Après le G20, la Grèce toujours sur la sellette

La consommation mondiale de pétrole brut aura progressé sans doute de près 20 % à la fin de l’année par rapport à 2010. Plus que l’embargo iranien visant certains pays occidentaux, cette montée globale de la demande, avec un baril dont le prix se rapproche de son plus haut de 2008 (150 USD), va peser sur l’économie européenne. Notamment sur la capacité de la zone euro de faire face à la dégringolade des pays les plus exposés. En particulier sur le risque de contagion d’une faillite de la Grèce, que sa sortie concertée de la zone euro pourrait, à présent, réduire, selon certains analystes, y compris allemands et mondiaux.

J’ai sauvé la Géorgie, j’ai sauvé la Libye, j’ai sauvé la Grèce, dormez braves gens, scande Nicolas Sarkozy. La Géorgie est amputée, la Libye évitera peut-être une seconde guerre civile grâce à la corruption, la Grèce n’est absolument pas sauvée.

C’est d’ailleurs pourquoi Hans-Peter Friedrich, ministre allemand de l’Intérieur, invite, dans Der Spiegel, la Grèce a quitter l’Eurozone.

Je l’avais indiqué dès l’aube de l’accord sur la vraie-fausse et fausse-vraie faillite de la Grèce, le 21 février dernier :
« Grèce, un troisième plan d’aide indispensable ».

Trop coûteux pour l’Europe et pour la Grèce, estime Friedrich, qui invite la Grèce à revenir à la drachme, d’elle-même, pour son propre bénéfice et le bien commun.

« Je ne dis pas qu’il faut expulser la Grèce, mieux vaudrait créer des incitations pour qu’elle ne puisse dire non », soit s’exclure d’elle-même. Dans l’Union européenne, mais hors zone euro, la Grèce pourrait retrouver de la compétitivité et de la croissance, estime le ministre allemand. Social-démocrate (CDU) comme Angela Merkel, Friedrich se prononce alors que, demain lundi, le Bundestag doit se prononcer sur le déblocage d’aides financières pour la Grèce.

Le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäule, a indiqué vendredi ce qui était évident dès la décision de l’Eurogroupe, proclamée vers 3 heures du matin, le 21 dernier : « Il est également possible que le Parlement allemand soit de nouveau appelé à étudier une aide financière pour la Grèce. ». Ce qui vaut pour l’Allemagne vaut pour la France, et même le Royaume-Uni, ou la majorité au pouvoir est aiguillonnée par des députés eurosceptiques.

Pour le moment, les plans d’aides aux économies européennes passent aussi par le FMI. Lequel devrait sans doute réduire à l’avenir ses ambitions d’intervention en Europe. En France, le nez collé sur la campagne électorale et quelques polémiques secondaires (pour le moins) imbéciles, la vulgate officielle domine : tout, tout va continuer, soit s’arranger et non s’aggraver.

Faillite de fait

Tout d’abord, le second plan de sauvetage de la Grèce signe sa faillite de fait. Seul l’emploi du nom est évité. Le G20, réuni à Mexico, laisse entendre à l’Europe verra le soutien du FMI conditionné à l’adoption d’un véritable fonds de sécurité. À l’Union européenne de convaincre le reste du monde qu’elle fait ce qu’il convient pour s’aider elle-même. Non seulement l’UE doit-elle tenir ses engagements vis-à-vis du FMI (le doter de 150 milliards d’euros), mais abonder les sommes suffisantes pour éviter la contagion grecque. Angel Curria, de l’OCDE, évoque des sommes de l’ordre de mille à mille cinq cents milliards d’USD pour tenter de faire fléchir la récession qui s’annonce… et éviter la contagion.

De l’Europe, le FMI est censé mobiliser seulement 600 milliards.

La Banque mondiale estime que le plan pour la Grèce (130 milliards d’euros) n’est qu’une solution d’attente. De quoi ? D’une solution crédible qui repose encore sur l’hypothèse que la Grèce pourrait faire officiellement faillite. Take the money and run (out of the Eurozone) demeure un scenario envisageable. La Grèce aurait obtenu assez d’oseille pour se barrer et s’en tirer (à peu près) sans que la contagion redoutée soit aussi effroyable qu’envisagée auparavant.

Il y a peu de chances que le parlement allemand, même si des voix dissidentes au sein de la CDU parvenaient à convaincre certains de s’abstenir ou de s’opposer, fasse capoter le plan de sauvetage européen. Mais l’étape suivante, c’est de fournir au plan de stabilité (FSF+ESM à l’horizon de juin-juillet prochain) de quoi faire face. Avec le boulet grec dans l’Eurozone, ou avec le même dehors (car même revenue à la drachme, la Grèce nécessitera toujours des soutiens).

