Rappels élémentaires sur les institutions démocratiques suisses, et l’éjection de Blocher

La démocratie foulée au pieds en Suisse ? Mon oeil !

Le 7ème membre de l’équipe composant le cabinet ministériel suisse est désormais connu : Mme Wider-Schlumpf, qui ne s’attendait décidément pas à tant d’honneur. Elle a accepté la double charge de Conseillère fédérale, et de cheval de Troie potentiel infiltré dans le parti dont elle est issue, l’Union démocratique du centre (UDC, extrême droite suisse).

Les commentaires sans grande classe, émanant d’un parti éméché par la défaite, ont dénoncé le manque de conformité avec les règles démocratiques, et le peu de cas fait de la souveraineté populaire. Au-delà des déclarations émotionnelles, somme toute compréhensible pour un parti qui subit l’une des plus grandes défaites de ces deux dernières décennies, peut-on parler de parlementaires irresponsables et indifférents au choix des électeurs ? Assurément non, et nous allons voir pourquoi.

La démocratie, à moins d’être exercée de manière directe dépeinte par Rousseau, s’exerce par représentativité. Galvaudé, le terme “démocratie” est utilisé comme une arme se référant à la légitimité de la décision; ce qui, dans une “démocratie”, revient à s’estimer plus “soutenu par le peuple” que son adversaire.

La démo-cratie, soit le pouvoir du peuple, connaît pourtant autant de formes dans le monde qu’il n’existe de pays se revendiquant démocrates. Les “républiques populaires” et “républiques démocratiques”, de la Corée du Nord à l’ancienne Europe de l’Est, ont sans cesse affirmé leur attachement au droit de leurs peuples. Sans liberté d’expression toutefois, on s’aperçoit que la démocratie, dans ces différents Etats, a toujours été une coquille vide.

Vouloir donner le pouvoir au peuple, implique comme condition préalable la liberté. Mais, à défaut d’être un nostalgique de la Landsgeimeinde suisse[1], où de croire Rousseau lorsqu’il postule que la volonté générale est “une, indivisible et infaillible”, aucune société de plusieurs millions d’individus, de plus en plus spécialisés dans leurs tâches, ne saurait se prononcer sur tous les décisions politiques. Ce qui rend obligatoire la représentation parlementaire, avec la formation au fil du temps d’une sorte de classe politique, des experts de dossiers de plus en plus complexes. Cette délégation de pouvoir, elle s’exerce au profit du pouvoir législatif et de l’exécutif, mais aussi vers le judiciaire et l’administratif, car ce dernier tend à chercher l’autonomie. Plus l’exécutif est important en volume de dossiers traités, plus l’administratif devient une sorte de bulle indépendante. Ce qui a pour résultat de ne pouvoir, pour un chef d’exécutif, de contrôler tous les aspects de sa politique. La représentation est souvent complexe, diffuse et insaisissable.

La démocratie en Angleterre et en France

Chaque démocratie libérale décide de sa représentation, des types de poids et contrepoids donnés aux différents pouvoirs étatiques, et quelles en sont les modalités de répartition. L’Angleterre, par exemple, élit son parlement, qui à son tour élit le cabinet ministériel, soit l’exécutif. Ce dernier n’a pas les mains libres une fois élu, puisqu’il doit rendre des comptes devant les 2 chambres législatives. La répartition du pouvoir est ainsi faite. Mais au sein de la chambre haute (la chambre des Lords), certains de ses membres sont élus, et d’autres nommés[2], même si cette dernière catégorie tends à disparaître (car jugée “anti-démocratique”). Notons ici qu’avant de crier au scandale sur les sénateurs héréditaires, ceux-ci, plus du tout soumis aux aléas de leur réélection, s’expriment en toute liberté et franchise; ils ne risquent pas leur poste en prenant des décisions impopulaires sur le moment, et ont tout loisir de penser leur politique, de réfléchir au long terme. Lors de l’entrée en guerre de l’Angleterre en Irak, les plus ardents opposants furent les Lords.

