Sécurité routière : la LDC mène campagne

Comme beaucoup, je viens de recevoir un formulaire « d’enquête » émanant de la Ligue de défense des conducteurs (liguedesconducteurs.org). En fait d’enquête, il s’agit plutôt d’un manifeste et d’un appel aux dons. Mais comme la lettre de réponse est pré-timbrée, j’affranchirai la LDC de mes réponses… En effet, ex-conducteur intensif, soit de profession, soit du fait d’activités professionnelles hors secteur des transports, soit du fait d’éloignements familiaux ou amicaux, je m’oppose au racket des compagnies autoroutières poussant le gouvernement à limiter à 80 km/h la vitesse maximale sur les routes à deux (ou trois) voies.

Un qui partage complètement mes raisons de protester contre une éventuelle limitation de la vitesse à 80 km/h hors autoroutes ou routes à quatre voies, c’est Charles Duchêne, dit Charly (« l’homme au… ») Chapeau, auteur de nombreux essais « politico-sociétaux ». Dans son dernier (éds JBDiffusion), Le Coup du Père Sang-Froid, il en remet une couche. Chacun de ses bouquins (naguère consacrés au sarkozisme, à présent au « Père » François Hollande) comporte divers paragraphes, voire un chapitre entier, consacré(s) aux mesures de prévention des accidents et à l’agacement des automobilistes.

Pour lui, en 2012, 40 % des accidents routiers ont eu pour cause la somnolence. Admettons qu’elle ait pu être aussi teintée d’imprégnation alcoolique légère, dans certains cas. Ou que qui choisit de se suicider au volant soit assimilé à un somnolent. Cela reste quand même la première cause des accidents tant mortels qu’invalidants ou provoquant des blessures. Charles Duchêne était, pour résumer, voyageur de commerce, cadre commercial de réseaux nationaux, avant de sillonner de nouveau la France, de salons du Livre provincial en salon parisien. Plusieurs fois le tour de la Terre sans accident notoire.

Des accidents meurtriers, j’en ai vu de nombreux, professionnellement (la rubrique faits divers exigeait la photo pour les plus spectaculaires) ou non. J’ai aussi passé des mois dans des centres de rééducation fonctionnelle (du fait d’accidents non routiers, mais me mettant au contact de graves handicapés). Mes derniers voyages au volant, ainsi une traversée nocturne de l’Allemagne depuis l’Autriche jusqu’à la Belgique, pratiquement pied au plancher tout du long, ou un interminable Paris-Saint-Émilion, de nuit aussi, m’ont épargné la vision des tôles embouties et du sang. Je suis très conscient des conséquences mortelles ou des séquelles découlant d’un accident de la route.

Pour aller à Saint-Émilion (près de 500 km de Paris), les deux calculateurs de distance employés prévoyaient un peu plus de six heures en évitant tous les péages, et ce, j’imagine, de jour. Ce fut plus de neuf heures au volant (hors pauses, donc). Car la vitesse est loin d’être limitée à 90 km/h sur les rarissimes nationales subsistantes et les départementales qui les ont remplacées. Là où aucun directeur départemental de l’Équipement, aucun édile n’a jugé juteux de ponctuer le trajet de ronds-points (la France est championne mondiale pour la densité de ces équipements à présent), le plus étroit chemin vicinal débouchant sur la voie impose une limitation à 70 km/h. Les moindres localités disposent, comme le Champignac de la BD Spirou, d’au moins un gendarme couché, et le moindre bourg s’est doté de tronçons limités à 30 km/h. En revanche, tout du long des trajets, la signalétique incitant à emprunter les autoroutes abonde tandis que celle destinée sans doute au seul voisinage (qui s’en passerait) laisse perplexe qui n’est pas muni d’un système GPS.