Les pays censés être les garants prioritaires, soit ceux notés AAA (Allemagne, Pays-Bas, Finlande), peuvent estimer en avoir fait assez. La France, plombée par le devenir incertain de Dexia maintenue à tout prix (jusqu’à quand ?) hors de l’eau pour des raisons plus internes à la crédibilité du sarkozysme qu’autres (voir « Dexia, facture plus lourde que la dette grecque »), sera de doute façon peu susceptible de se prononcer, soit de mettre la main à la poche, à la hauteur des préconisations de l’OCDE.

L’Allemagne réticente

Jens Weidman, qui prendra la tête de la Bundesbank en mai, laisse clairement entendre que, à l’occasion des deux premiers plans de sauvetage de la Grèce, l’Allemagne a déjà fait plus que son devoir, notamment au regard des efforts consentis par d’autres pays.

L’actuel pacte budgétaire lui semble insuffisant mais, a-t-il indiqué lors d’un séminaire préliminaire au G20, c’est beaucoup plus essentiel que d’injecter encore plus d’argent dans un pare-feu. « Plus d’argent peut permettre de gagner du temps, mais pour combattre les racines de la crise, » a-t-il résumé. Ce qui vaut pour la Grèce vaut pour les autres pays, dont la France.
L’Espagne, le Portugal, l’Irlande, ont déjà adopté des mesures drastiques, il est difficile de leur demander vraiment beaucoup plus.
Wolfgang Schäuble, dans El Universal (Mexique), a été encore plus net.
C’est un « non catégorique » à l’injection de fonds. À court terme, les mesures de ce type « no pueden remediar la crisis, » a-t-il consigné dans une tribune libre publiée par le quotidien mexicain.
« Une stratégie de croissance fondée sur l’augmentation de la dette freinera au lieu de stimuler à long terme, » ajoute-t-il.
Quand un seuil est franchi, les méthodes keynésiennes restent inopérantes : cela a pu fonctionner en 2008 et 2009, à présent, les fondamentaux de la gouvernance dans certains pays européens doivent fortement évoluer. Les mécanismes traditionnels échouent.

Il a critiqué les conclusions du G20 de Cannes convoqué par Nicolas Sarkozy. Les mesures de relance peuvent certes fonctionner, mais pas du tout pour tous les pays, juste pour ceux encore assez forts dont les finances sont encore saines et qui restent crédibles à moyen terme.
« La croissance doit être durable, et fondée non seulement sur la rigueur budgétaire, mais sur la productivité, la compétitivité internationale, l’amélioration du système éducatif et la cohésion et la flexibilité des marchés du travail, » indique-t-il.
La question de la mutualisation des dettes souveraines (soit, sous-entendu, la création d’obligations européennes, d’eurobonds) et de l’incitation à la BCE de faire tourner la planche à billets ont reçu de sa part un nouveau veto : « la repuesta es un rotondu no », un non ferme et définitif.

Viser le long terme

Angela Merkel peut fort bien soutenir publiquement Nicolas Sarkozy, mais dans les faits, elle ne conforterait pas une politique qui permettrait à l’actuel président d’aller jusqu’au bout d’un second mandat à l’aune du premier.

Certes, la majorité CDU n’est pas si solide qu’il pourrait y paraître, mais ce n’est pas non plus une alliance SPD-Verts qui lui permettrait comme auparavant de s’affranchir de l’austérité et de la rigueur.

Pour le moment, la seule incertaine mesure concrète avancée par l’UMP, c’est de favoriser la relance par le BTP, soit en poussant les collectivités à davantage de partenariats public-privé, véritable appel d’air à une immigration qui, sur le long terme, pèsera davantage sur les déficits publics.
On ne vieillit pas au travail jusqu’à 65 ans et davantage dans le BTP.

Il est aussi illusoire de croire qu’on puisse s’en tirer à n’imposant l’austérité qu’aux mêmes, qui, la ceinture serrée au dernier cran, comme en Grèce, ne peuvent plus rapporter que de la TVA. Même pour des travaux d’intérêts publics, des sans-logis, sans soins, sans rien, sont vites inemployables.

Enfin, si… comme une caricature de Matt dans The Telegraph le dépeint, on pourrait concurrencer Eurotunnel en restaurant un services de galères pour remplacer SeaFrance. En faisant décéder rapidement et en masse les galériens, c’est peut-être jouable.