La France a un tout autre système pour le choix de son exécutif : le peuple élit les parlementaires, ainsi que son président. Une fois élu, le président a les pleins pouvoirs pour choisir son cabinet, en nommant son premier ministre qui à son tour compose le gouvernement. Cependant, il est possible de tomber en période de cohabitation; si le législatif change, ainsi que sa majorité, le président est contraint de nommer un nouveau premier ministre, appartenant à la famille politique victorieuse. Sous Mitterrand, socialiste, Chirac, gaulliste, a exercé la fonction de premier ministre. Sous Chirac président, Jospin, socialiste, lui a servi 5 ans durant de chef de l’exécutif. Ce qui a pour résultat de voir l’exécutif français comme un hydre à deux têtes; qui fait quoi n’est pas toujours bien défini, et le président Sarkozy, aujourd’hui, exerce une main-mise sur la seconde partie de l’exécutif, souhaitant prendre en main toutes les tâches d’habitude dévolue au cabinet ministériel. La répartition du pouvoir est mouvante, non seulement entre le législatif et l’exécutif, mais au sein de l’exécutif lui-même.

Le fonctionnement démocratique suisse

En Suisse enfin, si la représentation politique ressemble plus à l’Angleterre qu’à la France, elle est compliquée par le rôle traditionnel du consensus. Le parlement vote pour élire l’exécutif, qu’il choisit sur de très nombreux critères : la force de caractère, l’expérience, la capacité à travailler dans une équipe, la représentativité, etc. Le critères sont très subjectifs, car il est en général accepté que l’homme ou la femme présenté pour le poste de ministre, le soit par sont parti. Les partis se tournent ainsi vers des hommes capables d’adoucir les angles, peu susceptibles de crisper les adversaires. C’est pourquoi la Suisse a, à quelques exceptions près, toujours eu des ministres de l’ombre, discrets et travailleurs. Le culte de la personnalité, les confrontations violentes ne sont qu’épisodiques dans un pays aimant avant tout le calme.

Tout cela est définitivement remis en question, avec la décision du premier parti du pays d’entrer dans l’opposition. Fort de sa légitimité législative écrasante (près de 30% des électeurs ont voté pour l’UDC en octobre), il se lance dans une bataille coûteuse, nouvelle et difficile. Il s’apprête à explorer une nouvelle manière d’exercer son mandat, ce qui ne manque pas de faire sourire les commentateurs et analystes, puisque deux de ses membres sont Conseillers fédéraux – soit ministres; pour trancher la contradiction, l’UDC a décidé de les exclure de son groupe parlementaire, se refusant à toute collaboration avec “des traîtres”. Pour le parti agrarien, la radicalité constitue une marque de fabrique, et négocier serait se couper de sa base électorale. Il n’est jamais question de transiger. Lors d’élections ce comportement séduit indubitablement l’électorat, qui pense voire se profiler une politique claire, facile à appréhender; malheureusement, pour l’exercice du pouvoir, la négociation est la matière première de toute action, ce qui donne si souvent l’impression que les hommes politiques ne mettent pas en oeuvre les promesses de campagne.

Pour mieux décrier le choix parlementaire qui s’est porté sur un autre candidat que celui proposé par l’UDC, ce parti a dénoncé l’anti-démocratisme de la Coupole (lieu où se réunit le parlement). Les élus du peuple auraient dû suivre le choix du peuple, tancent-ils, et réélire Christoph Blocher, un homme très éloigné des coutumes politiques suisses, à la tête de son département (la justice). Avoir refusé de se plier à la proposition de l’UDC, c’est bafouer la démocratie.

