Surcouf : sursis au 30 novembre

Les magasins spécialisés en informatique Surcouf devraient fermer leur porte le 30 novembre prochain si aucun repreneur ou aucune solution ne se dégage pour préserver leur activité présente ou leur donner une autre destination. Le premier magasin Surcouf, sis à Paris sur l’avenue Philippe Auguste, proximité de la place de la Nation, avait essaimé (six magasins à ce jour). Mais l’enseigne n’a pas résisté à la démocratisation de l’informatique, à la baisse de ses coûts, et à la concurrence des vendeurs en ligne ou des grandes surfaces généralistes.

Le « Grand Couf’ », personnage emblématique de l’enseigne Surcouf des origines, censé fracasser les prix, avait sombré lorsque la société créée par fin 1992 par Olivier Dewavrin et Hervé Collin avait été reprise, en 1998, par la Fnac.

Déjà, lorsque le navire amiral avait été transféré, en 1995, avenue Daumesnil, le gigantisme (plus surface française consacrée à l’informatique, matérielle et logicielle), les mêmes causes commençaient à provoquer les mêmes effets : la vente en ligne était encore balbutiante, mais la concurrence croisée des toutes petites boutiques et des promotions des grandes surfaces commençait à éroder des marges qui étaient rapidement devenues plus ou moins préservées par un renchérissement des prix affichés.

Le tout premier Surcouf tenait du capharnaüm, et de la farfouille aux pièces détachées. Pour aborder l’informatique, il fallait être fortuné (mon premier ordinateur portable, vers 1980, un Epson, m’avait coûté un bras), ou vraiment bricoleur. Mais Surcouf proposait déjà d’aller puiser dans les rayons de quoi se constituer une « bécane » (une unité centrale), afin que des techniciens l’assemblent. Ensuite, on faisait évoluer l’ordinateur, parfois en achetant des pièces d’occasion, et son équipement général (périphériques telles les imprimantes, les écrans…), en retournant se plonger dans cette Mecque parisienne seule en son genre ou presque en Europe.

Mais rapidement, le corsaire se retrouva entouré de « pirates », soit de boutiques asiatiques, restant souvent ouvertes plus tard, disposant de moins de personnel, et pouvant rogner sur des marges qui chutaient constamment. Hors promotions vraiment exceptionnelles, Surcouf ne pouvait vraiment lutter sur les prix. Puis, l’informatique se démocratisant, les grandes surfaces finirent par proposer aussi ordinateurs, écrans, imprimantes, numériseurs. Les professionnels, eux, achetant en nombre, ou du matériel spécialisé vraiment haut-de-gamme, ne se mêlaient plus à la plèbe des clients de Surcouf…

La pression de la concurrence se décupla peu après l’installation sur l’avenue Daumesnil. D’abord juste de l’autre côté de l’avenue, puis tout le long de la rue Montgallet voisine, et encore dans les rues adjacentes, les boutiques ont empilé de maigres stocks à rotation rapide. Progressivement, l’enseigne Surcouf se transforme en « show room ». On vient voir, toucher, se renseigner, avant de filer acheter, jusqu’à un tiers moins cher parfois, à proximité immédiate.

De plus, ce qui faisait la spécificité de l’enseigne, soit la vente de matériel d’occasion, et la présence de démonstrateurs de logiciels, perd de sa puissance ou de son intérêt. En mai 2001, quand l’enseigne aborde la vente en ligne, les éditeurs de logiciels pratiquent déjà la vente directe, et fidélisent leur clientèle. Pour se dépanner en consommables, les Fnac, les magasins Virgin, ou de petites boutiques, supplantent Surcouf.

Par ailleurs, l’activité dépannage, encore prisée, voit ses tarifs très sensiblement augmenter. 

Ces derniers mois, dans le magasin parisien du boulevard Haussmann, visant une clientèle sensiblement différente du fait de sa localisation plus huppée, cela « sentait le sapin ». Très peu de chalands, pratiquement plus de file d’attente à l’atelier de réparation : des matériels à l’obsolescence programmée ou aux performances très rapidement dépassées ne valent plus vraiment d’être réparés quand le prix du neuf chute.

Par ailleurs, les « gamers », qui investissent beaucoup dans du matériel performant, optent pour des marques confidentielles (vendant directement), ou ont appris à monter eux-mêmes… La connectique s’est aussi simplifiée, on met moins les doigts dans le cambouis du « Bios » (à régler des IRQ, par exemple), les forums remplacent les conseils individualisés avisés.

L’enseigne n’a pu vendre trois de ses magasins en province, et depuis juin, c’était tout le groupe qui était à vendre, sans intéresser de repreneurs. Le tribunal de Lille a donc décidé sa liquidation, laissant l’activité se poursuivre jusqu’à fin novembre.

