On l’aura remarqué : pas du tout convaincu par le discours social du Front national, ou le retour au franc « les doigts dans le nez », je ne m’en refuse pas moins à « diaboliser » Marine Le Pen (ni même Riposte laïque ou autres officines pro-FN ; voire y compris les beaucoup plus radicales). Là, sur Rue89, Nolween Le Blevennec, spécialiste du Front national, revient sur la contre-offensive du FN contre Caroline Fourest (et Fiammetta Venner). Signale-t-elle qu’en dépit de la nouvelle ligne mariniste, le FN n’aurait pas fondamentalement évolué ?

C’est à la sommation interpellative adressée par le FN à Rémy Pflimlin (pdt de France Télévisions) que se réfère le « signale-t-elle » ci-dessus. Pas à Nolween Le Blevennec, qui tente (et réussit assez bien) de rester factuelle sur Rue89. Mais tant qu’à l’être, autant lister les « 17 passages litigieux » que la plainte du FN pointe dans la biographie intitulée Marine Le Pen que Fourest et Venner ont publié chez Grasset. On en saura peut-être davantage en visionnant le documentaire de France 2, Marine Le Pen, histoire d’une héritière, diffusé, sauf contrordre, jeudi 15 décembre à… 23 heures 10.

Car si on visite le site du Front, on ne trouve pas davantage (sauf erreur, inattention) ces fameux 17 passages. Wallerand de Saint-Just, trésorier du FN, fait état de « diffamations et d’injures très graves ». Lesquelles ? En quoi sont-elles « très graves », et pourquoi ?

Désolé, mais cette élision des propos incriminés me rappelle très fort les procédés de Civitas qui dénonce la « christianophobie » de certaines pièces de théâtre, certains écrits. Étant moi-même christianophobe (entre autres, mais pas trop bouffeur de recteurs du bas-clergé breton, ni même d’imams ou rabbins pacifiques et affables, nonobstant), je ne trouve pas du tout que ces spectacles illustrent la christianophobie (ni même la défense et illustration du paganisme ou de l’agnosticisme). Comme quoi…

Quel nationalisme ?

Ce qui me défrise un peu chez Fourrest et Venner, c’est qu’elles tendent un peu trop facilement à démontrer que Marine Le Pen reste trop imprégnée d’un nationalisme ethniciste, qui a fortement marqué le FN de papa Jean-Marie, pour avoir évolué. Pour son entourage, c’est autre chose. Elle ménage sans doute la chèvre et le chou, et il en sera de même lors de la désignation des candidates et candidats aux futures législatives, qui me semblent, en l’état des choses, autrement plus importantes que les présidentielles. Qu’il lui faille louvoyer pour conquérir le pouvoir, dont acte, quelle candidate ou candidat ne le fait pas peu ou prou ?

Marion Le Pen est sans doute devenue « la Carla Bruni de la droite nationale », comme la qualifie Jérôme Bourdon, du très droitier Rivarol. Soit le symbole d’un nationalisme « civique » et non plus « ethnique ». Il ne faut pas d’ailleurs lire que Rivarol, mais aussi son jumeau, Écrits de Paris, pour se rendre compte de cette mutation. Stepinac (alias évoquant le « bienheureux » cardinal apostolique romain croate, proche des oustachis), y dénonce « l’hégémonie juive sur le monde entier » et y fustige ses soutiers néo-païens, car « seul le vrai chrétien, c’est-à-dire le catholique [entendez « romain » ici, Ndlr], est habilité à revendiquer l’héritage du paganisme. ». Dans le même numéro (août-sept. 11) figure une défense et illustration du suprémacisme blanc américain. Genre…

La Le Pen semble plutôt exemplaire de ce que Matthew Wright (American Univ.) et Tim Reeskens (Univ. cath. de Leuven) décrivent dans leur récente étude parue dans Psychological Science : « National Pride Brings Happiness » : le nationalisme civique rend heureux. Lequel serait « ouvert, en principe du moins, aux minorités et aux immigrants. ». Cette enquête (portant sur près de 41 000 personnes en 31 pays) se fonde aussi sur les recherches en interculturalité prenant pour critères l’adhésion « aux lois et aux institutions ». Ce nationalisme privilégie la « cohésion sociale, qui admet la protection sociale et d’autres politiques redistributrices. ». Marine Le Pen, son récent discours de Metz semble le démontrer, surfe sur cette vague nationaliste.

Reste à savoir si sa conception de la redistribution n’est pas tout simplement clientéliste, flattant l’artisan-commerçant hostile à l’imposition et l’ouvrier-paysan « qui travaille durement » sans trop toucher aux professions libérales, ni même, de fait, aux plus riches possédants.

Déconnectées du FN réel ?

En cela, Fourrest et Venner peuvent sembler déconnectées de l’actuel FN réel, insistant sans relâche sur sa filiation avec l’ancien. Lequel reste pourtant prégnant, et ce ne sont pas les communiqués de Walleran de Saint-Just qui le démentent. Ni bien sûr, les diatribes de Cyrano dans Riposte laïque qui use des mêmes procédés, en dénonçant celles et ceux qui se seraient prononcés hier (ou plutôt avant-hier) pour l’interdiction du FN et resteraient au fond d’eux-mêmes des « gauchos-fascistes (…) descendants des chemises noires. ».

Riposte laïque reste cependant « dans les clous », utilisant le nationalisme « civique », en l’exacerbant, tout en flattant le nationalisme « ethnique » (mais se récriant dès que ce petit jeu est qualifié de dangereux et proclamant que le populisme patriotique est un rempart contre les dérives extrémistes, argument classique de Bruno Gollnisch).

La pente Madelin-Longuet

La « gentrification » du FN me semble beaucoup plus fortement évoquer la pente Madelin-Longuet-Devedjian et consorts, anciens d’Occident ou du GUD (ext.-d.), ralliés à Sarkozy, procédant parfois à l’inverse de ce qu’ils proclament (ainsi de Madelin, l’ultralibéral, champion national du recours aux subventions européennes à Redon et en Ille-et-Vilaine).

Soit, sous couvert de chasse au dahu (une France juste, dans une Europe juste… taillés pour eux), la chasse aux postes et fauteuils. L’UFMNPS, en quelque sorte.

Il est vrai que, quand dans le programme du FN, on peut tout trouver, et interpréter tout, et son contraire et à l’inverse, se rabattre sur la politique-spectacle qui ne nourrit que le spectacle de la politique, c’est tentant.

Autrefois, les élus du FN étaient surtout ceux pouvant s’acheter une entrée en lice. Notables, professions libérales, petits entrepreneurs crachant au bassinet. Là, on commence à trouver un peu de tout, dont des gens n’ayant pas les moyens de faire vraiment campagne, qui seront peut-être élu comme des « gaullistes » (d’étiquette) de juin 1968. Les barons de l’UDR (futur RPR) sont restés, les élus de base n’ont guère pu s’accrocher. Avec quelques exceptions « techniques » comme Norbert Ségard (élu, lui, en 1973), un scientifique auquel furent confiés des portefeuilles techniciens (P&T ou Recherche). Quant aux « républicains sociaux », genre Robert Boulin, ils n’ont guère survécu.

Il n’est certes pas indifférent de s’intéresser à l’histoire du FN, ni aux scories de ses pratiques antérieures. Mais voyons plutôt les investitures présentes et futures. Peut-être beaucoup plus « parlantes » que les discours, allocutions, et poursuites en justice ou gesticulations.