Voyant peut-être que sa fille n’en s’en était pas si bien tirée devant Mélenchon à la télévision, Jean-Marie Le Pen a ressorti la vieille artillerie du Front national (« descend un peu de ton pédalo si t’es un homme, viens, je te prends à mains nues »). Un peu dérisoire, mais, bah, c’est la campagne électorale. Plus ennuyeux, parce que maladroite, sa sortie sur la Syrie, qui oblige Bruno Gollnisch, décidément rangé sur la ligne de Marine, à argumenter en touche. Pour lui, les journalistes à Homs seraient utilisés en temps que boucliers humains par l’armée rebelle syrienne. Peut-être pas vraiment faux… peut-être un peu trop vite dit : ils seraient, selon France Info, à présent au Liban. Puis, patatras, quelques heures après, on ne savait plus trop.

 

Soyons clairs : je n’apprécie pas Vanneste, sa manière d’énoncer les faits, mais ils sont têtus, et les homosexuels français n’ont pas été les victimes d’un génocide (ce qui n’empêche que les allemands, eux, ce fut tout autre chose, tout comme pour les Tsiganes et autres Rroms…).

Alors, surtout après avoir lu Kurt Vonnegut Jr. (qui était Américain et prisonnier à Dresden, et en tira Slaughterhouse-Five, ou l’abattoir 5), je ne vais certes pas contredire Jean-Marie Le Pen.
Il citait, sur France Inter, les « 200 000 morts civils de Dresde ». Dont beaucoup de STO (involontaires du travail forcé), de prisonniers de guerre, de Juifs des usines tournant à plein régime, de femmes, d’enfants, pas toutes et tous Allemands ou nazis, loin de là.
« Les gens qui ont fait ces bombardements de populations civiles devraient se taire quand ils parlent de Monsieur Assad, et qu’ils parlent de 6 000 morts en six mois en Syrie, » a-t-il poursuivi.

Dont acte, et si je ne saurais comptabiliser les morts civils en France et en divers pays occupés du fait des bombardements alliés (surtout britanniques et américains), « détail » (entre guillemets) parfois occulté, il est possible peut-être de comparer les chiffres. Tout dépend dans quel esprit, quel contexte.

Ce qui a légèrement gêné Bruno Gollnisch aux entournures qui s’est empressé d’ajouter : « une vérité qui ne doit pas conduire à nier la violence de la répression, ni à occulter les travers du régime syrien. ». Ouf ! Lequel régime est cependant le dos au mur et – admettons-le, peut-être aussi de son fait – plus vraiment contesté par seulement des populations pacifiques et désarmées.
Je me suis déjà exprimé sur cette guerre civile syrienne, en marchand sur des œufs, parce que, là, je suis très peu compétent (juste deux séjours en Syrie, lointains, des échos des deux, trois ou quatre camps opposés).

Les turpitudes françaises en Afrique et ailleurs ne doivent pas cependant renvoyer dos à dos Assad et Sarkozy (et des prédécesseurs) comme semble le faire Jean-Marie Le Pen sur le mode du « toutes choses égales par ailleurs ». C’est bien ce qu’a compris Bruno Gollnisch. Et tant mieux…

Il s’agit effectivement de ne pas être dupes quant à la nature du conflit. Pour cela, encore faudrait-il être réellement informés, et pas que sur le mode émotionnel victimaire. Je me suis encore récemment attiré des remarques très fortes de Libyennes et de Libyens qui trouvaient que je noircissais vraiment trop le tableau. Elles et ils ont raison. Mettons que je rétablis une sorte d’équilibre (dans ce domaine, le mot n’est pas très judicieux, ce n’est pas les cinq minutes d’antenne pour les déportés suivies ou précédées des cinq autres des nazis). 

L’émotion est là, les victimes sont hélas bien trop réelles, je ne le nie absolument pas. Je ne nie pas non plus que les Le Pen ou Gollnisch n’ont pas à se voir interdire de se poser à haute voix des questions. 

Je remarque que c’est fort bien de qualifier de « plaisanterie » le référendum syrien mais que le camp dit occidental ne s’est pas empressé de proposer aux Russes ou aux Chinois les conditions pour en faire autre chose. De même avait-on acculé les Kadhafi à vaincre (peu probable) ou périr…
Je veux bien que l’on me soutienne le contraire, mais pour le moment, j’en reste sur cette impression… Benghazi n’aurait pu être vaincue car elle avait les moyens de se défendre, Homs n’est pas tout à fait pilonnée autant qu’elle pourrait assurément l’être (l’arsenal syrien a certainement les moyens de faire encore bien pire).

