Pour tenter de limiter la casse de l’UMP aux prochaines législatives, cette formation a instauré le vote des Français de l’étranger pour des députés censés les représenter, y compris pour décider de mesures qui ne les concernent pas. C’est fort dispendieux. Cela soulève aussi des questions de principe que développe, sur Slate (.fr), le Catalan d’adoption Aurélien Le Genissel.

Deux millions de Français vivent, et pour certains, naissent, à l’étranger. Il leur suffit d’avoir un arrière-arrière grand-parent ayant résidé dans une commune française ou une autre pour décider de l’élection d’un maire et de la majorité d’une municipalité. Si, sur une photo de la dite commune, ils voient un panneau publicitaire qui leur déplait, ou trop de pigeons, c’est en tant qu’électeur qu’ils peuvent manifester leur vif mécontentement.

Voilà aussi que l’UMP les dote de 11 députés. Avec des budgets beaucoup plus lourds que ceux des autres députés (ceux des DOM inclus)…

Alors qu’il conviendrait plutôt de ramener le nombre des parlementaires à un niveau plus conforme à une réelle représentativité et un coût supportable, l’UMP choisit d’offrir à on ne sait combien de candidates et candidats des moyens de faire campagne, et à 11 personnes de mener grand train, voire de voyager gratis.

Évidemment, à mesure politicienne pourrait correspondre une riposte politicienne, et bien, c’est fait ci-dessus. Tout autre est la démarche d’Aurélien Le Genissel.

Abstention réfléchie

Aurélien Le Genissel, sans doute parent du père Le Genissel, un Franco-Algérien-Libanais, aumônier du groupe de chasse L’Alsace, vit depuis 30 ans à Barcelone et ne participe pas aux élections en France, ce qui lui semble légitime par il ne participe pas « aux devoirs » qui l’autorisent à ce droit (de voter ou de s’abstenir).

Dans sa tribune, « Pour la suspension du droit de vote aux Français de l’étranger », il développe une riche argumentation dont je ne paraphraserais pas tous les éléments ici.

Ce qui me semble le plus important, c’est notamment le distinguo qu’il opère entre des résidents extra-communautaires et d’autres, de véritables concitoyens de communes françaises où ils vivent à l’occasion et possèdent ou non des biens immobiliers, et nombre d’autres cas spécifiques.

Sa nationalité lui semble faire partie intégrante de son identité mais il ne voit pas pourquoi il déléguerait à quiconque le droit de décider si tous les automobilistes circulant en France (y compris lui-même mais aussi des Russes ou des Marocains en transit) doivent ou non être munis d’un éthylomètre. Je prends cet exemple parce qu’il ne l’évoque pas, voyez les autres sur Slate.

Le vote des étrangers

Bizarrement (hmm…), les mêmes qui ont créé 11 sièges en refusent aux étrangers vivant de très longue date en France. Pire, ils ont créé des conditions d’accession à la nationalité qui, si elles devaient être appliquées à eux-mêmes, devrait conduire à leur déchéance (et à celle de très nombreux d’entre nos concitoyens – voire à la mienne pour qui, faute de deux réponses proposées, et non d’une seule, ne saurait dire quand l’esclavage fut aboli en France). Aux conditions couchées sur le papier s’ajoutent les non-dits dont j’ai pu soupeser l’extrême lourdeur. J’ai quelque expérience en la matière, ayant un ex-gendre né à l’étranger sous une autre nationalité et devenu haut fonctionnaire français, et des amis de divers pays ex-soviétiques dont les dossiers se perdent, se baladent, doivent sans cesse être refaits. À conditions d’intégration et d’éducation très poussée égales, c’est franchement la loterie, avec beaucoup de numéros perdants.

Lisez comment Le Genissel développe l’argument de réciprocité. Pour lui, le vote devrait être davantage conditionné par la citoyenneté que par la nationalité. J’avoue que la question n’est pas si simple : Breton de Paris, la question de la mise en sens unique ou du rétablissement de la circulation dans les deux sens d’une voie parisienne me concerne, mais tout autant celles de la culture, de l’élevage intensifs et de la pollution dans mon pays. Certaines réciproques inverses seraient tout aussi pertinentes pour le cas de personnes résidant autant en province qu’à Paris, pour n’évoquer que celles-ci. Mais il faut bien trancher, soit écarter des droits « naturels » au profit de formels.
Soit accorder des droits formels de décider de questions qui ne « vous affectent jamais » et en dénier d’autres sur certaines qui peuvent vous toucher de près. Toute décision sur cette question comporte des effets pervers, autant veiller à les limiter au mieux, soit au moins pire.

Fort hiatus

La soi-disante « patrie des Droits de l’Homme » viole allègrement des principes essentiels. En fonction de visées politiciennes. En soi, créer des représentants de Français résidant à l’étranger pourrait avoir un maigre effet ; car je ne vois pas trop en quoi un député résidant au Mexique ou à Cuba aurait assez de poids pour appuyer les démarches d’un consul ou d’un ambassadeur au Pérou ou en Argentine. Pourquoi seulement 11 députés et non pas des centaines ? Autant que de consuls, par exemple ? Et pourquoi donc ne pas faire élire les consuls ? Ah, parce que le consul, Français et non étranger « ami de la France », pourrait s’opposer à l’ambassadeur ?

J’ajouterai que, si je résidais en Écosse et étais favorable à l’indépendance de ce pays, je me sentirais mal représenté par une ou un député élu surtout par le Square Mile de la City, plus sensible aux arguments de l’unioniste David Cameron.

Les cas, multiples, que soulève notre Franco-Catalan, ne peuvent sans doute pas être tous résolus par les mesures qu’il suggère. Un ami tri-national a pu élire Obama, s’opposer à Berlusconi et s’abstenir au Danemark, mais il ne peut s’opposer à ce qu’on lui parachute une Rachida Dati.

