Retour sur la désacralisation de nos musées: un danger pour la culture ?

Etymologiquement issu du grec “mouseion”,  le musée désigne un sanctuaire des muses. Les édifices muséaux, souvent nés des cabinets de curiosités gardés au sein des palais royaux ou bourgeois du XIXème siècle, ont en effet une architecture imposante, similaire aux temples grecs. Lors de l’ouverture des premiers musées et premières collections, le public, aisé et instruit, y venait pour élever le niveau de sa culture esthétique et plus tard, ethnologique.

Une population alors restreinte côtoyait des chefs d’œuvres dont la vue était interdite à la masse du peuple, considérée comme inculte et incapable d’apprécier la beauté des collections. Ainsi, dans la lignée des temples, puis des cathédrales du 11ème siècle, le musée est devenu la vitrine du divin, de la beauté légitime, et ses trésors sacrés furent jalousement gardés par une élite avec ses codes et ses traditions. Le silence souvent imposé en ces lieux, la sacralisation des œuvres et les cartels accessibles uniquement aux initiés participent à l’ambiance de recueillement intense des bâtiments, comme le prouve une étude menée par Bourdieu et Darbel pour leur ouvrage L’Amour de l’Art, qui ont, les premiers, analysé le monde muséal. Cette étude démontre que pour les trois couches de la société observées (populaire, moyenne et haute), le musée renvoi en premier lieu l’image d’une église.

Cependant, l’institution muséale se trouve bouleversée par la révolution française, qui fait des collections privées des propriétés publiques du patrimoine culturel français. La culture muséale passe aux mains du peuple, au plus grand dégoût d’une élite qui ne conçoit pas que celui-ci puisse avoir les capacités intellectuelles et le raffinement nécessaire afin de comprendre l’Art et d’investir ces temples sacrés gardiens du bon goût, comme en témoigne ce témoignage de Georges Denoinville :

Le « public qui éprouve une singulière joie à salir, à flétrir, à polluer, cela même qu’il admire le plus, ainsi qu’un enfant terrible, frondeur, indiscipliné, se plaît à briser, à déchirer, de préférence, des jouets beaux et riches (…). (Le public affecte) – la curiosité une fois assouvie- le dédain le plus complet pour ces témoignages du passé, dédain où perce souvent une secrète vengeance politique ou religieuse, qui s’exerce bêtement et lâchement sans aucune gloire acquise que des taches de boue qui rejaillissent sur les têtes des iconoclastes »

Le public est comparé dans cette œuvre à un enfant, porté par des instincts primaires, incapable de se contrôler, et qui constitue ainsi une réelle menace pour les œuvres sacrées du passé. Comment laisser des trésors entre les mains de sauvages ?

Malgré des musées jalousement gardés par ces élites, au fur et à mesure des années, « ce qui était essentiellement un bastion aristocratique [est devenu] un lieu de rencontre pour les gens de la rue ». Ils deviennent des lieux plus ouverts, moins élitistes, plus conviviaux. Ils sont en quelque sorte désacralisés, intégrés au monde profane. Certains, comme le musée du Louvre par exemple, se trouve au cœur d’une zone commerciale, accolé à une école (l’école du Louvre) et à un auditorium. Des loisirs annexes apparaissent. L’institution muséale suit l’avènement de la société de loisirs et ne se veut plus comme lieu de contrainte, mais de plaisir. L’ouverture de boutiques de souvenirs, d’auditoriums, de cinémas, de salles de conférences juxtaposés aux musées en sont la preuve. Les musées se dotent également de sites internet, où ils recensent leurs œuvres. Plus besoin de se rendre dans un temple de l’Art pour admirer certains chefs d’œuvres. Il n’y a plus d’espace réellement définit et sacré, et l’aspect de détente des musées rentre dans les mœurs, comme le prouve l’article 1 de la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France qui stipule que le musée doit être organisé « en vue de la connaissance, de l’éducation, et du plaisir du public ». De plus, les musées qui ont été, jusqu’à la fin du XIXème siècle, ouverts uniquement un jour sur deux, laissent entrer des visiteurs quasiment toute l’année, dimanches et jours fériés inclus, même durant la pause déjeuner.

Que penser de cette désacralisation ? Les loisirs peuvent sans aucun doute favoriser l’accès à la culture en faisant descendre celle-ci de son piédestal. Cependant, il convient de ne pas les amalgamer avec les musées et la culture qu’ils renferment. Les musées ne sont pas des produits commerciaux et le patrimoine immatériel entreposé entre leurs murs doit être à la portée de tous. Cela étant dit, le musée peut, pour valoriser son image ou pour acquérir des collections, faire appel à des facteurs financiers. Tant que le but économique ne devient pas la fin et que l’intégration dans une logique de loisirs ne tourne pas à l’acculturation, il est légitime que le musée suive son temps et s’adapte à la société d’aujourd’hui, tout en évitant les dérives. Cependant, il est à noter que le chemin est encore long afin de faire passer le musée d’un temple sacré gardien des Arts à un agora culturel.

 

Une réflexion sur « Retour sur la désacralisation de nos musées: un danger pour la culture ? »

  1. « Une population alors restreinte côtoyait des chefs d’œuvres dont la vue était interdite à la masse du peuple, considérée comme inculte et incapable d’apprécier la beauté des collections. »

    Et aujourd’hui on a une nouvelle « élite », peut-être encore moins « noble » que l’ancienne, en tous cas tout aussi méprisante, qui érige au titre d’Art des homards géants qu’on va parquer à Versailles. Le pire, pour moi, c’est pas tellement la « démocratisation » extrême des musées, mais bien le fait qu’il n’y ait plus de véritable élite on va dire officielle pour faire respecter la simple notion d’Art. Seul le mépris a bien été conservé, intact comme au premier jour. Même pas besoin de musées pour ça, malheureusement….Le règne de la marchandise ne détruit que ce qui est beau 🙁

Les commentaires sont fermés.