La Croix-Rouge internationale et le Croissant rouge pouvaient-ils évacuer les journalistes occidentaux prisonniers ? Ne serait-ce pas l’Armée dite libre qui aurait contrecarré cette volonté ? Je n’en sais rien. Mais si j’étais assiégé dans Homs, avec des masses de femmes et d’enfants à protéger en me servant de journalistes en tant que boucliers humains, je ne sais absolument pas ce que je pourrais décider. Bruno Gollnisch n’accrédite pas cette thèse mais souligne que le pluralisme de l’information sur la Syrie laisse à désirer.

 

Sur « l’incident » (guilles indispensables), je relève que selon Jim Muir (BBC), Édith Bouvier aurait refusé de se faire évacuer par la Croix-Rouge. Elle a peut-être des raisons sérieuses de le faire, je ne juge absolument pas (et puis, les apparences sont peut-être trompeuses, allez savoir…). La Croix-Rouge syrienne est-elle vraiment neutre ? Ou l’a-t-on décrite trop proche du régime ?

Je n’en sais rien. Je ne sais même pas si Assad dirige et décide vraiment ou s’il est contraint par son entourage de dire et faire ce qu’il déclare et ordonne. Dans l’autre bord, le Libanais Walid Jumblatt reconnaît (dans Al-Anbaa) que l’opposition est fragmentée, fractionnée, ce qui, au moins au départ, n’apparaissait pas en Libye.

La réalité est sans doute que, beaucoup plus encore qu’en Libye, même les familles sont divisées.

La position chinoise est que les Nations Unies et la Ligue arabe puissent constituer une force d’interposition. Elle vient d’être réitérée par le China Daily. Peut-on y accorder foi ? Car si les Chinois comme les Russes ne voient pas trop qui pourrait avoir la crédibilité pour remplacer la famille Assad, ils la préfèreront à l’incertitude. D’ailleurs, selon MSNBC, la diplomatie américaine, échaudée par l’Irak, est à peu près sur la même position. Si ce ne sont eux, qui d’autre ?

« Nous ne sommes pas sûrs que nous préférerons vraiment leurs successeurs, » aurait confié un diplomate américain, en envisageant l’éventualité d’un scénario à la Yéménite.

Couloirs humanitaires

Mais puisque Jean-Marie Le Pen évoque des exécutions de masse, et que personne ne veut trop se couper des personnages influents de la communauté arménienne en France, si on évoquait ce que l’Azerbaïdjan considère avoir été un massacre arménien-russe dans le Haut-Karabagh, à Khojaly, le 26 février 1992 ? Selon la version azérie, 613 civils auraient été massacrés par les forces armées arméniennes appuyées par le 366e régiment russe de blindés. Accusation confirmée par Human Rights Watch qui a bel et bien utilisé les termes de « massacre » et de « crimes de guerre ».
On avait promis aux Azéris un corridor humanitaire, ce fut une souricière.
Il y eut, au Karabagh, près de 30 000 victimes de part et d’autre. Mais le dit « Occident » s’est assez bien accommodé de Serzh Sargsyan, qui n’a pas du tout renié l’exécution de civils azéris.

Mais se balancer des chiffres et des récits d’horreur à la figure, pour tenter de paraître blanc d’un côté ou de l’autre, ou de noircir l’adversaire n’avance à rien. En Syrie, la situation n’est sans doute même pas uniformément grise.

François Hollande évoque un « régime abject ». Soit. L’Observatoire syrien des droits de l’Homme dont on ne sait trop que penser (pas davantage que l’ONG « d’en face ») dénonce que 69 Syriens, dont 11 soldats, auraient été abattus par balles ou à coups de couteaux. 

Aux avant-dernières nouvelles, Édith Bouvier et Paul Conroy auraient été exfiltrés vers le Liban, selon France Info. La famille du photographe Paul Conroy aurait pu s’entretenir avec lui, depuis Beyrouth. Aux dernières nouvelles, un peu plus tard ce jour, on était de nouveau plus sûr de rien. Conroy, donné à Beyrouth, n’y serait jamais parvenu, Bouvier n’aurait pu partir de Homs.

En attendant d’en savoir davantage, et même si les informations se succèdent, la circonspection reste de mise. C’est à peu près tout ce que l’on peut dire de l’orientation de la situation en Syrie où, oui, nettement, il convient de noter que le régime se livre à une répression aveugle.

Mais si le seul message qu’on lui envoie vraiment, c’est que les Assad finiront comme les Kadhafi, que cherche-t-on réellement ?