Comment peut-on imposer l’autorité de la France face à la Chine lorsqu’on est une femme musulmane de seulement 30 ans (maintenant 31 ans), sans mandat électif (maintenant avec un très petit mandat local après un échec électoral), sans avoir d’expérience politique marquante sinon celle d’admirer un futur Président de la République ?

La réponse est assez simple : en travaillant. Dur.
Comme tous ceux qui ont du talent et qui réussissent.

 

Rama Yade, Secrétaire d’État chargée des Affaires Étrangères et des Droits de l’Homme depuis le 19 juin 2007, est en effet, avant tout, une travailleuse.


Son apparence physique fort agréable, son look sans protocole, sa manière de se comporter pourraient apparaître comme des atouts. Mais ils peuvent aussi constituer un sérieux handicap quand on veut être prise au sérieux dans le monde particulièrement machiste de la politique française. Et au milieu des discours convenus si répandus au quai d’Orsay.


Un début de carrière professionnelle solide

Elle a fait Science Po Paris et après des expériences assez diversifiées qui touchent de près aux coulisses de la politique, elle devient administratrice du Sénat en 2006 par un concours aussi difficile que celui de l’ENA.

La même année, elle adhère à l’UMP pas du tout gaulliste mais complètement séduite par la personnalité de Nicolas Sarkozy qui la propulse immédiatement comme l’une des douze secrétaires nationales de l’UMP (avec Rachida Dati entre autres).

Elle s’est fait connaître du grand public le 14 janvier 2007 au moment de la consécration de la candidature de Nicolas Sarkozy au cours d’un discours mémorable où elle attaque avec sévérité les socialistes. Un discours aussi remarqué que celui de Barack Obama lors de l’investiture du candidat démocrate John Kerry en juillet 2004 à la Convention de Boston.

Après avoir participé activement à la campagne présidentielle, elle est récompensée en devenant l’une des plus jeunes membres d’un gouvernement français à 30 ans.

Pas seulement un faire-valoir

Cette nomination aurait pu n’être qu’un faire-valoir présidentiel : une femme, jeune, d’origine sénégalaise (son père était conseiller de Senghor)… c’est sans doute vrai, les castings gouvernementaux sont à plusieurs niveaux.

Mais elle aurait pu se faire vite laminer par la vie politique : des personnalités pourtant beaucoup plus aguerries qu’elle, comme Jean-Jacques Servan-Schreiber en 1974 ou Léon Schwartzenberg en 1988, n’ont pas résisté deux semaines au sein d’un gouvernement.

Il n’y a en fait pas de secret : Rama Yade est une femme de tempérament, audacieuse, sachant et osant dire ce qu’elle pense, tout en restant dans les limites de sa fonction, et une femme à dossier, qui les travaille à fond.

Embardées contrôlées… ou pas…

Certes, ses embardées contre la venue de Kadhafi à Paris ont pu être interprétées comme une sorte de double langage entre des nécessités de renouer avec la Libye (pour des raisons encore assez obscures mais visiblement convaincantes pour Nicolas Sarkozy) et l’impérieux devoir de défendre les droits de l’Homme partout dans le monde. Une dualité difficile à soutenir aussi pour la Russie et bien sûr pour la Chine.

Je ne sais pas beaucoup quelle est la part de l’improvisation et celle du calcul dans cette affaire de communication, mais ce n’est pas rare que deux ministres aux objectifs antagonistes s’envoient quelques scuds médiatiques. J’ai en mémoire par exemple l’antagonisme entre le Ministre de l’Intérieur Gaston Defferre et le Ministre de la Justice Robert Badinter au début du mitterrandisme triomphant.

Le débat télévisé sur le Tibet et les J.O. de Pékin

Mais revenons à la Chine, car c’est de cela qu’il s’agit : la position de la France est difficile actuellement, les intérêts économiques franco-chinois sont très élevés mais le bain de sang plus ou moins confirmé au Tibet a de quoi inquiéter tous les démocrates. Et le C.I.O. a fait preuve d’une très mauvaise intuition en confiant les J.O. à la Chine (puis, ces dernières semaines, d’une aphonie particulièrement assourdissante).