Or, qu’est-ce qu’illustrent les précédents exemples ? La démocratie ne va pas sans représentation. D’une part, l’institution dont s’est dotée le peuple suisse, restreint de facto le pouvoir de ce dernier. L’un des attributs de la souveraineté populaire, c’est de choisir de limiter son pouvoir. D’autre part, le parlement n’a fait qu’exercer comme il l’entendait ses prérogatives. En somme, si quelqu’un est coupable en la matière, c’est le peuple, et les règles de fonctionnement qu’il a établi. Si elles ne conviennent plus à l’air du temps, il toujours possible de les modifier. Mais en appeler au respect de volonté populaire, pour pourfendre le fonctionnement institutionnelle du pays, voilà qui semble paradoxal. Si la constitution assure toute latitude à la Coupole pour se choisir ses ministres, le premier parti suisse ne peut en même temps en appeler au déni de démocratie lorsque le parlement ne fait qu’appliquer le mandat qui lui est donné.

Le parlement a préféré à Christoph Blocher un autre membre issu de la même mouvance politique. C’est son droit le plus strict. Si il ne devait qu’être une chambre d’enregistrement populaire, autant changer les règles et faire élire par le peuple les membres de l’exécutif, à l’image de la pratique française. Chaque système a ses avantages et ses inconvénients, mais on ne saurait être plus éloigné de la réalité en taxant d’anti-démocratique un système choisi par le peuple. Dans le cas contraire, on fait voter le peuple sur chaque décision, et dans un pays dépassant allègrement les 7 millions d’habitants, où malgré toute leur éducation les citoyens ne sont pas à même – et n’ont pas l’envie – de se prononcer quotidiennement sur des objets très complexes, la mission semble impossible. Libre toutefois à l’UDC de chercher à transformer ses principes en actes, en démocratie, on peut tout faire. Du moment que c’est prévu par la constitution, les lois. Pour changer les lois, il convient de les utiliser…

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  1. Tradition helvétique très ancienne et disparue aujourd’hui des grandes élections, qui consistait à voter à main levée, tout le village se réunissant pour décider ensemble de la conduite politique
  2. Par la reine, pour hauts faits au service de la nation, par hérédité, etc

2 réflexions sur « Rappels élémentaires sur les institutions démocratiques suisses, et l’éjection de Blocher »

  1. @ Psykotik
    Psykotik, lorsque tu écris « peuple élit les parlementaires, ainsi que son président », tu as, en partie raison. En effet, du fait de l’inversion du calendrier (Adoption du Quinquennat oblige), le peuple français élit d’abord son Président, puis les députés ;
    Les sénateurs, quant à eux, sont élu au suffrage indirect par les grands électeurs que sont les conseillers généraux, les conseillers régionaux, les maires, les conseillers municipaux…

    Par ailleurs, lorsque tu écris, et je te cite : « Une fois élu, le président a les pleins pouvoirs pour choisir son cabinet, en nommant son premier ministre qui à son tour compose le gouvernement. », tu n’as pas oublié de mentionner ce détail, qui a toute son importance, mais que je rappelle ici : « le Premier Ministre étant l’expression même du résultat du scrutin d’une élection législative, le Président de la République se doit d’en tenir compte en nommant un Premier Ministre issu d’une majorité qui se sera dégagée à l’issue de ce scrutin ».

    Et, comme tu l’as si bien écrit, on s’en est aperçu lors des périodes de cohabitation :

    – pendant le 1er Septennat de François Mitterrand (PS) : Jacques Chirac (RPR), Premier Ministre,

    – pendant le 2ème Septennat de François Mitterrand (PS) : Edouard Balladur (RPR), Premier Ministre,
    – pendant le Septennat de Jacques Chirac (RPR) : Lionel Jospin (PS).

