Le bourrage des urnes n’a pas suffi ? Qu’à cela ne tienne, le débourrage du corps électoral, « ça le fera… ». Ainsi pourrait-on résumer ce qui découle du titre du site Agenda.ro : « Les statistiques pourraient valider le référendum : il n’y a pas 18,2, mais 16,5 millions d’électeurs inscrits. ». Conséquence : en se prononçant à 42, 6% du chiffre antérieur, les Roumaines et les Roumains n’avaient pas réussi à destituer par référendum le président suspendu, Trian Basescu, mais en se fondant sur le « nouveau » chiffre, le référendum est valide, donc son remplaçant intérimaire, Crin Antonescu pourrait rester à la présidence, en bonne intelligence avec le Premier ministre, Victor Ponta : la majorité parlementaire et le gouvernement veulent la peau institutionnelle de Basescu.
La presse internationale, avant même la presse roumaine, avait estimé, sur la base de résultats officiels mais partiels, que le référendum roumain visant à destituer le président suspendu Basescu était invalide, faute de quorum (soit 50 % de l’électorat plus une voix), et qu’il sauvait donc son siège.
Certes, cela ne résolvait guère la crise politique qui déchire les sommets de l’État.
Mais on croyait que la page était plus ou moins tournée, le président aurait pu regagner le Cotroceni (la présidence, l’Élysée roumain), se cantonner à un rôle de représentation — de potiche. C’est mal le connaître.
Le Premier ministre Victor Ponta est censé pouvoir continuer à gouverner, et à détricoter les mesures économiques drastiques imposées par Basescu, ou du moins le proclamer tout en assurant respecter les décisions du FMI, de la Banque mondiale, de la Commission européenne, la troika. Mais cela ne lui suffit pas.
Et puis, tout le monde en Roumanie aurait pu se féliciter des médailles obtenues aux Jeux Olympiques (une d’or, deux d’argent en trois jours), se presser au concert de Lady Gaga le 15 août à Bucarest, et la page serait provisoirement tournée. Cela n’en prend pas la tournure.
Sauf que… ni l’un, ni l’autre, ne l’entendent de cette oreille. La coalition USL au pouvoir maintient que Basescu est totalement discrédité (près de 90 % des votes réclamaient sa destitution, dimanche dernier), les partis de la minorité hongroise et celui du président, qui avaient appelé à l’abstention, soutenaient qu’avec seulement 46,23 % des inscrits s’étant prononcés, crie encore victoire ce mardi.
Ce résultat a pourtant été obtenu de très haute lutte. L’USL avait organisé des jeux, des concours, des festivités, pour persuader d’aller aux urnes, multiplié les coups de téléphone, l’envoi de textos. Mieux, la fin de la consultation avait été repoussée à 23 heures (et 09 h lundi pour les votants d’Amérique du Nord), des « urnes mobiles » ou temporaires avaient été déposées sur les plages, dans les restaurants, mais aussi les asiles psychiatriques et les prisons. Du coup, près de 90 % de la population pénitentiaire participait au scrutin, et les patients (peut-être avec la promesse d’une collation supplémentaire) déposaient leurs bulletins. Des centaines d’infractions, réclamations, ont été déposées ou traitées sur le champ, mais au final, le « coup d’État » dénoncé par Basescu avait échoué, il restait président.
Manip démographique
Oui, mais… La Cour constitutionnelle pourrait considérer que le corps électoral ne rassemblerait plus 18,2 millions de votants, mais seulement 16,5 millions. Du coup, le référendum serait valide, Basescu démis.
La Roumanie connaît un déficit démographique indéniable, et surtout une fuite à l’étranger de nombreux ressortissants, lesquels ne s’empressent pas forcément de se faire recenser dans les consulats roumains. En revanche, dimanche dernier, il était possible de se faire délivrer des papiers d’identité jusqu’à la dernière minute, et beaucoup d’électeurs potentiels ont été fortement incités à le faire (notamment dans les centres commerciaux où des bureaux ad hoc sont présents).