Ne cherchez pas vraiment ailleurs la raison d’une réduction de la vitesse sur les départementales et autres voies considérées à présent étroites. Pour les plus étroites qui subsistent, les chicanes se sont multipliées : cela fait marcher le BTP, et parfois les proches (ou devenus proches) de nombreux maires. Quand il ne s’agit pas d’eux-mêmes ou de leurs fratries. La sécurité routière à bon dos… pour les ânes que nous sommes.

Revenons à cette « enquête » qui fustige la baisse de la vitesse autorisée et en particulier les radars et les barèmes de retrait des points de permis de conduire. Première question : « saviez-vous que la multiplication des radars n’a pas fait baisser le nombre de tués sur les routes ? ». L’argument est quelque peu fallacieux, en tout cas prête à controverse. Il paraît nonobstant vraisemblable. La surmultiplication des radars, vers 2003, n’a sans doute généré qu’une baisse très marginale par rapport à l’amélioration tant des véhicules que des aménagements routiers. Ou, sans doute, les multiples subterfuges de signalétique pour rabattre les conducteurs vers les tronçons autoroutiers privatisés, de plus en plus chers, mais sur lesquels les accidents sont moins nombreux.

Question somnolence au volant, du fait qu’on ne trouve pratiquement plus de petits hôtels abordables et qu’il est question d’augmenter les taxes de séjour (dites hôtelières), cela ne risque pas de s’améliorer pour les plus impécunieux. Mais, bah, dans la France de Sarkozy comme dans celle du « Père Sang-Froid », cela importe si peu…
François Hollande saignant la conductrice française à la gorge, telle la Marianne de Delambre (caricaturiste du Canard enchaîné illustrant la couverture du Coup du Père Sang-Froid), est-ce vraiment si exagéré ?

À en croire Christiane Bayard, secrétaire générale de la Ligue de défense des conducteurs (et conductrices, donc), ce serait presque une litote, un understatement. Certes, les brigades de gendarmes en planque pour dresser des contraventions n’enquêtent pas directement sur les cambrioleurs, mais il doit peut-être leur arriver d’en intercepter. Dire que les pandores seraient mieux employés à traquer des voyous se discute. En regard, soutenir que l’État s’est désengagé sur les sociétés autoroutières et les collectivités territoriales de l’entretien du réseau routier est indiscutable.
Cette « enquête » destinée davantage à convaincre qu’à sonder l’opinion n’est pas très sociométriquement valide. Un peu comme les chiffres farfelus destinés à persuader que le modèle suédois de pénalisation des clients de la prostitution est valide.

Mais il est vrai que la sécurité routière sert d’argument de moralité alors qu’il s’agit surtout de faire rentrer des recettes, tant pour l’État que pour les sociétés autoroutières privatisées. Charles « Charly » Duchêne pousse même l’argument un peu plus loin en avançant que les tués sur les routes sauvent des vies de personnes en attente de transplantations d’organes. Ce n’est pas si farfelu, mais il fallait l’oser à l’époque de la bienpensance institutionnelle généralisée…

Tout conducteur ne s’acquittant pas des péages devient en puissance un délinquant routier, un criminel potentiel qui s’ignorerait. Mais sur les 29 000 procès verbaux quotidiens pour excès de vitesse, combien sanctionnent de réelles mises en danger de soi-même et d’autrui ?

170 000 retraits de permis annuels, autant de criminels inconscients ?

Je ne suis pas contre le fait que les conducteurs d’automobiles passant aux cycles motorisés à trois roues (ou quatre pour certains modèles) se voient contraints de suivre des stages de prise en main de ces engins. Ni totalement opposé à ce que des notions de secourisme soient imposées aux candidat·e·s au permis de conduire. Mais s’il s’agit surtout d’engraisser les dirigeants et cadres supérieurs, fussent-ils de la Croix Rouge, et de faire rentrer de la TVA et d’autres taxes, je reste pour le moins circonspect.