    Cependant, pour beaucoup d’hommes politiques, « il devenait urgent d’instaurer le Quinquennat présidentiel ».
    Au départ, et il ‘a clairement dit lors des Présidentielles 1995, Jacques Chirac était opposé à cette proposition formulée par Lionel Jospin. Cependant, Lionel Jospin, devenu Premier Ministre réussit à imposer son projet de Quinquennat présidentiel : aussi, sur sa proposition et sur celle du Président Chirac, les Français approuvèrent, par Référendum, le 24 septembre 2000, le Projet de Loi portant « instauration du Quinquennat présidentiel »…
    Or, comme tu le constateras en lisant mon article : « Il est urgent de revenir, par voie référendaire, au septennat présidentiel » [ Cf. http://www.come4news.com/index.php?option=com_content&task=view&id=3147 ], le Quinquennat présidentiel, qui, pour moi, est dangereux, dans le sens où il renforce « artificiellement » et affaiblit les pouvoirs du Président de la République, ne pourra jamais éviter la cohabitation…
    C’est d’ailleurs ce que le Président Sarkozy et Edouard Balladur, Président du « Comité de Réflexion et de Proposition sur la Modernisation et le Rééquilibrage des Institutions de la Vè République » a clairement fait comprendre au Président Sarkozy en remettant sa copie.
    Cependant, comme tu le constateras en lisant mon article : « Quelles réformes pour nos Institutions ? » [ Cf. http://www.come4news.com/index.php?option=com_content&task=view&id=8150 ], certaines des propositions formulées par ce Comité Balladur me semblent très dangereuses…

    Aussi, j’aimerais avoir l’opinion du Citoyen suisse (habitué aux référendums et aux votations) à la suite de la lecture de mes deux articles…

    Pour illustrer ce commentaire, je vais en faire un autre immédiatement après celui-ci pour présenter les pouvoirs du Président de la République française.

  2. @ Psykotik : LES POUVOIRS DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
    Psykotik, afin d’illustrer mon précédent commentaire, et, afin de te démontrer pourquoi je suis fermement opposé au Quinqennat présidentiel, je pense nécessaire de te livrer, ci-dessous, les pouvoirs du Président de la République, tels qu’ils sont définis par la Constitution de la Ve République et d’après les sources consultées sur :

    – le site de « Présidentielle 2007 » : http://www.presidentielle-2007.net/pouvoirs.php

    – « Les Pouvoirs Publics », ouvrage édité par le Journal Officiel de la République Française, Paris, 1er Septembre 1992.

    La présidence dans la Cinquième République est la plus haute fonction de l’État Français.

    Le chef de l’État est :

    – le détenteur du pouvoir exécutif,

    – le chef des armées françaises,

    – le plus haut magistrat de France,

    – le grand maître de la Légion d’honneur,

    – le co-prince d’Andorre.

    Ses principales prérogatives sont définies dans la constitution de 1958 et ses amendements :

    – Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités (Article 5 de la Constitution de la Ve République).

    – Il nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions (Article 8 de la Constitution de la Ve République).

    – Il préside le Conseil des ministres (Article 9 de la Constitution de la Ve République).

    – Il promulgue les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée (Article 10 de la Constitution de la Ve République).

    – Il signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des Ministres (Article 13 de la Constitution de la Ve République).

    – Sur proposition du gouvernement ou des deux chambres, il peut soumettre une loi ou une ratification de traité à un referendum (Article 11 de la Constitution de la Ve République).

    – Il peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale. Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit la première (Article 12 de la Constitution de la Ve République).

    – Il accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances étrangères (Article 14 de la Constitution de la Ve République).

    – Il est le chef des armées. Il préside les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale (Article 15 de la Constitution de la Ve République) .

    – Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des présidents des assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. Il en informe la Nation par un message. Ces mesures doivent être inspirées par la volonté d’assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d’accomplir leur mission. Le Conseil constitutionnel est consulté à leur sujet. Le Parlement se réunit de plein droit. L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels (Article 16 de la Constitution de la Ve République).

    – Le Président de la République a le droit de faire grâce (Article 17 de la Constitution de la Ve République).

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