Sondage et vote ouvrier, Melenchon ou Le Pen

Lors de son débat avec Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen avait habilement fait braquer une caméra sur la une de La Voix du Nord la créditant d’un fort score chez les Nordistes et notamment chez les « ouvriers ».  Je ne sais plus trop ce qu’est un « ouvrier » (un éboueur est parfois rétribué tel un cadre, une technicienne de surface beaucoup moins payée qu’un OS…) mais s’il faut en croire Marine Le Pen et les sondeurs, il doit y avoir ouvrier et ouvrier. Selon la Sofres, 35 % des Français estiment que Jean-Luc Mélenchon défend mieux les ouvriers (contre 10 % pour Marine Le Pen).

Attention, ne confondons pas popularité (c’est largement François Bayrou qui l’emporte dans l’opinion), intentions de vote (Sarkozy ou Hollande seraient en tête) et catégories ESP (sociopro).
Ce n’est pas du tout la même chose.

Mais j’en viens à me demander si Marine Le Pen n’est pas la candidate de la classe ouvrière qui ramasse plus de 2 500 euros par mois (sur un seul salaire, et j’en connais plus que vous ne pourriez l’imaginer).

Tandis que Jean-Luc Mélenchon serait le candidat des techniciennes de surface, des garde-malades, des caissières que fréquentait Florence Aubenas à Ouistreham.

Donc, Mélenchon « candidat naturel ».
Mais quand on a vu des ouvriers, en bas de l’échelle, voter pour Sarkozy, on voit le gouffre qui sépare les intérêts bien compris et les intentions de vote.

Or donc, ce sondage qui ne porte pas sur des intentions de vote, mais sur la perception que se font les électrices et électeurs de tel ou tel(le) candidat·e. Cela veut dire que le banquier, l’universitaire, le sociologue, le cadre moyen, etc., mais pas le SDF dépourvu de téléphone ni le travailleur saisonnier qui n’a ni télé, ni moyen de lire un journal, même au bistrot, se font de Jean-Luc Mélenchon une vision voulant qu’il soit celui qui « défend le mieux les ouvriers ».

Pour les « ouvriers » (lesquels ?) eux-mêmes, ce serait Hollande qui arrive en tête (33 %), avec seulement 12 % pour Marine Le Pen ou Nicolas Sarkozy.

Tout d’abord, toutes classes sociales confondues, on peut déceler (si on accorde foi à ce sondage ou à d’autres) une persistance de la mémoire et une certaine lucidité. L’entourage de Marine Le Pen ne comporte strictement aucun ouvrier. Tout le passé du Front national a très amplement démontré les accointances avec des notables, des avocats et professions libérales, de gros commerçants, de petits ou grands industriels. Marine Le Pen peut sauter comme une cabrette, cela lui colle à la touffe (caprine).

Ce sondage est étonnant d’autant que tous les candidats connus (Carl Lang, Cheminade et quand même quelques autres exclus) étaient listés, dont des candidats n’ayant pas recueilli leurs 500 suffrages (comme Philippe Poutou, du NPA). Même le fantomatique Frédéric Nihous se voit créditer d’un point.
Allez comprendre pourquoi Nathalie Arthaud (LO) devance de trois points Poutou.

Autre point intéressant, qui explique aussi pourquoi Hollande aurait davantage les suffrages des dits (ou soi-disant) ouvriers. Pour les sympathisants de la « gauche de la gauche », 31 % estiment que la dispersion des voix à gauche (donc, entre Hollande et d’autres) est une mauvaise chose (45 % chez les sympathisants du PS). Ce qui expliquerait tant les résultats de Hollande que du NPA et de LO (car, franchement, on ne voit pas pourquoi, en soit, LO ou le NPA serait moins ouvriériste que le PCF ou le Front de Gauche).

Seulement 42 % des sondés admettent que la présence de Poutou, Mélenchon ou Arthaud est une bonne chose. Je vous fiche mon billet que, pour les sondés proches de l’UMP, c’est bien sûr une excellente chose, et pas parce qu’ils « expriment des positions et des sensibilités différentes » méritant d’être manifestées. On ne voit d’ailleurs pas trop la position et la sensibilité de Villepin, mais on se doute qu’elles n’enchantent pas l’UMP, pas davantage que celles de Dupont-Aignan.

Bref, 25 % des « ouvriers », soit le quart des ouvriers qu’est censée, selon elle, avoir convaincu Marine Le Pen de voter pour elle, pense que Mélenchon est le mieux à même de défendre leurs intérêts. Même Bayrou devance d’un point Sarkozy et Le Pen. Corinne Lepage, Dupont-Aignan et Nihous sont chacun à 1 % alors que le gaulliste de gauche Dupont-Aignan est certainement beaucoup plus sensible au sort de la condition ouvrière que, par exemple, Dominique de Villepin (4 %), qui, lui, eu eu l’occasion de démontrer son attachement au sort des classes les plus défavorisées, à celui de leurs enfants espérant intégrer des établissements d’études supérieures.