Un autre facteur m’indispose. Plus un environnement devient sécuritaire, protégé, canalisé, plus la tentation de la transgression est forte, pas forcément que chez les ados ou les jeunes gens. Un peu comme pour ces gamins qui, à vélo, mais à présent casqués, dévalent les côtes sans poser les mains sur le guidon. Je ne suis pas si sûr que le port de protections rende tout un chacun plus bravache car un parachute plus perfectionné ne me ferait pas sauter au milieu des rafales de vent. Mais comme cette idée, que certains experts autorisés soutiennent, n’est pas, que je sache, encore venue à Charles Duchêne, je m’en voudrais de ne pas la lui évoquer…

Saviez-vous aussi que qui serait estimé (par un gendarme ou policier ancien interne des hôpitaux, sans aucun doute) montrer des « signes de somnolence » (à l’arrêt aussi ?) aurait pu se voir retirer six points de permis de conduire ? La LDC avait vigoureusement protesté.

Les lobbies de la Sécurité routière et du BTP ont déjà énormément fait pour dévitaliser les localités (plus de petits hôtels mais des motels aux abords des contournements, plus de petits restaurants, voire plus de boulangeries dans les centres, mais des eateries de chaînes franchisées au milieu de divers nulle part rendus stratégiques par la signalétique). La baisse généralisée de la vitesse autorisée conduira encore davantage, hors lors d’excursions autour des lieux de vacances, et ce n’est pas assuré, à éviter de faire halte dans les villages, bourgs, cités et même grandes villes. Je le fais encore, lors de voyages de loisirs en train, scindant mon parcours entre parfois de petites gares. Les centres sont déserts, les rideaux sont depuis longtemps tirés au profit de moyennes et grandes surfaces situées près des ronds-points périphériques. N’y a-t-il pas là de quoi inciter à jouer les James Dean sur les routes, pour les jeunes de ces localités endormies ? Aussi de quoi décourager les commerçants ambulants qui se cantonneront à des marchés plus proches… Partir plus tôt, rentrer plus tard, cela lasse.

Pratiquement toute mesure, même de bon sens, dissimule des effets pervers peu ou pas du tout pressentis. Une représentation nationale va-t-elle laisser à une autre le soin de répercuter sur le contribuable le financement des panneaux routiers au cas où la future limitation de vitesse devait être revue et corrigée ? À moins, bien sûr, que les recettes dues aux infractions constatées soient la toute première motivation des législateurs…

Mais pourrait-on suggérer à nos députés et sénateurs de se contraindre déjà, volontairement, à respecter une vitesse de 80 km/h sur les (raréfiés) tronçons encore limités à 90  (et non 70, ou 50 ou 30) ? Histoire de se mettre dans la peau des futurs usagers du réseau routier ainsi limité ?

Ah oui, j’oubliais : le trajet vers Saint-Émilion et retour s’est effectué en camion de déménagement de location. Pour le retour, bien évidemment, nous avons renoncé aux parcours sur les départementales et les nationales subsistantes. Renoncer à toute pause ou devoir s’acquitter d’un supplément auprès du loueur, fâcheuse alternative. Nous avons donc opté pour un trajet beaucoup moins direct, plus coûteux en carburant et incluant des péages multiples. C’est peut-être le but recherché… Avec la Ligue de défense des conducteurs, il serait bon, salutaire, dans ce cas, de le faire avouer…

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Sécurité routière : la LDC mène campagne »

  1. Au fait, le saviez-vous ? Depuis 2012, quatre nouveaux panneaux de signalisation sont à connaître pour passer le permis de conduire ?
    L’un signale des nappes de brouillard ou de fumées. Comme si, sans panneau, on ne remarquerait rien.
    L’un semble utile : voie sans issue sauf pour piétons et cycles. Donc, pour signaler que le cul-de-sac débouche sur une autre voie, ou rue, ou passage, cela peut se justifier.
    Mais quid du Caddie™ signalant la « présence d’un centre commercial » ?
    Ce au cas où la publicité des enseignes ne suffirait pas…

  2. Je suis partisan de la vitesse illimitée avec des voitures-robots et ce depuis les années 80 … combats d’arrière garde …

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