Sanofi, une réussite française en clair-obscur

 A l’heure de la réussite du mastodonte du cac40, Sanofi, il est temps de s’intéresser à ce qui se cache derrière la légende dorée du leader de l’industrie pharmaceutique en France.

Christian Lajoux est le directeur de Sanofi en France depuis 2009. Il est également à la tête du LEEM depuis 2006. Portrait de l’un des patrons les plus influents et méconnus du CAC40.


Sanofi ou l’indécence du cac40
 

Deux informations sont parues à 15 jours d’intervalle, qui montrent le fossé qui se creuse entre des salariés acculés par leur direction, et des dirigeants qui ont perdu de vue – s’ils l’ont jamais connu- le principe de redistribution des richesses au sein d’une entreprise.

Dans un premier temps ; Sanofi l’a annoncé début juillet, le groupe va réorganiser ses activités de recherche de médicaments, de production de vaccins et les fonctions support en France.Les syndicats, dont la CFDT, ont réagi à l’information avec inquiétude, estimant que 1200 à 1500 postes pourraient être concernés par cette décision qui devrait être actée en septembre.

Ces révélations, datant du 5 juillet 2012 n’ont pas empêché, dans un second temps un dirigeant de Sanofi, d’empocher 500 000 euros en levant des stock options, révèle le Parisien mercredi 1er Aout.  Hanspeter Spek, président des opérations globales de Sanofi a ainsi effectué deux opérations. La première concerne l’exercice d’options sur 63.000 actions, levées au prix unitaire de 55,74 euros, soit un montant total de 3.511.620 euros. La seconde indique que le dirigeant a revendu le même jour ces actions au prix de 64,33 euros, soit un total de 4 052 569,50 euros. Il aurait donc gagné 540 949,50 euros dans cette opération.

 


Avec un chiffre d’affaire de 30,4 milliards d’euros en 2010 (équivalent au PIB de l’Ethiopie ou du Panama), un résultat net de 5.5 milliards d’euros, le groupe se place deuxième au CAC40. Les pratiques décrites ci-dessus sont le résumé parfait de ce que Gérard Horny appelle « l’indécence du cac40 ». L’entreprise ne semble pas gênée par le fait d’affaiblir (et c est un euphémisme) un pôle clé en matière d’avancée en santé publique, dans la recherche et la vaccination, alors que dans le même temps ses principaux dirigeants se reversent des sommes invraisemblables, à coups de montages financiers. Sans doute que l’objectif pour Sanofi est de se concentrer sur la production de nouveaux médicaments, autrement plus rentables pour le laboratoire, que de financer des vaccins pour des maladies de pauvres, telles que le paludisme. Christian Lajoux, le président directeur général de Sanofi, semble en effet bien plus préoccupé par les actions de lobbying du groupe, (il l’a dit à maintes reprises, la question des visiteurs médicaux est centrale pour lui), que par l’investissement en recherche qui pourrait mener à des avancées majeures en protection de la santé publique.

Si ce portrait de l’entreprise n’est pas aussi sympathique que son extraordinaire réussite, l’exploration des dessous que celle-ci veut nous cacher est édifiante.

« Il faut rendre plus compétitive notre situation. Nous sommes dans l’obligation de faire un certain nombre d’adaptations qui améliorent la performance économique des unités industrielles", a résumé Christian Lajoux, sans plus de cérémonie, pour répondre à la question des restructurations.

Il est vrai qu’être deuxième entreprise en France en termes d’indice au cac40, dégager un chiffre d’affaire de 30 milliards d’euros, n’est pas pour Christian Lajoux un gage de compétitivité. On peut se demander si il n’y a pas dans cette démarche de recherche effrénée du profit un vieux fond de protestantisme puritain américain, rappelant la course à l’enrichissement sans limite décrite par Max Weber au début de l’avènement de l’ère industrielle, course qui a bâti le capitalisme moderne tel qu’on le connaît. Les propos de Christian Lajoux semblent parfaitement logiques, d’une logique implacable quand on les lit. Pourtant, ils sont absolument déraisonnables si on les met face aux chiffres estimant les performances que réalise Sanofi.

Il existe un filtre entre ces déclarations presque mathématiques, et la réalité des salariés, qui ont plus de chance de faire partie d’un plan de restructuration que de goûter au fruit de leur travail acharné.

Mais plus que ces discours contradictoires, la vraie ambiguïté du laboratoire-entreprise, c’est sa capacité à édicter ses propres règles d’éthique, règles qui semblent en pratique bien peu suivies.

 

 

 

Une entreprise qui rime avec lobby ?

