Est-ce vraiment une information « positive » ? Au Royaume-Uni, selon les dispositions annoncées par le secrétaire d’État à la Justice, Chris Crayling, une riposte « disproportionnée » serait désormais légalement admise si un propriétaire ou locataire défendait ses biens contre des intrus. En France, pour que soit admise la légitime défense entraînant l’irresponsabilité pénale de qui l’exerce, la riposte à une attaque doit rester nécessaire, immédiate et proportionnée.
Bien évidemment, il ne s’agit pas ici de faire l’apologie des maraudeurs, monte-en-l’air, cambrioleurs et encore moins des criminels. Tout le droit, dans tous les pays, est un compromis, évolutif, révisable. Au Royaume-Uni, diverses affaires ont secoué l’opinion. Des personnes ayant tiré sur des agresseurs, les blessant ou les tuant, se sont retrouvées menottées et traînées devant des tribunaux (qu’on se rassure : aucun policier agissant de la sorte, même s’il avait abattu un suspect de délit de sale gueule désarmé, n’a subi ce type de mésaventure).
David Cameron, le Premier ministre britannique, a même admis qu’un cambrioleur pouvait être frappé, poignardé, blessé par balle, du moment qu’il restait conscient au moment de la riposte. Bref, il resterait illicite d’achever d’une balle dans la tête un cambrioleur préalablement assommé…
D’une part, on peut effectivement penser que, au Royaume-Uni, déclencher des nids de mitrailleuses et faire exploser des mines dans son jardin avant de déclencher un barrage de tirs de mortiers restera qualifié de défense disproportionnée si un gamin saute votre barrière pour récupérer un ballon égaré.
Antienne connue, les politiciens sont plus préoccupés des droits des victimes que de ceux des coupables. Bien évidemment, alors que les cas d’agressions violentes (parfois « gratuites ») défrayent régulièrement la chronique, les agressés pourraient souhaiter pouvoir se défendre de manière efficace, quitte à risquer la mort de l’agresseur, sans avoir à répondre devant la justice des moyens qu’ils auraient employés. C’est humain, et faute de savoir vraiment me défendre à mains nues, j’aimerais pouvoir, si je me sentais menacé, pouvoir impunément riposter avec un maximum d’efficacité.
Mais en ce domaine, comment légiférer ? Toutes proportions gardées, le même dilemme se pose pour l’euthanasie. Comment être sûr que la demande de proches ne vise pas d’abord à capter au plus vite un héritage ?
Comment être sûr qu’il ne serait pas fait usage de telles dispositions pour attirer un rival, un gêneur, et l’abattre froidement en toute impunité ?
Ce qui est choquant n’est pas qu’il soit réclamé des comptes aux personnes agressées ayant pratiqué une riposte ayant pu blesser, voire tuer un agresseur. En revanche, les pratiques policières consistant à menotter, placer systématiquement en garde à vue des gens qui pourraient être simplement assignées à résidence le temps d’une enquête sont particulièrement choquantes.
Pour la police, un cambrioleur blessé et un propriétaire blessant, c’est deux arrestations, deux cas élucidés, deux entrées dans les statistiques. Même si trois personnes s’en prennent à une seule, il leur suffit de dire qu’elles s’étaient senties agressées pour que la victime, la quatrième, soit elle aussi placée en garde à vue, et qu’un rapport soit envoyé contre elle au parquet. Il faut vraiment être une personne âgée d’apparence fragile (ou être un notable) pour ne pas se retrouver menotté et gardé à vue.
Le droit et la justice font deux. Ainsi, en droit, deux gamins qui, de nuit, par escalade, et effraction, s’empareraient d’un pot de confitures sont théoriquement passibles de la cour d’assises. Car il s’agit d’un vol « en réunion » assorti de trois circonstances aggravantes (commis par escalade et effraction après la tombée du jour). Bien évidemment, les magistrats, la plupart du temps, font preuve de discernement, et renvoient en correctionnelle, et se fient à leur interprétation d’une justice qui, pour imparfaite qu’elle soit, correspond mieux à l’idée qu’eux-mêmes et chacun s’en fait.
Légitimer une défense disproportionnée (selon les dispositions envisagées au Royaume-Uni, il faudrait qu’elle le soit « grossly », soit outrancièrement, pour qu’indulgence, voire impunité, ne deviennent pas systématiques) pourrait présager de graves effets pervers.
Dans un domaine voisin, la ministre de l’Intérieur britannique, Theresa May, envisage de laisser les victimes de vols ou d’agressions mineures décider elles-mêmes de la peine à infliger aux coupables. Ce pourrait être une compensation financière, la réparation des dommages matériels, ou des travaux d’intérêt général.
L’application de la peine serait laissée à la discrétion, quant à sa supervision, d’un policier chargé spécifiquement du suivi. En cas de refus du coupable, il serait déféré devant un tribunal. Ce type de mesure pourrait alléger la charge de travail des magistrats. Mais aussi et surtout favoriser l’application immédiate de telles peines. Bien souvent, les faits sont jugés avec retard et parfois les victimes, ayant obtenu sur le papier satisfaction, ne reçoivent jamais les compensations ordonnées.
Il n’a pas été précisé quels types de délits seraient susceptibles d’être traités de la sorte.
En France, la légitime défense est présumée lors d’intrusion nocturne ou si les vols ou pillages sont exécutés avec violence. Les moyens de riposte employés doivent être proportionnés aux circonstances.
La présomption de légitime défense s’applique bien entendu aux policiers et gendarmes dans l’exercice de leurs fonctions mais les gendarmes peuvent faire usage de leurs armes après sommation tandis que les policiers restent tenus par l’obligation de ne réagir qu’en cas de menace réelle et de proportionner leur mode de riposte.
L’une des dernières affaires françaises en date est celle d’un bijoutier du septième arrondissement de Paris qui avait tiré à cinq reprises sur un braqueur, brandissant un revolver, fin juillet dernier. Une autre bijouterie, à Monaco, avait été pillée le 18 septembre dernier et un policier monégasque avait fait usage de son arme, blessant l’un des fuyards. En Suisse, fin septembre, un policier avait tué un chauffard à Montreux (et un autre policier blessé par un collègue dans la confusion), l’homme étant sorti de son véhicule en brandissant un fusil de chasse. Mi-septembre, un policier luxembourgeois avait été condamné pour coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
Lors de la dernière campagne présidentielle, Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy s’étaient prononcés pour que la présomption de légitime défense s’applique automatiquement aux policiers quels que soit la nature des moyens employés. Une commission de magistrats a maintenu le statut quo mais les conditions de riposte devraient être ultérieurement mieux définies.