À peine l’affiche officielle du candidat-président Sarkozy était-elle révélée que des facétieux se livraient à des jeux de mots sur le slogan « La France forte ». Lui coller des saucisses de Francfort pouvait en effet venir à l’esprit. Contrairement au candidat de l’intervention télévisée de TF1, qui nous la jouait humble, à l’écoute, l’impétrant président de l’affiche de l’UMP fait plutôt songer au Duce, avec le menton nonobstant légèrement raboté.

Pas très cohérente, la com’ de l’UMP et du locataire en vacances de l’Élysée (on espère que, comme le président grec qui reste, lui, en fonctions, il abandonnera sa paye pendant la durée d’une campagne qu’on lui souhaite écourtée pour aller vite pantoufler dans le privé).

J’ai éprouvé quelques difficultés à voir et écouter le candidat sur TF1.

Non point en raison de restrictions mentales, mais d’une perte de signal (cela s’est arrangé depuis avec SFR, dont le service technique pour la clientèle n’est pas si mauvais, loin de là…). Une bonne occasion de se livrer à des arrêts sur images.

Toujours est-il que, par bribes, il m’a semblé que Nicolas Sarkozy avait bien calibré son intervention. Pas arrogant, en paroles proche de la France d’en-bas (devenue sous son quinquennat celle des premiers étages), distillant des formules frappées du coin du bon sens. Pas mauvais du tout, et même acceptable si l’un de ses fils venait à épouser votre fille. Beau-père idéal.

Patratas, dans la foulée, voilà qu’est révélée l’affiche quasi mussolinienne d’un Conducator, le regard rivé vers la ligne bleue des Vosges, prêt à intervenir sur terre, sur mer, et dans les airs.
Martial, sûr de lui, pas vraiment pour vous rendre sûrs de vous car plutôt intimidant.

C’est pourquoi je l’ai coiffé du casque dit Jeanne d’Arc des compagnies de sécu-cul du temps de Jean Yanne. Loi, ordre et prospérité. Sarkozy projette donc la France dans un devenir qu’il a fort contribué à rendre encore plus incertain. Et dur à repriser ou plutôt ravauder pour ses successeurs (à moins qu’il n’envisage, tel un président sénégalais, de briguer un troisième mandat).

Les messages sont vraiment contradictoires. Il lâche qu’il envisagerait volontiers de faire du pognon et d’instaurer pour lui-même la semaine des 24 heures, qu’il doute de ses capacités à remonter dans l’opinion et l’estime de ses concitoyens (pas faux, voir, sur Mediapart, les micro-trottoirs en Seine-Saint-Denis, c’est édifiant). Puis le voici faisant don de sa personne à la France, et le lendemain, le revoilà portraituré en lider maximo. Qu’en penser ?

Sans doute pas beaucoup davantage qu’hier et sans doute bien moins que demain. Cela laisse supposer qu’au cours des semaines qui viennent, Sarkozy se glissera tour à tour dans tous les rôles du répertoire.
Il m’évoque une vieille caricature de Forain, sous Félix Faure, montrant un candidat radical en prière devant un décor en trompe-l’œil.
C’est légendé « conservateur à Versailles, socialiste dans le Midi, libre penseur dans le Nord, franc-maçon en Touraine, catholique en Bretagne… ».

On l’a vu plusieurs fois quitter la caméra du regard, histoire de se reprendre, d’ajuster une réplique.

Hélas, j’ai raté les deux-trois images sur lesquelles, à son habitude, il se frotte l’aile du nez de l’index. Est-ce là une lointaine séquelle de ses tics de militants de base, lorsqu’il se grattait et curait la narine, ou une façon de s’empêcher de renifler ? Allez savoir. Toujours est-il que l’image l’emporte de nouveau sur le discours, adaptable et remodelable au gré des circonstances.

Image brouillée et on ne sait trop quel cliché reflète mieux la pensée électorale ou la posture à la présidentielle.

 

Chez Hollande, en petit comité d’experts, on va sans doute se repasser la bande et étudier chacune séquence où il apparaît tête baissée.

Perso, je sais, c’est mesquin, je ne vois surtout que ses oreilles quand le son est coupé. Et le nez qui semble s’étirer, s’allonger, lorsqu’il pique vers le bas pour réfléchir ou tenter de rebondir au mieux.
J’admets ma parfaite mauvaise foi, mais j’ajoute qu’il m’était beaucoup moins sorti par les yeux qu’usuel.

Parfois cependant, le naturel revenait au galop, et on le sentait tout près de grincer des dents.

Lequel croire ?

Mais le roquet s’était surtout fait chien d’appartement qui s’invite à grimper sur une chaise pour grappiller des miettes de suffrages sur la table. 

De ses précédentes déclarations, je retiens surtout la reprise des propos d’André, un gars qui fait les marchés, se lève tôt, et qui, comme beaucoup de gens, y compris ceux qui ne sont payés sur le papier que 35 heures, les font parfois en deux journées. Cela vaut pour des cadres, des stagiaires d’école corvéables à merci, et nombre de petits patrons ou de salariés de TPE.
Sarkozy n’a voulu en garder que la présupposée nocivité des 35 heures (réduites, en Allemagne, parfois à 32, payées plein pot ou non). Après cela, allez vous intéresser à autre chose qu’aux images…

On finit par se demande à quel Sarkozy croire (pour s’y fier, c’est autre chose, et j’estime que deux mois ne suffiront pas à retourner les déçus du sarkozysme).