Cette culture du lobby, le patron l’assume voire l’affiche avec panache. Christian Lajoux, dirige également le LEEM (Les entreprises du médicament) depuis 2006,  syndicat du milieu pharmaceutique créé en 2002. L’industrie pharmaceutique est sans aucun doute le seul secteur où l’on peut encore voir des situations aussi ubuesques. En effet, voilà un groupe qui lance des recommandations sur les produits de toute la concurrence, édicte les règles d’éthique censées être suivies par les participants, fait office d’agent de liaison médiatique tout autant que de garde-fou moral, dirigé par… le leader du secteur en France !

Ainsi, quand le PDG d’une entreprise est également chef d’un puissant syndicat dégommant la concurrence, on pourrait croire à une plaisanterie américaine, digne des plus grands films sur les combats de financiers à Wall Sreet. Et pourtant, tout se passe au pays du capitalisme que l’on pensait doux, encore balbutiant, que l’on découvre beaucoup moins protecteur qu’il n’y paraît, surtout depuis que le mot « crise » est entré dans l’inconscient collectif. Car c’est bel et bien en France que ce qui ressemble à un conflit d’intérêt est possible, connu, et non commenté.

L’affaire tristement célèbre du Mediator est un exemple passionnant de la démarche de Christian Lajoux au sein du LEEM.

On pourrait presque parler de« méthode Lajoux ». Le blog Pharmacritique nous éclaire sur cet épisode datant du 10 janvier 2011 :

« Le Médiator et les autres: faut-il avoir peur des médicaments ? 15 pages d’informations et liens utiles

Le lundi 10 janvier 2011 à 19 : 00, j’ai participé à un débat sur la LCP (La chaîne parlementaire – Assemblée nationale), intitulé "Médiator: faut-il avoir peur des médicaments?" Il s’agissait de situer le Médiator dans le contexte, de comprendre comment ce "drame" – que le patron de l’industrie pharmaceutique Christian Lajoux" désignait comme un "accident" – a pu se produire et si d’autres catastrophes sanitaires sont actuellement en cours ou à venir. Les participants étaient: Gérard Bapt (député PS, cardiologue de formation),José Duquesnoy (président de l’association des victimes du Médiator ADVM, de la région du Nord), Christian Lajoux (président directeur général de Sanofi-Aventis France et patron du L€€M (syndicat patronal des 300 laboratoires pharma actifs en France) et moi-même (Elena Pasca, philosophe, administratrice de la Fondation Sciences Citoyennes et "auteure" de Pharmacritique). Le débat était animé par le présentateur de l’émission « Ca vous regarde », Arnaud Ardoin . »

Voilà donc un débat sur le produit d’un concurrent, supposé nocif (en rappelant qu’aucune preuve n’a été apportée à ce moment devant la justice, le procès n’ayant pas eu lieu), décrit et commenté par le président du LEEM, qui est également celui qui a le plus intérêt à ce que son rival coule ! C’est un peu comme si le procureur était également le témoin cité devant la cour, et que l’affaire concernait en plus son pire ennemi. Une situation stupéfiante, surréaliste, qui ne semble pas une minute égratigner la conscience du PDG de Sanofi, alors que l’on sait son attachement particulier à la déontologie au sein du LEEM.

 

 

 

L’éthique en façade pour un instrument politique

 

Car d’éthique, il en est souvent question au sein du LEEM. Il ne faut pas oublier qu’a été créé le CODEEM, « comité de déontovigilance », qui précise sur le site du syndicat :

 

« Notre responsabilité, en tant qu’organisation professionnelle, consiste à permettre à notre industrie de répondre à cette évolution par des comportements responsables. En nous dotant d’une instance interne qui sera force de proposition et d’alerte, avec des moyens et une capacité de sanction, nous contribuons au lien de confiance entre les Français et les entreprises du médicament. En réaffirmant notre mission de santé avec le souci de répondre aux interrogations de la société, le Codeem participe de la volonté d’ouverture du secteur et de son souci de transparence ".

 

Le LEEM faisait également savoir récemment qu’il allait se doter d’une charte de déontologie. 

« Les industriels du médicament vont se doter à partir de demain d’un code de déontologie européen, pour encadrer leurs relations avec les associations de patients, ont annoncé aujourd’hui les entreprises du médicament (Leem). Il prévoit notamment d’assurer la diversité des financements des partenariats conclus avec les associations, la publication annuelle par les industriels de ces mêmes partenariats et la possibilité de faire arbitrer un différent par le CEMIP (comité d’éthique et de médiation de l’industrie pharmaceutique). Ces engagements s’ajoutent à ceux qui concernent les relations avec les professionnels de santé mais également portant sur la formation médicale continue, les essais cliniques, la visite médicale, la communication sur internet ou encore la presse médicale. » 

 