L’austérité partagée implique que le plafond soit assez bas, et que la progression de l’imposition soit forte. Le « travailler davantage » n’est envisageable que si le travail fourni est réellement productif, si possible exportable, et non pas uniquement destiné à l’accroissement de la concurrence sur le marché intérieur. Pour le moment, les créations d’emplois du quinquennat ne sont flagrantes que dans le secteur des instituts de sondage… et la communication pour maquiller l’essor du chômage.

La France visée

Au G20, George Osborne, le ministre britannique des Finances, a aussi laissé envisager que la Grèce pourrait être larguée. Les Britanniques ne sont pas seuls en Europe à considérer que l’injection de fonds sans contreparties, via le FMI ou d’autres systèmes, n’est plus souhaitable.
Le Royaume-Uni ne va pas « emprunter davantage, ni pour augmenter les dépenses, ni pour favoriser des exemptions fiscales ». Une mesure fiscale en passe d’être adoptée frappera l’électorat conservateur, soit les classes moyennes un tant soit peu aisées (celles dont le foyer fiscal engrange plus de 100 000 £, 118 000 €, soit 9 800 € par mois). Le contournement, consistant à augmenter sa contribution à un plan d’épargne-retraite privé, sera sans doute plus limité, via un plafonnement des sommes déductibles.
Les taxes à la consommation sur les carburants ne seront pas davantage allégées au Royaume-Uni en dépit des fortes hausses constatées à la pompe. De leur côté, les travaillistes plaident pour une réduction de la TVA afin de stimuler la consommation.

Solidarité orientée

Divers pays européens commencent à réaliser que plonger presque tout un pays dans la misère est contreproductif et que la nécessaire austérité doit être largement mieux répartie. Pour le moment, la France n’en prend pas vraiment le chemin (Hollande ne réitère plus sa déclaration de 2007 sur le revenu mensuel confortable, quant à Sarkozy, c’est toujours d’abord le tout pour ma gueule et celles de mes potes).

Pour l’immédiat, et en revenir au dossier grec, il est de plus en plus ouvertement considéré que le second plan de sauvetage a surtout visé à donner du temps aux autres pays européens, beaucoup plus qu’à la Grèce elle-même. Fitch ratings peut désormais dégrader la Grèce de CCC à C (en faillite, avec peu d’espoir de recouvrement ; et cela vient d’être fait).
D’un autre côté, si la Grèce instaurait vraiment des mesures fiscales draconiennes, combattait violemment l’évasion fiscale, serrait vraiment les boulons à bloc, et que cela ne suffise pas, c’est tout le raisonnement du reste de l’Union européenne qui s’effondrerait.

Même avec le second plan de sauvetage, la Grèce est et restera longtemps insolvable. L’expulser de la zone euro aurait un double avantage : dégager plus fortement la BCE et les autres banques centrales qui se rembourseront via un compte bloqué supervisé, relâcher un peu les cordons de l’austérité dans les autres pays, non pas en retrouvant la voie de démagogiques exonérations fiscales, mais en favorisant de réels investissements.

Ou, au moins, mieux encaisser le choc de la hausse des prix de l’énergie.

Nouvelle dégradation

Après Fitch Ratings, c’est Standard & Poor’s qui a, lundi soir, considéré que la dette grecque devait être notée SD (mais le sceau de la médiocrité, CCC, pourrait lui être réattribuée). L’agence considère en effet que « si un nombre suffisant de détenteurs d’obligations grecques [souveraines] n’acceptait pas l’offre d’échange (…) la Grèce présenterait un risque imminent de défaut de paiement caractérisé. ». C’est l’évidence même.
La Grèce était à CC, elle passe à SD, pourrait regrimper à CCC (qui n’est guère brillant). Moody’s avait laissé inchangée sa note mais en lançant un avertissement : car l’effacement d’une partie de la dette sous la contrainte ne lève pas le risque de défaut.
Pire : le Fonds européen de stabilité financière (FESF) est considéré devant être noté négatif par Standard and Poor’s. Pourquoi ? Parce que la garantie de certains pays est fragile (AA+ seulement). Mais pour relever cette note, il faudrait que les seuls rares pays notés AAA apportent la totalité des garanties. C’est un peu trop jouer avec le feu pour eux.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Après le G20, la Grèce toujours sur la sellette »

  1. Merci de ce complément utile, Clgz11.
    La prière du cinéaste Costa-Gavras entendu par l’Assemblée nationale :
    « Ce n’est pas un message, c’est une prière : cessez d’humilier le peuple grec, qui souffre énormément, surtout les plus pauvres, les plus démunis. La France peut faire beaucoup. »
    Il lui est rapporté « des choses terribles : des gens qui n’ont pas à manger, des parents qui laissent les enfants à l’école parce qu’à la maison, il n’y a pas de quoi manger. »

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