Dans la seconde partie de l’émission ‘À vous de Juger’ le soir du 27 mars 2008 sur France 2, Arlette Chabot avait décidé d’organiser un débat sur les ‘troubles’ au Tibet avec un certain nombre d’invités dont les principaux furent Rama Yade, seule représentante du gouvernement français (et de la majorité), Laurent Fabius, seul représentant de l’opposition, ancien Premier Ministre, Qu Xing, seul représentant du gouvernement chinois, ministre auprès de l’ambassade de Chine (i.e. premier conseiller de l’ambassade), deux journalistes bien connus des cercles médiatiques : Alain Duhamel et Laurent Joffrin, et d’autres personnalités, notamment des sportifs, qui ont très peu intervenu.

Passons en revue les différents intervenants.

Laurent Joffrin, un ego qui n’a rien apporté

Laurent Joffrin était ce soir-là assurément assez médiocre, sans doute en raison d’un ego surdimensionné (très courant dans sa profession). Coupant la parole du représentant chinois alors que celui-ci parlait pour la première fois (et son avis était évidemment essentiel dans un tel débat), Laurent Joffrin s’est même fait ‘chambrer’ par Rama Yade quand cette dernière énumérait les yeux dans les yeux le nombre de blogueurs chinois en prison alors qu’en France, il est sain que le gouvernement soit critiqué sur internet (elle citait alors le blog de Laurent Joffrin !).

À la fin de l’émission, la pauvre Arlette Chabot a aussi essayé de parler (pub. oblige) du dernier bouquin de Laurent Joffrin (sur Nicolas Sarkozy, devenu ‘roi nu’), ce qui n’avait rien à voir avec le débat sur la Chine, et Rama Yade a toutefois su très habilement revenir au sujet de fond.

Alain Duhamel toujours le même

Alain Duhamel n’a pas changé malgré l’âge et la très grande expérience. Toujours avec son ton fougueux mais courtois, revenant à la charge quand il n’a pas de réponse précise, aidant même d’autres intervenants, comme Laurent Fabius qui posait mal la question sur la retransmission en direct des J.O. à la télévision chinoise.

Laurent Fabius imbu de sa personne

Laurent Fabius était assez désolant pendant ce débat. Son expérience, sa personnalité assez audacieuse qui n’avait pas hésité à exprimer le trouble lors de la venue du général Jaruzelski à l’Élysée en 1985 alors qu’il était Premier Ministre, ses ambitions présidentielles pas encore totalement abandonnées auraient pu montrer un Fabius en grande forme, ferme mais courtois.

Je l’ai trouvé hélas égocentré et condescendant vis-à-vis du responsable chinois.

À deux reprises, Laurent Fabius a insisté sur le fait qu’il connaissait bien le Dalaï Lama sous prétexte qu’il l’avait rencontré en tant que Président de l’Assemblée Nationale, revenant à la charge en disant au Chinois que ce dernier ne l’avait sans doute pas connu alors que lui, si, que jamais le Dalaï Lama ne ferait telle ou telle chose.

Faire parler les absents, surtout quand on les connaît à peine, et qu’ils sont très compliqués à comprendre (je l’ai écouté à Grenoble il y a plus d’une dizaine d’années, ses paroles sont d’une densité difficilement compréhensible) est forcément contre-productif.

Pourtant, Laurent Fabius avait émis quelques idées intéressantes, mais peu audibles pour les raisons invoquées. Notamment sur le fait que les J.O. d’hiver en 2014 auront lieu à Sotchi, ville russe au bord de la Mer Noire, et qu’il serait bien, pour la France voire l’Europe, d’avoir le même type de réponse pour Pékin et Sotchi sur les droits de l’Homme (boycott ou pas etc.).

Qu Xing dans le rôle du méchant

La présence de Qu Xing sur le plateau de télévision donnait le seul intérêt de l’émission : au lieu de protester en l’air contre la répression au Tibet, il était possible de dialoguer avec les ‘oppresseurs’.

Sa mission était évidemment difficile, puisqu’il était en face de personnes au préjugé défavorable. Il parlait excellemment bien le français malgré son accent et a montré une très grande habileté.

Rama Yade, digne, courtoise et ferme

La présence de la représentante du gouvernement français faisait de ce débat télévisé une sorte de dialogue officiel entre la France et la Chine.

Rama Yade a montré dans cette discussion qu’elle connaissait très bien ses dossiers, a pu faire preuve de fermeté sur les droits de l’Homme, rappelant habilement au passage à Laurent Fabius que c’est une exigence qui est si importante pour Nicolas Sarkozy qu’il en a créé, le premier, un poste ministériel à part entière.