Ce qui laisse penser que Marine Le Pen a séduit les couches populaires, c’est qu’aux cantonales, n’importe qui espérant engranger 2 000 euros ou davantage (plus des frais de représentation, des avantages multiples) semblait avoir sa chance sous l’étiquette Front national. Pour les législatives, le FN rame à présenter des gens sachant s’exprimer, tenir un débat sans réciter des éléments de langage. La position d’une ou d’un candidat se juge à l’aune des autres, de la même formation.

Ce n’est pas un sondage qui fera s’effondrer le mythe du vote « ouvrier » en faveur du Front national, de Me Collard, de toutes celles et ceux qui veulent des fromages, mais la composition de la candidature globale FN aux législatives.

Mais, en tout cas, Mélenchon n’avait pas tort de promettre à Marine Le Pen qu’il allait l’étriller, lui rendre la vie (politique) impossible, la ramener, non pas à ce qu’elle est (qui la connaît vraiment ?), mais à ce qu’elle représente réellement.

Lors du fameux débat les opposant, Marine Le Pen s’efforçait de prendre de la hauteur. Mélenchon lui a effectivement fait du Marchais : kikétoidon, kektufé pour l’avort’ gratos, nozallocs (le complément familial).
Stratégie gagnante car ce qu’attend la plupart des démunis, des petits salaires, des précaires, &c., c’est qu’à défaut d’emporter des élections, les possédants, les nantis, soient, sinon ridiculisés, du moins démasqués, et pris pour ce qu’ils sont. Mais, au moment de sonder, non point le portefeuille mais le porte-monnaie, ou la poche rapiécée, bien sûr qu’on porte plutôt ses espoirs d’un sort moins pire sur François Hollande. À tort ou à raison…

Sondomanie trompeuse ?

Mais en tout cas, pas question d’accorder quelque confiance (sauf pour les demeurés) à Nicolas Sarkozy ou Marine Le Pen. Laquelle, en revanche, doit certainement bénéficier d’intentions de votes supérieures, dans les mêmes couches sociales, que Nicolas Sarkozy. Effectivement, quoi que puisse en penser la cellule riposte du Figaro, il n’y a pas photo. Pour l’emploi, la sécurité, et tout simplement pour tourner la page, non point de l’UMPSFN, mais de Sarkozy, autant que ce soit elle plutôt que le Sarkozy nouveau, un beaujolais frelaté.

Paul Quilès (PS) le dit et redit : attention à la « sondomanie ». Elle influe sur la perception que se font les électrices et électeurs des candidats et des programmes. Ce n’est pas tout à fait faux. Il en est de même des consultations, notamment en ligne.
Tenez, un exemple flagrant : la consultation de Come4News qui donne largement en tête… Corinne Le Page. Elle serait la favorite du visitorat de C4N pour le premier tour de l’élection présidentielle. Avec 570 répondants et 22 %, tous les autres se tenant plus ou moins à la culotte, sauf Éva Joly (0,6 %).
Je ne peux que penser que Corinne Lepage a signalé cette consultation a tous ses sympathisants.
C’est en une (page d’accueil) de Come4News, et, désolé, depuis le 16 février dernier, cela n’a dû être aperçu vraiment que des sympathisants de Corinne Lepage, à mon humble avis (de quelques milliers d’autres quand même… mais… très dispersés).
Mais, pour un peu, j’allais revisiter le site de Lepage, qui n’énonce pas que des choses fausses. Je m’apercevrais peut-être que, pour la défense des « ouvriers », elle tient autant la route que quelques autres (de 1 à 3 % pour le sondage de la Sofres, selon les questions).

Mélenchon a convaincu

Marine Le Pen et son équipe de campagne vont très certainement accuser le coup et tenter de redresser le tir. Attendez-vous à savoir que des « ouvrières » et des « ouvriers » viendront, sur les tribunes, réciter leur texte, aux côtés de Marine Le Pen. Le camouflet et le démenti sont tels qu’il faudra bien réagir. C’est déjà un peu commencé, avec un chauffeur-routier promettant que le cabotage (la prise de fret) par ses collègues étrangers transitant en France sera éradiqué. Yaka-Faukon voter Marine. Il y en aura d’autres. Pour une dotation de produits d’entretien plus efficace pour récurer les cuvettes des toilettes. Pour des magasins communautaires « Au profit du travailleur », pour ce que vous voudrez. L’enfumage, à l’endroit (ou plutôt l’envers) des classes dites populaires, surtout auprès de celles et ceux fréquentant les permanences du FN dans l’espoir d’obtenir un petit boulot ou une embauche, c’est constitutif du Front dès ses origines.

