu du grand public, il mériterait plus de reconnaissance car son jeu est d’une extrême justesse. Il est fantasque, tantôt drôle, tantôt triste et derrière ce physique de précieuse ridicule se cache un être bien plus sombre. Marguerite est un film où les personnages ont tous une réelle importance même si au final, on ne sait pas grand chose d’eux.  Ils passent, partent et reviennent, leur situation change mais sans trop savoir comment ni pourquoi, à l’image de cette jeune chanteuse dont la carrière commence au début du film et qui finit par devenir ce que Marguerite aimerait être. Puis il y a ces jeunes anarchistes interprétés par Sylvain Dieuaide et Aubert Leroy , adeptes d’un art surréaliste, cupides et voulant profiter de la crédulité de la baronne pour s’enrichir, deux clowns dont la douceur de Marguerite va changer. Xavier Giannoli est un habitué du genre, il aime narrer l’existence de personne un peu perdue, mal dans leur peau, rêvant d’un projet inaccessible et parvenant à embarquer toute une équipe dans leur voyage. 

 

Sur la forme c’est un régal ! Les musiques classiques sont enchanteresses, les airs d’opéra nous saisissent même quand ils sont interprétés par la baronne. Les costumes sont beaux et crédibles, on se croirait dans les années 1920. Finalement cette histoire abracadabrantesque est juste une histoire d’amour tragi-comique. Un amour mal compris aussi bien par l’un que par l’autre, entre Marguerite et son mari. Elle chantant tel un rossignol pour attirer l’attention de son époux, lui devenant de plus en plus exaspérer par l’aliénation de sa femme. Nous on rit, beaucoup, on s’attriste, pas mal, mais on garde la satisfaction d’avoir vu un bon film. 

Chocolat

Réalisateur : Roschdy Zem

Date de sortie : 3 février 2016

Pays : France

Genre : Drame, Biopic

Durée : 110 minutes

Budget :

 

Casting : Omar Sy (Chocolat), James Thiérrée (Footit), Olivier Gourmet (Oller)

 

Roshdi Zem passe une quatrième fois derrière la caméra pour nous raconter cette histoire en costume de la Belle Epoque sur fond de racisme primaire, de bourgeois parisiens, de vestons trois pièces et haut de forme pour les hommes et de robes corsetées pour les femmes. Le dénominateur commun de ses réalisations est l’engagement contre le racisme, sa volonté de montrer l’absurdité de ce sentiment de haine envers son semblable. L’occasion également pour Omar Sy de continuer dans la veine des films "sérieux", sans rejeté le forme humoristique, après Samba et Intouchables. Alors arrivent-ils à convaincre ou reste-t-on chocolat ? 

 

Alors que le XXème siècle promet des spectacles féeriques bravant les limites du possible grâce aux nouvelles technologies , Footit, ancienne gloire du cirque, met la main sur le compagnon idéal. Avec, il espère renouer avec le succès. Cet homme se surnomme Kananga, il oeuvre comme le cannibale de service dans un cirque miteux de province tenus par des Thénardier de la piste aux étoiles. Footit et celui que l’on va appeler Chocolat vont former un duo irrésistible, adorer du grand public, un phénomène de société utilisé pour la publicité et la fabrication de jouets, bref ils sont "les rois du monde".

 

Commençons par ce qui est positif. Visuellement le film est très beau, les décors sont crédibles tout comme les costumes. On se croirait réellement dans le Paris de l’époque, une transposition facilitée par un tournage fait dans la capitale et non pas à Prague ou dans une autre ville obscure d’Europe de l’Est qui ne possède pas le charme de notre belle capitale. Exit les studios avec fonds verts et les images de synthèse. Idem pou le jeu des acteurs, ils sont brillants ! On oublie que ce sont JamesThiérée et Omar Sy sous le maquillage et les déguisements, ils redonnent vie à ces deux célébrités du passé. Nombreux sont ceux qui font l’éloge d’Omar Sy, certes il joue bien mais la véritable force de ce film c’est James Thiérée, petit fils de Charlie Chaplin dont la ressemblance physique est frappante. On sent qu’il s’y plait, qu’il maitrise son rôle étant lui même danseur, chorégraphe, artiste plein de talents. C’est d’ailleurs intéressant de constater une forme d’écho avec la réalité. Dans Chocolat, Foutit construit, élabore et noircit des carnets avec ses idées de numéros, c’est un personnage mystérieux dont on ignore presque tout de sa vie privée. Les questions sur l’utilisation de tout cet argent accumulé avec le succès et sur ce qu’il fait hors des représentations reviennent souvent. Contrairement un Chocolat très démonstratif, roulant en voiture, affichant des bijoux en or et se trémoussant dans des soirées mondaines en jouant les jolis coeur. Sur scène, Footit est tout autre, il donne de sa personne. Le film prête une réflexion sur les duos, sur leur succès inextricablement lié et leur chute également, ils sont comme attachés par des chaînes invisibles surtout quand la fusion est si importante. Chocolat c’est également une grande histoire d’amitié à travers les épreuves, malgré les différences et même si Footit botte les fesses de Chocolat tous les soirs, il y a de l’amour entre ces deux là. 

 

On sent que Roschdy Zem veut critiquer biens des choses par delà son film. Tout d’abord, la célébrité rapide, la perte des repères, le fait de choisir une personne et de la sortir du quasi anonymat pour en faire une véritable vedette sans qu’elle y soit préparé, à l’argent, aux filles attirées par la renommée. Cela peut faire naître des projets trop ambitieux à s’en brûler les ailes. Là dessus, le réalisateur réussit à passer son message. Par contre sur sa deuxième remarque, celle du racisme, tout est maladroitement exploité. Elle tombe comme un cheveu sur la soupe. Il amorce des choses qui n’aboutissent pas telle que la présence du personnage de Victor dont on se demande encore l’utilité après avoir vu le film. Le réalisateur parvient tout de même à montrer le racisme inhérent de l’époque par divers procédés : une exposition coloniale, les affiches publicitaires Felix Potin, le public aimant Chocolat car il se fait "battre" par un blanc. Son réquisitoire tient mais s’écroule au moment où Rafael Padilla sombre lorsqu’il entame sa carrière en solitaire. Les huées de la première d’Othello scelleront son avenir, le public n’est pas prêt à voir un noir qui s’assume, un "nègre" interpréter le premier rôle.  

 

Quoiqu’il en soit, Chocolat est un bon film, intéressant car historique et bien documenté, bien préparé. On apprécie les images d’archives à la fin où l’on aperçoit les vrais Footit et Chocolat, le duo qui a révolutionné le monde du spectacle en inventant des numéros pour le Clown Blanc et l’Auguste ensemble, le "sage" et "l’idiot" travaillant main dans la main.