L’enfer est pavé de bonnes intentions, proverbe bien connu. Le LEEM semble être un instrument politique de premier choix pour Christian Lajoux, qui justifie la mise à l’écart des laboratoires Servier, pourtant l’un des principaux contributeurs du LEEM, par le tout-éthique… Ainsi, si l’affaire Mediator a peut être ruiné la vie de centaines de patients (à défaut de ruiner leur avocat), elle pourrait bien profiter à un Christian Lajoux prompt à rajouter de l’huile sur le feu par médias interposés, en endossant le costume de moralisateur du secteur dont il est pourtant principal acteur. L’éviction de Servier laisse ainsi plus de place à Sanofi au sein du LEEM, Sanofi qui possède pourtant déjà la direction du syndicat. Dans un secteur où le contrepouvoir est quasi inexistant, il serait de bon ton de pouvoir écarter un concurrent aussi important que Servier, en jouant sur les deux tableaux :

 

      avec la casquette de Président du syndicat, prôner l’éthique et dénoncer une brebis galeuse

      avec la casquette de PDG de Sanofi, écraser la concurrence, peut-être en vue d’un rachat ?

 

Christian Lajoux pousse l’indécence à son paroxysme, en allant publier un livre sur le produit de son concurrent.

 

Une situation particulièrement délicate, qui pose encore la question de l’intervention de l’Etat dans un secteur qui s’autorégule et ne semble plus contrôlé que par l’action de ses lobbyistes.

On peut se demander si le président de Sanofi va faire une note au sein du LEEM concernant les médicaments de son entreprise, soupçonnés d’être dangereux, comme le Multaq ? Il y a fort à parier qu’on ne le verra alors pas sur les plateaux télé donner son point de vue sur l’éthique de l’entreprise qui le commercialise et la dangerosité du produit… Cette logique, poussée dans ces derniers retranchements, illustre bien la situation catastrophique du secteur pharmaceutique, hanté par le lobbying et le conflit d’intérêt à tous les échelons.

Le pompier pyromane : comment dans un secteur aussi important et concurrentiel un dirigeant cumule les fonctions.

3 réflexions sur « Sanofi, une réussite française en clair-obscur »

  1. Superbe article à résumer par ces quelques mots extraits du sixième ou septième paragraphe : « course à l’enrichissement sans limite ».
    Une course à laquelle SANOFI (et d’autres labos, et d’autres lobbies) prend (prennent) part chaque jour, pour le plus grand plaisir du boss (et accessoirement des actionnaires).

    Voici une demi-douzaine d’années, j’avais publiquement affirmé que je trouvais criminel que des « professionnels de la santé » (toutes les professions qui touchent à la santé) se préoccupent plus de la santé de leur portefeuille que de la santé de la population !
    Ça m’a valu des centaines de messages de harcèlement pour me faire « rentrer dans le droit chemin » et pour m’expliquer « gentiment » (hem…) que les labos pharmaceutiques, SANOFI en tête, allaient sauver le monde !
    Le plus hargneux d’entre ces harceleurs a été (et est toujours, d’ailleurs) un retraité de SANOFI qui, depuis une demi-douzaine d’années, m’envoie encore régulièrement l’un ou l’autre petit mot (les dernières fois, c’était voici une semaine environ : quand on entre chez SANOFI, apparemment, on y entre comme en religion, et on est missionnaire toute sa vie !).

    Belle nuit à vous !

  2. Bonjour, en réponse au commentaire précédent, je tiens à préciser qu’en tant que salarié Sanofi depuis une quinzaine d’année, je n’ai personnellement jamais eu l’impression d’entrer en religion quand j’ai commencé à travailler pour ce groupe.
    Malgré les efforts de communication concernant la mission de santé publique, je pense que parmi tous les salariés (au moins à mon niveau), personne n’est dupe sur l’objectif de la direction, de plus en plus tourné vers le profit, le maintien à tout prix de la rentabilité financière pour conserver de généreux dividendes.
    Votre commentaire est très réducteur, et généralise un cas particulier, sans imaginer que dans ce groupe il y a plusieurs milliers de salarié en France qui je peux vous l’assurer ont conservé leur liberté de penser en signant leur contrat de travail.

  3. Je comprends votre réaction[b] EricPomme[/b], en effet, ces pratiques ne sont pas très glorieuses, je dirai même que je les abhorre. Mais que voulez-vous ? Une société fermée telle que Cuba ou l’ex-Union soviétique (ou comme les pays du golfe) qui n’évoluent pas et contrôlent l’individu de sa naissance à sa mort, et où il n’est même pas possible de s’exprimer comme on le fait ici ?
    Je suis quand même ravi de savoir que les salariés s’y retrouvent et font carrière tout en [i]conservant leur liberté de penser[/i] et ça, seule notre société le permet malgré tous ces défauts.

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