Rama Yade a allié une grande dose de spontanéité dans l’expression, qui pouvait séduire donc désarmer l’interlocuteur, et un aussi grande dose de professionnalisme qui a permis un démontage minutieux de la mauvaise foi chinoise.

Cela ne l’a pas empêché non plus, car c’est de bonne guerre, à encenser le plus souvent possible son ‘patron’ Sarkozy, sur, par exemple, sa décision de demander une concertation au sein de l’Union européenne (comportant 28 pays, certains dans le débat disant 27), ce qui ppirrait être une manière de ne pas décider du tout, mais aussi de renforcer le dialogue européen en y apportant des missions politiques supplémentaires.

Un débat intéressant

Tout le discours de Qu Xing a été de ‘dédramatiser’ les drames du Tibet. Parfois avec mauvaise foi.

Il a expliqué ainsi qu’il y avait au Tibet 4 millions de touristes dont 400 000 touristes occidentaux et s’est donc demandé comment il était possible qu’aucun d’entre eux n’aient pu rapporter des scènes de tueries avec leur téléphones ou caméras portables si ces tueries étaient vraiment réelles.

Rama Yade a donc rappelé que la plupart des ‘touristes’ étaient des Chinois qui colonisaient le Tibet et que les émeutes étaient avant tout des révoltes ethniques contre cette nouvelle forme d’invasion.

S’adressant à Qu Xing, Rama Yade a fait ensuite un laïus très convaincant sur la Chine, grande puissance économique, et pour être une grande puissance politique et compter dans la communauté internationale, il faut progresser sur les droits de l’Homme (Qu Xing a évoqué quelques progrès dans ce domaine, concédant que son pays partait de très bas !).

Elle a rappelé les engagements de la Chine sur les droits de l’Homme au moment du choix de Pékin en 2001 et que l’organisation de ces J.O. n’était pas qu’une consécration mais aussi un grand défi pour la Chine.

Qu Xing a voulu présenter l’enjeu comme un choix entre les J.O. à Pékin ou la conservation du Tibet par la Chine (qui n’est pas discutable). Mauvaise foi puisqu’il n’a jamais été question de revendication d’indépendance du Tibet.

Rama Yade a su doser le respect vis-à-vis des Chinois (la France n’a pas de leçon à donner à la Chine) et la fermeté d’une position française qui ne demande qu’à être clarifiée à ce jour.

Alain Duhamel s’est ‘amusé’ à demander en quoi 100 moines pouvaient mettre en péril une nation d’un milliard et demi de Chinois, et Qu Xing s’est ensuite enfermé dans des querelles sémantiques sans intérêt (« incident » versus « scandale » pour ce qu’il s’est passé à Athènes autour de la flamme olympique).

Même dialogue de sourds sur la venue du Dalaï Lama en France en août 2008, Qu Xing mettant en garde contre une perte de confiance en cas de rencontre avec Nicolas Sarkozy (et rappelant que la France a été le premier pays à reconnaître la Chine communiste) alors que Laurent Fabius affirmait avec pertinence que ce n’était pas en acceptant tout de l’interlocuteur qu’on pouvait négocier correctement dans les affaires commerciales (notion de rapports de force).

Pour finir, toujours le sourire un peu malicieux au lèvre, concernant l’éventuelle rencontre entre Nicolas Sarkozy et le Dalaï Lama, Rama Yade a une fois encore fait de la langue de bois et de l’audace personnelle dans la même phrase en déclarant : « [Nicolas Sarkozy] a dit qu’il prendrait sa décision le moment venu, moi, je n’en serais pas mécontente [qu’il rencontre le Dalaï Lama]. ».

Une enfant soldat de la République percutante

Au sein du gouvernement de François Fillon, il y a certainement eu des erreurs de casting, qui durent en raison d’une absence de remaniement ministériel de grande ampleur.

Mais la nomination, il y a plus de neuf mois, de Rama Yade au sein du gouvernement n’est assurément pas une erreur.

Une nouvelle image, troublante parfois car très personnelle, d’une vie politique qui ne peut que s’améliorer avec des personnalités si différentes aux parcours divers et aux origines variées.

Good job, Rama !

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (31 mars 2008)

Pour aller plus loin :

Discours de Rama Yade au Congrès de l’UMP du 14 janvier 2007.

Émission ‘À vous de Juger’ du 27 mars 2008 (prendre la seconde partie).