Le problème est plus vaste. Ancien de la presse informatique spécialisée (en graphisme 2D et 3D), j’ai constaté parallèlement, dans les Relais H ou d’autres enseignes, les tentaculaires présentoirs de la presse informatique se rétrécir, et les titres devenus plus rares céder la place à des magazines de gadgets, principalement téléphoniques.

Comme l’avait résumé Olivier Cagnoux, secrétaire du comité d’entreprise, « nous avons perdu le côté ouf [fou] de Surcouf. ». C’est en fait toute l’informatique grand public qui a perdu son côté insolite, et l’épopée des bidouilleurs ou découvreurs ne fait plus rêver.

Dès 2004, l’aura de Surcouf commençait à se ternir. L’enseigne employait encore près de 400 salariés. L’aventure aura duré vingt ans.   

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

3 réflexions sur « Surcouf : sursis au 30 novembre »

  1. S’agissant du vaisseau amiral « Surcouf Daumesnil » les coquillages (asiatiques) ont tué la baleine, c’etait facile de vendre moins cher sans payer la TVA entièrement ou en déposant le bilan tous les 2 ou 3 ans, ou en ne déclarant que la moitié du personnel (la famille …) bref, on ne vit pas sur une baleine morte, les petits commerces asiatiques qui ont tué la baleine vont mourir aussi, car ils travaillent sur de faibles marges et le flux de visites drainées par Surcouf est supérieur à ce niveau de marge > bientôt cette zone daumesnil / montgallet / rue de chatenton .. sera sinistrée (comme l’a été la zone Philippe-Auguste quand Surcouf l’a quittée) grosse baisse des prix des baux commerciaux à prévoir, les pancartes « bail-a-ceder » vont fleurir. Le reste, la gestion d’Hugues Mulliez? On peut lui reprocher plein de choses mais il s’est surtout fait avoir par PPR qui lui a fait le baiser-du-serpent, mortel! Il a quand même fait un super magasin rue du Molinel à coté de la Gare des Flandres à Lille, il aurait du s’allier avec ses autres cousins Mulliez pour faire une vraie grande marque-ombrelle multicanal avec GrosBill, Webdsitrib, Electro-Dépot et Surcouf, toutes ces marques de la galaxie Mulliez! Les vrais gagnants dans l’histoire furent les fondateurs Olivier Dewavrin et Hervé Collin qui ont refourgué Surcouf à la Fnac alors que ça commençait déja à partir « en sucette ».. Ayons une pensée pour tout le personnel de Surcouf qui arrivera surement à ce recycler. Bonne chance à vous.

  2. Pas mal vu, Bachir78. On est bien d’accord sur PPR qui a peut-être, comme à la Fnac, lâché ses HEC-like, contrôleurs de gestion, responsables de gâchis humain, et tué tant l’esprit Fnac que celui de Surcouf.

    Il a peut-être réussi à l’affaiblissement des syndicats mais surtout fait en sorte d’écœurer celles et ceux qui aimaient vraiment leur métier.

    Je doute fort que tout le personnel de Surcouf puisse retrouver du taf. Après la pénurie de gens formés au montage, à la réparation, à l’installation de logiciels et à la résolution des conflits pouvant en résulter, c’est plutôt le surnombre.

    Pour Montgallet, je finis par penser que la rue (et adjacentes) était devenue plus attractive que la baleine elle-même. On va sur la Toile, on cerne son besoin, et si on n’a pas envie de commander, on descend ou remonte la rue.
    Certes, les marges sont faibles, mais les coûts raisonnables. Et j’ai quand même pu obtenir récemment un rabais d’environ 7 % du mieux disant sur un portable (un HP).

    En revanche, HP-Compaq vend à présent en ligne comme Dell, soit en fidélisant sa clientèle en direct. Les prix promotionnels sont à peu près ceux des sites marchands les mieux disant.
    Mais bon, je suis largué : je viens de découvrir qu’Alienware (bêtes de course pour gamers) était passé chez Dell, une vraie station de travail graphique revient désormais à moins de 1 500 euros (le prix d’un écran Eizo désormais, mais on en trouve à moins de 500 euros pour les petites dimensions).

    À ma brave dame, tout fout le camp. Même Notting Hill Gate n’est plus ce qu’elle était, et pour retrouver l’ambiance geek, il faudrait, me dit-on, aller du côté de XuJiaHui à Shangaï. 😉

  3. Bonne analyse du sujet qui montre que la rapidité de l’informatique et son évolution virtuelle aura elle aussi réduit la durée de vie des réseaux commerciaux. L’époque ou beaucoup pensaient que seuls les livres et CD pouvaient être vendus sur le toile en sont revenus et restent chez eux. Les propositions arrivent même d’elles-mêmes sans rien chercher.

    Pour info même des choses comme des matériaux de construction pour réaliser toute sa maison se trouvent sans bouger de chez soit…

    PH

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