La vente, quasi-miraculeuse pour Dassault, des Rafale à l’Inde, a suscité des polémiques en France, notamment en raison des transferts de technologies et de la délocalisation chez le client de l’essentiel de la production à venir. Mais, une fois n’est pas coutume, des (rétro)-commissions n’ont pas été évoquées. Au Royaume-Uni, dont les Typhoon ont été retoqués, passés la stupeur et les tremblements d’indignation, quelques doutes se font jour sur la qualité des appareils britanniques. Les négociations auraient été précédées par l’octroi généreux d’aides gouvernementales diverses à l’Inde.

Si l’Inde s’est fournie en Rafale et non en Typhoon, c’est parce que ces pauvres indiens ont l’habitude de ne se fournir que chez Asda (chaîne de magasins du genre « tout à un euro ») avait osé David Cameron.

Le Typhoon surpasse de loin le Rafale, au moins aux yeux du gouvernement britannique (et des partenaires européens, all., esp., ital., du constructeur BAE Systems).
De plus, les Indiens sont passés pour des ingrats : ils ont reçu 1,2 milliards de livres en aides diverses, contre seulement 18 millions de la part de la France.

L’Inde donne plus qu’elle ne reçoit ?

C’est justement le montant de ces aides et les conditions de leur versement qui posent à présent problème Outre-manche. D’une part, pour une partie de l’opinion, c’est beaucoup trop, surtout après ce qui est ressenti comme un camouflet. Mais le secrétaire d’État Andrew Mitchell et d’autres officiels ont rétorqué que l’Inde était un pays dont le tiers de la population subsiste avec moins d’un euro par jour et l’aide est distribuée directement aux plus pauvres. Cependant, le montant global des aides étrangères devrait être stabilisé ou revu à la baisse.

On peut d’ailleurs se demander si l’Inde ne consent à présent plus d’aide officielle à d’autres pays (en Afrique, où elle veut s’implanter) qu’elle n’en reçoit de pays occidentaux. Le calcul serait difficile à établir mais vaudrait d’être entrepris.

Ou mieux réparti ? Car d’autre part, le Sunday Mail révèle ce dimanche que Pranab Mukherjee, ministre des Finances indien, et d’autres ministres, auraient décliné l’aide britannique annuelle de 280 millions de livres l’an dernier. Ce serait le gouvernement britannique qui aurait quasiment supplié pour que l’Inde y consente.

Le gouvernement britannique tente d’influer sur l’Inde pour que le contrat soit revu en faveur du Typhoon. Dans ces conditions, cela semble mal parti.

Selon le Sunday Mail, c’est pour des raisons d’image que le gouvernement indien aurait décliné la généreuse offre britannique.
Elle ferait passer l’Inde pour un pays plus pauvre qu’il n’est en réalité.
Ce n’est pas tout à fait faux, en termes de revenus et budgets globaux, beaucoup moins selon les revenus moyens ou au bas de l’échelle. Toujours est-il que l’aide britannique reste d’un montant estimé négligeable par les Indiens.

Évidemment, il y a plusieurs façons de considérer ce type d’aide. Dassault, en termes de développement à moyen ou long terme, permet à la Défense indienne de faire tourner des usines sur place et l’industrie de l’armement pour favoriser un développement bien plus « durable » que le saupoudrage d’aides allant aux plus pauvres.
Mais d’autres types de considération entrent en jeu.

Selon The Guardian, plus mesuré sur le comparatif entre le Rafale et le Typhoon, David Cameron aurait surtout frappé à la mauvaise porte. Il aurait caressé le Premier ministre indien dans le sens du poil mais ce ne serait qu’un « technocrate avec peu de pouvoirs réels ». Sonia Gandhi devait rencontrer David Cameron, mais elle a dû s’abstenir pour des raisons de santé. Mais Rahul, son fils, arrière petit-fils de Jawaharlal Nehru, serait plus proche du travailliste David Milliband que des conservateurs. Lesquels auraient trop négligé la famille Gandhi lorsqu’elle était encore dans l’opposition.

L’aide humanitaire britannique sera désormais plus concentrée sur les trois États les plus pauvres de l’Inde, a-t-il été envisagé. 

Choix d’avenir

En fait, le ministère de la Défense indien a pu préférer aussi le Rafale pour des raisons techniques. Contrairement à l’Eurofighter (le Typhoon), il serait plus apte à être équipé d’un radar et d’autres systèmes de repérages lui permettant d’affronter le futur Chendu J-20 chinois, qui deviendrait opérationnel en 2017. Cet appareil, dit de cinquième génération (le Rafale restant en-deçà durablement, mais quelque peu perfectible), est parfois estimé supérieur au russe PAK-FA T-50 ou à l’américain F-35 dont les imperfections remettent en cause sa production de masse.

Selon le Sunday Telegraph, l’aide humanitaire ou les relations avec la famille Gandhi ne sont pas décisives. Ce serait, c’est l’un des leitmotivs du Telegraph, les réductions à venir du budget de la Défense britannique qui auraient fait douter les Indiens. Le système d’armes du Rafale semblerait supérieur aux Indiens qui doutent aussi que le consortium européen (R.-U., Italie, Espagne, Allemagne) soit aussi enclin à augmenter des dépenses militaires que la France. Crise de l’euro ?

Autre détail, les Eurofighter de démonstration ont été des appareils allemands aux équipages allemands tandis que les équipages français pouvaient vanter les bonnes performances du Rafale au-dessus de la Libye de manière plus crédibles que des pilotes allemands n’ayant jamais combattu.

Journalistiquement, le Sunday Mail a certes touché une corde sensible en évoquant une forme de, sinon corruption, mais de trafic d’influence indirect, mais l’argument est peu convaincant. Toutefois, selon la presse britannique, rien ne serait encore définitivement joué.

Cohésion européenne

Mais d’autres considérations entrent aussi en jeu, au bénéfice du Rafale, selon Challenges.
Thalès mettra aussi à niveau, avec Dassault, les Mirage 2000 indiens.

Le consortium européen Eurofighter va désormais « évaluer la situation avec les compagnies européennes partenaires et leurs gouvernements respectifs ».

Avec l’Espagne et l’Italie aussi, donc. Il n’est pas sûr que leurs gouvernements respectifs soient trop enclins à donner de fortes assurances.

Les budgets de défense européens sont globalement en baisse en 2011 et devraient stagner en 2012. L’Italie a revu le sien à la baisse jusqu’en 2014. L’Espagne a aussi décidé des coupes mais maintient son dispositif au Maroc (à Ceuta – ou Sebta – et Melilla). Par ailleurs ces deux pays risquent de favoriser leurs marines respectives, notamment pour surveiller les afflux de réfugiés. Négocier avec un partenaire unique à l’avenir peut avoir influé sur la décision indienne.

Le Rafale fournit certes un thème de polémique supplémentaire dans le cadre de la campagne des présidentielles françaises, mais au moins, pour une fois, s’agissant de contrats d’armement, les arguments ne devraient pas porter sur d’éventuels dessous de table…

En fait, Dassault avait le couteau sous la gorge. C’est ce que reflète le Canard enchaîné daté du 8 février qui accroche à « l’oreille » de sa page une le titre provocateur : « Les 126 Rafale indiens vendus à prix crashé ».