Or donc, Victor Ponta invoque l’Institut national de la statistique et les résultats du dernier référendum de l’an dernier. Le PSD, son parti, brandit la carte de l’INS. Il n’y a(urait) plus que 16 527 971 inscrits, et non pas 18 288 757, comme le soutenait dimanche soir le BCE (Biroul Electoral Central). Pour le PSD, la Roumanie comptait 3,7 millions de mineurs de moins de 18 ans fin octobre 2011 sur, au mieux, 20,2 millions de personnes.
« Moralité », le quorum aurait été atteint, Basescu doit regagner son logis privé.
Notons quand même qui si le corps électoral s’est étréci globalement, par endroits, il s’est considérablement renforcé. Dans le secteur de Lepsa, sur la commune de Tulnici, il n’y avait avant dimanche que 347 inscrits. Mais comme c’est une destination touristique et de résidences secondaires, on a trouvé une liste « supplémentaire » de 870 inscrits et hop, près de 1 200 personnes se sont présentées aux urnes. C’est 250 % de participation par rapport au premier chiffre des inscrits permanents.
Acharnement
Des deux côtés, les coups bas n’ont pas cessé. Ce mardi, 33 universitaires roumains et étrangers ont sollicité le ministère de l’Éducation pour faire invalider le doctorat en droit du Premier ministre, accusé de vulgaire plagiat.
De son côté, l’intéressé pointe du doigt les minorités hongroises. Son homologue hongrois, Viktor Orban, avait conseillé aux Hongrois de Roumanie d’aller dimanche à la pèche. Du coup, les partis hongrois dénoncent aussi les manipulations de l’USL et en particulier du PSD de Victor Ponta qui veut « instaurer un gouvernement post-communiste. ». Pour la Voix de la Russie, Basescu et Orban, tous deux soutenant le même groupe parlementaire européen, auraient passé un accord pour que le Ținutul Secuiesc (ou Terra Siculorum), soit les régions de Targu Mures (dpts transylvains d’Harghita, Covasna et Mures), pays des Sicules, des Magyars, jouissent d’une quasi-totale autonomie.
Le conflit latent est complexe : les Sicules sont calvinistes ou catholiques, des Rroms se déclarent de langue hongroise, et on ne sait s’ils représentent bien la moitié de la population de langue hongroise en Roumanie.
Sur la question, voir en particulier le blogue-notes de SamuelR, sur Mediapart, et l’article « Victor contre Viktor » (illustré par des graphiques et une carte que nous reproduisons ici, la région des Sicules y figure en noir).
Basescu, qui se drape dans les emblèmes de l’Union européenne et de l’Otan, se déclare pour une union renforcée avec la République de Moldavie et dénonce la présence d’une base russe dans sa partie dissidente, l’autoproclamée Transnistrie.
La presse internationale s’en mêle et Euronews, sur son site, a organisé une consultation sur la question « estimez-vous que le référendum en Roumanie a renforcé la légitimité du président Basescu ? ». Les éditorialistes de la chaîne, comme d’autres, en Roumanie et en Europe, considèrent que le référendum n’a rien réglé, voire même « bien au contraire ».
Qu’il redevienne ou non président, Basescu perdra le contrôle de l’Institut culturel roumain (ICR) qui supervise les diverses représentations culturelles roumaines à l’étranger. Ainsi vient d’en décider la Cour constitutionnelle. Son président, Horia-Roman Patapievici va donc démissionner. Pour lui, l’autorité du président était symbolique, mais la prise de contrôle par le Sénat marque une dérive nationaliste, voire anti-européenne.
Mălin Bot, rédacteur en chef d’Adevarul, le quotidien gratuit qui est sans doute l’organe de presse écrite (et en ligne) le plus consulté en Roumanie, dénonce des méthodes de la part du gouvernement similaires à celles constatées sous la présidence autoritaire d’Ion Iliescu.
Le Conseil des investisseurs étrangers en Roumanie, le FIC, s’est dit inquiet de l’évolution institutionnelle. Il représente 128 sociétés importantes ayant investi 40 milliards d’euros et qui emploient 185 000 salariés.