Président par devoir, pour ne pas laisser un navire à la coque percée s’échouer avant d’arriver au radoub ? Président jouissant de ses prérogatives et de son train de vie, plus préoccupé de sa propre durée que de tout autre chose ?
Sarkozy 2007 devait tout chambouler, tout déréguler, tout libéraliser. Nous devions tous y gagner, en retroussant nos manches pour celles et ceux qui avaient un emploi plus ou moins peinard, en donnant un nouveau coup de collier, pour qui y était de longue date très habitué. Pourquoi pas ? Pour bosser, ah, ça, on peut. Pour être payés ou rémunérer, c’est tout autre chose. Les plus bosseuses ou travailleurs sont souvent des bénévoles…

Avant, après…

Tentons de rester, si ce n’est impartiaux, du moins, mesurés. Il me semble qu’il y a eu un avant et un après Sarkozy. Certes, l’avant portait en germe l’après. Il fut un temps où on ne bossait pas pour faire carrière, du moins, pas nécessairement pour lorgner sans cesse l’échelon supérieur. Le but, c’était de s’épanouir suffisamment, d’avoir la satisfaction du travail bien fait, de se sentir dans une équipe ou maître de soi, de s’appliquer, de rentrer (parfois très tard…) en ayant l’impression d’une progression qui, peut-être, si tout allait bien, nous vaudrait sans doute un jour une augmentation, ou pour les indépendants, de s’offrir enfin des vacances. Parfois, quand on réclamait, contestait, ce n’était pas pour du pognon, mais pour une embauche, pour ne pas tomber comme des mouches, s’éviter des crises de tétanie ou des évanouissements. Sans rire, je l’ai vécu.
Là, de l’ouvrier ou de l’employé au cadre intermédiaire voire supérieur (mais non dirigeant), tout le monde semble avoir fini par se résigner à faire semblant. Le but est de parer les coups, de gratter des avantages, souvent aux dépens du collègue ou du client, d’en faire le moins possible si on n’est pas trop harcelé, et de songer aux vacances.
Plus possible de s’investir dans un modeste projet immobilier. Inutile de songer à une augmentation qui ne viendra pas, sauf par le biais de primes sur objectifs bientôt intenables.

Même les cadres un peu honnêtes finissent par avouer, « eh, la boîte n’est pas à mon père… ». J’ai prêché, autant à moi-même qu’aux autres, l’esprit d’entreprise. Le service au client d’abord (au lecteur, la plupart du temps, pour moi ; mais j’ai fait des tas de boulots du plus bas jusqu’au, mettons, plus haut de petites échelles). J’ai encore dans mon entourage une jeune stagiaire (alternance), qui en veut vraiment : elle supporte tout car son objectif est d’un jour parvenir à créer sa propre boîte, seul moyen de parvenir à un niveau de vie comparable à celui, modeste, de ses parents.

Mais que dire aux trentenaires qui me sont proches ? Qu’ils pourront toutes et tous créer leur propre petite affaire ? Ou me taire ? J’ai en tout cas cessé, depuis Sarkozy, de semer des illusions ou de rétorquer qu’il faut davantage s’investir, pour soi, d’abord, pour se perfectionner.
À quoi bon ? Toutes et tous sont déjà largement sous-employés, sous-payés par rapport aux décennies antérieures. Seuls s’en sortent ceux qui sont purement « au chiffre », tant que la boîte est solide, qu’ils peuvent tenir le rythme, ou que le marché ne soit pas saturé.
Grimper dans la hiérarchie par ses mérites et compétences ? Mieux vaut se faire le plus conforme possible et le plus obséquieux. Faire preuve d’initiative ? C’est passer pour un emm…
Je ne noircis pas le tableau, c’est le reflet exact de ce qui peut m’être remonté ou communiqué (j’admets que mon échantillon, quoique diversifié, est restreint à une vingtaine de cas, et que j’ai trouvé un jeune, un seul, heureux d’être à la com’ pure, satisfait de consommer davantage en faisant des dimanches, en restant au boulot jusqu’à point d’heure).

Désillusionniste, même pas…

J’ai connu l’avant. J’observe l’après. Sarkozy n’a certes pas créé le présent, mais il l’a incarné et même sérieusement amplifié. On peut tout se permettre au plus haut de l’échelle, surtout de serrer les vis au plus bas, en distribuant des prébendes à l’entourage des concurrents potentiels peu menaçants pour avoir la paix, en éreintant l’adversaire sérieux.
Il a pressé et rejeté des éponges, s’est entouré d’une garde prétorienne des plus retorses (hormis Rachida Dati, tombée en disgrâce). En cela, oui, il s’est comporté en « chef d’entreprise ».
Les résultats ne sont pas là ? Qu’importe, les bonus ne baissent pas. Mais lors de l’assemblée générale, le spectacle est bien rôdé, et on croit qu’une fois de plus le petit actionnaire-électeur s’y laissera de nouveau prendre. En fait, il a jeté son bulletin dans la poubelle, s’abstient, ou vote contre les résolutions sans trop y croire, ou signe en blanc. Celui-là ou un autre…

Bah, on peut toujours se distraire et collectionner ces nouvelles images d’Épinal que sont les captures d’écran. Ou, cette fois, s’efforcer d’obtenir le moins pire du possible…

P.-S. – L’image de Tetra Images, retouchée, n’est là qu’à titre d’exemple. Vous pouvez acquérir l’original sur le site pour cinq euros. Le cliché a été pris en… Grèce !