Suite de : Si un « Big One » se produisait, sur l’Île de Honshu, avant 2016 ? Première partie

 

Le grand séisme de Kantō, « Kantō daishinsai »

 

Qui mieux que Paul Claudel, ambassadeur de France au Japon, in situ, est-il mieux à même de témoigner, au lendemain de la catastrophe, de l’ampleur du désastre : « A Tokyo, les 3/4 de la ville sont détruits, 400.000 maisons, 1.500.000 personnes sans abri, 70.000 cadavres relevés jusqu’à ce jour. C’est ici la capitale, la partie essentielle du pays, là où, plus encore qu’à Paris, se sont concentrées toutes les richesses, toutes les forces motrices, toute la joie, toute la science. Le Tokyo historique des bas quartiers, le pays légendaire des Roseaux le long de la Sumida qui vit s’élever les premières huttes de Edô, avant que les Tokugawa n’en fissent leur forteresse, à partir des hauteurs de Kudan où se dresse la porte de bronze dédiée aux morts de la victoire, à partir des murailles cyclopéennes qui entourent le château impérial, jusqu’à la mer, n’est plus qu’un désert de cendres rougeâtres…Des tramways, au milieu des rues, il ne reste plus que des tas de ferraille dans un enchevêtrement de poteaux et de fils. Une grande haleine de feu a soufflé… »

Le 01 Septembre 1923, à 02 h 58 Temps Universel, 11 h 58 heure locale, un séisme de Magnitude Locale, – ML -, 8.3 sur l’échelle de Richter, et de magnitude Mw estimée, en 1977, à 7.9, a dévasté la plaine de Kantō, faisant quelques 142.000 à 166.000 victimes dont environ 40.000 disparus présumés morts, – selon Kajima Construction Corporation, rendant le rapport Kobori en 2004, il y aurait 105.385 décès confirmés -, et provoqué des dommages conséquents aux villes de Tokyo, de Kanagawa, de Chiba, de Yokohama, de Shizuoka, deSaitama, de Yamanashi et d’Ibaraki, aux localités implantées sur les péninsules de Boso et d’Izu et sur O-shima.

L’épicentre de la secousse principale, les vibrations étant ressenties sur une durée allant, suivant les sources, de 4 à 10 minutes et de constants mouvements de sol l’ont été durant deux heures et demie, a été localisé, dans la Baie de Sagami, à l’Est de l’île Hatsushima et au Nord d’Izu Oshima, une Île volcanique, essentiellement composée de lave et de scories. De fait, ce sont deux tremblements de terre distinctes qui se sont produits concomitamment en dite baie, le second ayant son foyer situé au Sud-Est de Manazuru point. Le 01 Septembre, plus de 200 répliques ont suivi le choc principal. Le 02, 300 chocs, y compris un événement majeur à 11 h 47 heure locale, suivis de plus de 300 autres du 03 au 05, ont été, de même, enregistrés.

A Tokyo et à Yokohama, des incendies ont succédé au choc principal et les deux villes ont été rapidement la proie des flammes qui ont fait rage pendant deux jours. Les victimes des incendies ont été des personnes qui ont été piégées dans des bâtiments effondrés et celles qui ont trouvé refuge dans les zones qui ont ensuite été encerclées par le feu. A dépôt militaire Ward, à Honjo, où de nombreux réfugiés s’étaient rassemblés, 40.000 personnes ont péri. Le nombre de maisons partiellement ou complètement détruites s’élève à plus de 694.000. Parmi celles-ci, 381.000 ont été brûlées, 83.000 se sont effondrées et 91.000 fortement détériorées.

La secousse initiale a rompu les conduites d’eau potable et la pénurie est devenue un énorme problème pour les survivants. Également, les réseaux téléphoniques et télégraphiques ont été détruits laissant les gens de Yokohama et Tokyo complètement coupés du monde extérieur. La destruction des voies ferrées, les ponts endommagés et les routes encombrées de gravats ont contribué au marasme qui s’est installé dans la région de Kanto.

En outre, un soulèvement permanent de près de 2 mètres a été observé sur la rive Nord de la baie de Sagami et les déplacements horizontaux ont atteint 4,5 mètres sur la péninsule de Boso. Un tsunami a été généré en dite baie avec des vagues de 12 mètres de haut sur O-shima et de 6 mètres sur les péninsules de Boso et d’Izu. Une caractéristique inhabituelle du grand tremblement de terre de Kanto a été le bouleversement dramatique occasionné par l’inflation du sol, entraînant des milliers de glissements de terrain, dont le pire a frappé dans la province Idu, – tout le village de Nebukawa étant enterré par une coulée de boue massive, tuant des centaines de personnes -, qui s’est produite. Le soulèvement a duré environ 72 heures avant que lé récession, 0,5 mètres/jour, n’intervienne.

La tectonique de cette région nippone, avec quatre plaques distinctes, – Les plaques Pacifique, Philippine, Amour assimilée à l’Eurasie et Okhotsk assimilée à la Nord Amérique -, voire cinq, – microplaque de Kanto en formation -, et deux jonctions triples, – jonction triple de Boso à la rencontre des plaques Pacifique, Philippine et Okhotsk et celle au niveau du Mont Fuji à la rencontre des plaques Philippine, Amour et Kanto -, à moins de 200 kilomètres de distance l’une de l’autre, est complexe. Le séisme s’est produit sur la faille de subduction, la fosse de Sagami présentant un mouvement inverse avec une composante décrochante dextre, qui relie ces deux points triples. La fosse plonge vers le Nord-Nord-Est avec un pendage de 27° par rapport à l’horizontale.