Jean-Luc Mélenchon n’a peut-être pas convaincu l’électorat « populaire » de voter massivement pour lui, mais il a dégonflé la baudruche « populaire » d’un Front national qui se voit fragilisé. Attendez-vous à savoir que Marine Le Pen en remettra un couche sur l’immigration, la peine de mort, les valeurs chrétiennes de la France, &c., si elle pressent que le vote populaire lui échappe et que, pour ne pas faire un score inférieur à celui de son père, il lui faut revenir aux fondamentaux.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

5 réflexions sur « Sondage et vote ouvrier, Melenchon ou Le Pen »

  1. Rigolo Jean-Marie Le Pen qui vient de déclarer :
    « [i]Je trouve scandaleux qu’un voyou comme M. Mélenchon se croit autorisé à prendre à partie une femme[/i] ». La femme en question étant bien entendu sa fille.
    Dans le genre délicat, il a poursuivi :
    « [i]j’offre un débat à M. Mélenchon et je vais lui retirer son caleçon, et je vais montrer ce qu’il est: le candidat des communistes, qui ont du sang sur les mains jusqu’aux coudes[/i]. ».
    Question descendre le caleçon, il y a l’allié du Front national, le British National Party.
    Nick Griffin, marié, quatre enfants, chef de file du BNP, a carrément baissé son pantalon pour attendre la copine d’un de ses députés européens.
    Claudia Dalgleish, directrice d’une agence de mannequins, se dit harcelée par Nick Griffin, le « Pew » (ou le Dominique Strauss-Kahn britannique).
    Steve Squire, avait recommandé à Claudia de fréquenter Nick Griffin, dans l’espoir de faire avancer sa carrière.
    Claudia, harcelée de messages coquins, vient de vendre la mèche à la presse.
    On ne sait pas trop jusqu’où le FN a les doigts, mais, compte tenu du traitement qu’il réserve à Caroline Fourest (l’emmener en forêt, la prendre à plusieurs attachée, voir nos précédents articles), on se pose des questions.

  2. Tous vos sondages sont pipés donc non fiables
    Tous les présidenciables ne sont pas dans vos listes
    Comme par exemple CARL LANG

  3. Comment peut-on oser publier un article d’analyse (ce qui nécessiterai une expertise dans le domaine) et confondre FO (= Force Ouvrière, syndicat) et LO (Lutte Ouvrière, parti politique)?

  4. Ian, merci de cette pertinente remarque. C’est désormais corrigé. Dû au grand âge et à la fatigue.
    Je vois que vous n’avez pas publié beaucoup d’articles ni reçu des dépêches d’agence en continu.
    Figurez que, parfois, quand il y avait encore des téléscripteurs, les sonnettes retentissaient soit pour une alerte (actu urgente), soit pour correctif.
    Du genre « dans notre xxxxx intitulée blablabla, § x, ligne y, merci de bien lire… ».
    Et figurez-vous que, théoriquement, le truc avait été relu cinq fois, par l’auteur-e), par la ou le chef de service, et trois fois par la ou le chef(fe) de desk (et j’ai été chef de desk à l’ACP).
    Tenez-vous bien, cela ne suffit pas, la preuve c’est qu’on doit parfois envoyer des correctifs. Sur des trucs parfois très cons, alors même qu’on sait que « le lecteur aura corrigé de lui-même ».
    Je n’ai aucune autre expertise que celle d’avoir été délégué syndical dans la presse et d’avoir auparavant pondu quelques centaines d’articles divers publiés dans divers quotidiens et hebdomadaires, soit sur des sondages, soit sur l’actualité politique ou syndicale (et bien sûr d’autres sur divers sujets). Dont, je crois me souvenir, deux entretiens avec Blondel (Force ouvrière et non Lutte ouvrière, secrétaire général ou quelque chose d’équivalent).
    Et même d’avoir été en charge d’un mensuel d’une formation politique (moins d’un an, autant que je me souvienne, c’est lointain).
    Sinon, un DÉA (mastère) mettons « civilisationniste », un autre qui n’a rien à voir avec le schmilemilblick (quoique, la traduction d’articles de socio, parfois…).
    Cela ne fait pas de moi un expert, juste un « sachant ».
    Qui peut être lourdement exposé aux lapsus de saisie, ce que vous venez parfaitement de démontrer, et je vous réitère mes remerciements.
    P.-S. – il serait grand temps que la médiologie ou médialogie néologise et trouve un terme pour ce genre de remarque visant à réfuter tout un article, à dénier toute compétence à son auteur, sur un point et un seul. Cela revient à dire qu’un ministre, après trois ou quatre ans dans le poste, serait totalement incompétent du fait qu’il ne sait plus trop quel est le prix de la baguette ou d’un ticket de métro, ou, s’il supervise la Française des jeux, d’un bulletin de loto ou du PMU.
    Je ne sais ce que l’on pourrait trouver, mais on pourrait chercher du côté de refutatio et absurde.

  5. Pour Clovis 92 : ce ne sont pas mes sondages.
    Si vous me lisiez régulièrement, vous sauriez que j’ai évoqué Carl Lang dans un précédent et récent article.
    Je mentionne aussi parfois Cheminade.
    C’est fantastique : on fait état de sondages provenant d’une autre source, et il vous est imputé un biais qui n’est pas de votre fait.
    Il faudrait là aussi un terme pour définir le procédé.

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