L’argument référendaire vaut ce qu’il vaut. Environ 10 % des habitants auraient été « oubliés » ou négligés : 5 % n’auraient jamais reçus la visite d’un agent recenseur, plus de 4 % absents de chez eux lorsqu’il se serait présenté.
Christian Tudor Popescu, un journaliste très écouté, a considéré que la vie politique roumaine tournait au combat de gladiateurs égocentriques, entre le président Hulk, son « fanfaron » remplaçant (Antonescu) et Ponta « le plagiaire ». Ils ont perdu toute crédibilité, estime-t-il.
Gandul, site d’information, dénonce un « viol collectif » de la démocratie, d’abord par l’USL, ensuite par Basescu qui a boycotté le référendum, « enfin par le peuple qui n’a pas honoré l’essence de la démocratie. ». C’est une façon de voir…
Parallèle avec la Russie et la Hongrie
De son côté, le président Viktor Orban a créé un fort émoi en déclarant, devant l’Association nationale des entrepreneurs hongrois, que la démocratie ne fonctionnait pas en Europe de l’Est, et notamment en Hongrie où le peuple ne comprendrait « que la force ».
C’est aussi un peu le sentiment d’une large partie de l’opinion en Russie, pour des raisons à la fois similaires et différentes : le pays serait trop grand, comprenant trop de minorités, de forces centrifuges.
En Roumanie, les Roumains désespèrent les Roumains… Pour les uns, Ponta représente un retour au communisme, pour les autres, Basescu aurait dû partir de lui-même, et les invectives sont fortes, chacun voyant en l’autre, en substance, un « indécrottable idiot abusé par des arguments populistes », beaucoup se disant prêts à partir à l’étranger « avant qu’il ne soit trop tard », que les investisseurs fuient le pays, &c. Chacun renvoie sur l’autre la chute du cours du leu face à l’euro (dans lequel la plupart des emprunts des particuliers sont libellés).
Les abstentionnistes ne sont pas forcément des partisans de Basescu, mais des opposants au régime parlementaire actuel, pourtant au départ bien élu. La plupart des Roumains, très sensibles à l’opinion de l’étranger, dénoncent les ingérences de l’Union européenne ou au contraire les approuvent et regrettent que l’USL donne une si mauvaise image du pays.
La journée du référendum avait été marquée par des manifestations, sur la place de l’Université à Bucarest pour les partisans de l’USL, en divers endroits pour ceux du président qui arboraient des casquettes d’officiers de marine (l’autre surnom de Basescu est Popeye, car c’est un ancien capitaine).
Sans rire, le Premier ministre Ponta a déclaré que le référendum n’avait pas été entaché par des fraudes et que « le sujet était clos ». Pour autant, à Alexandria, chef-lieu du département de Teleorman (qui jouxte au sud-ouest celui de Bucarest), qui a connu une participation massive (avec 70 % de votants, mais 64,8 % d’inscrits, tandis que d’autres départements culminaient à moins de 20 % au mieux), le PDL de Basescu accuse le PSD de Ponta et ses alliés de l’USL d’avoir distribué entre cinq et dix millions de lei à des électeurs. Il y aurait eu aussi des votes multiples, la participation aurait dépassé les 100 % dans une trentaine de secteurs électoraux.
On attend à présent, ce soir à 19 h locales, la conférence de presse de Crin Antonescu, qui avait promis qu’en cas d’échec du référendum, il se retirerait définitivement de la vie politique.
Le Bureau électoral central a recensé 99,97 % des secteurs avec une participation de 46,23 %, dont 87,52 % pour le « oui » à la destitution et 11,15 % (+ un point par rapport aux estimations de lundi matin) pour le « non ». Les résultats définitifs seront proclamés mercredi à 10 h 30 locales.
P.-S. – pour revivre la cocasse journée du référendum roumain de dimanche : « Roumanie : la démocratie à La Lanterne », sur Come4News.