Les foyers sismiques se localisent sur cette zone de subduction, la marge de la plaque Okhotsk zébrée par de multiples canyons et saignées d’effondrements, au niveau d’un Tablemount dont au moins deux monts sont engagés dans la subduction, qui s’étend, sur des centaines de kilomètres, en direction du Sud-Sud-Est.

Avant 1923, l’un des plus meurtriers des tremblements de terre japonais a été le séisme du 10 Février 1792, ou tremblement de terre d’Hizen, qui a coïncidé avec l’éruption du volcan Unzen, sur l’île de Kyushu, et l’effondrement brutal d’un dôme de lave, dans l’océan, créant un gigantesque tsunami qui emporte plus de 14.000 victimes. faisant près de 15.000 victimes. Celui du 8 Mai 1844, tremblement de terre d’Echigo, a causé la mort de 12.000 personnes environ. En 1854, Tokyo est ravagée par un tremblement de terre, laissant 10.000 morts sous les décombres. En juin 1896, le séisme de Meiji-Sanriku, d’une magnitude de 7.2, sur l’échelle de Richter, fait 20.000 morts.

 

La peur d’un séisme majeur sur Tokyo.

 

La peur d’un séisme majeur frappant Tokyo et son proche immédiat perdure depuis le catastrophique et meurtrier tremblement de terre du 10 Février 1923 qui avait dévasté la plaine de Kantō. Et cette inquiétude est stigmatisée par les propos tenus, au cours des années 1970 à 1980, par les géologues japonais qui scrutent la faille de Tokai, à 130 kilomètres au Sud-Ouest de Tokyo, qui traverse la Baie de Suruga et qui pourrait encore ripper. Pour eux, « un jour ou l’autre la poussée de la plaque Philippines sur la plaque Amour finira bien par y relâcher une grande quantité d’énergie » et ils ont averti que la ville de Tokyo « était menacée par un Big One ».

De plus, il ne s’est pas produit de séisme de magnitude égale ou supérieure à 8.0, dans cette zone, depuis le 23 Décembre 1854, Ansei-Tokai, épicentre dans la Baie de Suruga, magnitude 8.4, mais une multitude de « petits » séismes : 07 Octobre 1894, Tokyo, magnitude 7.0 ; 18 Janvier 1895 Ibaraki-ken Nambu magnitude 7.2 ; 1921 Ibaraki-ken Nambu, magnitude estimée 7.0 ; 1922 Canal Uraga, en baie de Tokyo, magnitude 6.8 ; et 17 Décembre 1987, Chiba-ken Toho-oki, magnitude 6.7. Et les données géologiques et historiques suggèrent un intervalle moyen, entre les quatre derniers tremblements de terre dans la région, d’environ 120 ans. Sur cette base, le Comité de recherche Tremblement de terre au Japon a calculé qu’il ya une probabilité de 87% qu’un séisme d’une magnitude égale ou supérieure à 8.0, sur la faille de Tokai, ne survienne dans les 30 ans suivant l’année 2009.

Après le séisme du 11 Mars 2011, magnitude 9,0, le professeur Robert Geller, de l’Université de Tokyo, révise ses prédictions et constate que le tremblement de terre de Sendai « démontre, s’il en était utile de le préciser, que la théorie des 30 ans, pour la faille de Tokai, est erroné et qu’il y a un risque imminent de tremblement de terre, de forte magnitude, partout au Japon, » Parallèlement, le professeur William McCann, de l’Université de Columbia à New York, appliquant « l’hypothèse des lacunes sismiques » pour mettre en évidence les zones à risque élevé, moyen et faible le long de la côte du Pacifique et de la « Ceinture de Feu », retient la lacune sismique sur la faille de Tokai. Enfin, les failles de subduction, aux glissements souvent bloqués, stockent dans la croûte, en différents points, « stress et énergie » et libèrent, en rompant brusquement, tout le potentiel énergétique accumulé. Aussi est-il une possibilité que les ondes sismiques qui ont ondulé depuis le foyer du tremblement de terre du 11 Mars 2011, soient un accélérateur pouvant porter la faille de Tokai au stade de déblocage, de rupture brutale et d’enfoncement, sur plusieurs mètres ou dizaines de mètres, de la plaque Philippine subductée sous la plaque Okhotsk ou/et Amour et Kanto.

En toute chose, et d’importance, la structure du sous-sol, au Sud de Kanto est très complexe. Cinq plaques y influent : la microplaque Okhotsk, généralement assimilée à la plaque Nord Amérique et les microplaques Amour, souvent englobée dans l’Eurasie, et la plaque Kanto en construction, entre les plaques Okhotsk et Amour, plaques sur lesquelles se trouve l’île d’Honshu, d’une part, et, d’autre part, la plaque Philippine, qui plonge sous les trois plaques, au Sud, et la plaque Pacifique, au Nord, qui s’enfonce sous la plaque Nord Amérique et sous la plaque Philippine. En tant que tel, différents types d’aléas sismiques peuvent frapper Tokyo : les tremblements de terre interplaques, – ou de subduction, ou de megathrust -, qui se produisent à la frontière entre deux plaques, les tremblements de terre intraplaque, avec des foyers localisés à l’intérieur de la plaque, et les tremblements de terre résultant des failles actives.

 

11 Mars 2013 © Raymond Matabosch
 
A suivre : Si un « Big One » se produisait, sur l’Île de Honshu, avant 2016 ? Troisième partie