Mais sa conclusion laisse réfléchir : « On peut être Français et voter pour les députés italiens si l’on vit dans ce pays et que c’est là que l’on va subir ou profiter des politiques européennes (…) pourquoi ne pas étendre ce procédé aux élections législatives et présidentielles ? ».

J’ajoute que cela serait beaucoup moins coûteux que de créer 11 circonscriptions qui, tous les cinq ans, vont générer énormément de frais de campagne, et bien d’autres, en permanence. Une logique voudrait que nos compatriotes expatriés assument – pour ceux qui, seuls, voudraient élire – l’intégralité des dépenses induites.

La nécessité me poussera peut-être à devenir un Breton d’un pays où le coût de la vie sera de loin inférieur au français. Je ne vois pas pourquoi je devrais supporter les frais de réception d’une députée « locale » offrant des Ferrero Rocher à « mon » ambassadeur. Ni surtout, d’ailleurs, ceux qu’impliqueront un député sortant venu faire campagne dans mon coin et reçu somptueusement à l’ambassade (tandis qu’on devrait se cotiser pour financer l’impétrant déplaisant à l’Élysée ou à Matignon). Je sais, c’est mesquin. Ce n’était pas dans ma nature, mais nécessité fait loi.

Découpage surprenant

Dans la 6e circonscription, on a inclus le Liechtenstein (réuni avec la seule Suisse), dans la 11e le résident en Transnistrie est assimilé au moldave et au…vietnamien et australien. Dans la 8e, Israël se retrouve en compagnie du Saint-Siège et de Saint-Marin (il n’a pas été osé de regrouper Suisse, Lichtenstein et Saint-Marin, avec Man et les Îles Britanniques, et Monaco, qui se retrouve rattaché à la péninsule ibérique et Andorre). Tandis que le Liban, voisin d’Israël, se retrouve dans le même lot que Madagascar et le Zimbabwe.  

Un très richement doté secrétaire d’État a été dévolu à tout le monde. Pourquoi pas un autre encore, voué aux seuls évadés fiscaux ? Cela aurait eu le mérite de la clarté. S’il l’avait pu, Sarkozy aurait créé une Principauté du Cap Nègre représentée par une ou un député.

En cas de laminage du centre bayrouiste et du Front national aux législatives, avec report sur l’UMP qui n’éclaterait pas, la majorité sortante sera-t-elle reconduite grâce à une majorité de parlementaires représentant les Français de l’étranger ? Quel genre de cohabitation cela présagerait-il si le favori des sondages évinçait son prédécesseur ?

Sarkozy, qui a sans doute envisagé une réélection ric-rac et une majorité présidentielle fragile, a certes été bien inspiré de créer ces 11 sièges en vue de ce cas de figure.

Bah, Florent Pagny pourra louer un jet privé pour gagner, depuis la Patagonie, le consulat de Buenos-Aires et voter, c’est l’essentiel ! Le créateur de l’album Tout et son contraire admettait ressentir parfois l’envie de se flanquer des beignes. Il en est d’autres qui se perdent, et que la création de ces circonscriptions justifie.

Le charcutage électoral précédent avait détaché Saint-Barthélémy et Saint-Martin de la Guadeloupe, histoire d’offrir à coup sûr un siège à la droite.

Gaspillage et restrictions

Si j’ai bien compris, le nombre des députés sera porté de 577 à 588, alors que Bayrou envisage de le réduire à 400, ce qui serait encore proportionnellement davantage qu’aux États-Unis mais inférieur en absolu à l’Algérie (462 sièges, une pléthore pour 35 millions d’habitants). 300 suffiraient largement, surtout si les députés européens étaient forcés de travailler activement (comme ne le font ni Rachida Dati, ni Marine Le Pen… et tant d’autres, de tous bords).

Un point que n’aborde pas Le Genissel est d’ailleurs celui-ci : la politique européenne commune affecte beaucoup plus nos concitoyens à l’étranger que la française. Nous avons d’ailleurs, avec 160 ambassades, le second réseau diplomatique mondial, avec nombre de représentations superflues, et dans certains pays, nos concitoyens doivent se tourner vers des ambassadeurs de l’Union européenne (ou même vers un diplomate suisse). Le nombre des ambassadeurs ad hoc (délégués à ceci ou cela) gonfle aussi notre corps diplomatique. Dans le même temps, nos instituts et centres culturels, devenus Instituts Victor Hugo, crient misère, le budget de nos lycées a été grevé par l’instauration d’une gratuité pour tous (indépendamment du revenu), il n’y en toujours aucun au Pakistan…

Mesures pesantes

C’est une politique du donner beaucoup à peu pour priver le plus grand nombre (car, par exemple, beaucoup de jeunes Français de l’étranger n’ont de recours qu’au Cned, l’enseignement à distance, du fait de l’éloignement des grandes villes : seuls subsistent 74 établissements réellement français de par le monde).

Cette politique particulière est tout à fait cohérente avec celle, globale, menée depuis cinq ans, mais elle l’illustre encore davantage que nombre d’autres aussi sectorielles.  

Beaucoup de pipeau (genre Guéant qui feint de craindre que la nourriture halal soit rendue obligatoire, que la mixité soit bannie des piscines, et pourquoi pas des bus, des restaurants…), des chiffres bidons (13 % des condamnations du fait d’étrangers… qui se font flasher par les radars ?), et des « vertus de la dépense » bien charitables et s’appliquant à soi-même, telle est la politique que Sarkozy veut poursuivre. En défendant mordicus les 30 000 personnes au maximum qui ne seront pas imposées à 75 % dès le premier euro mais seulement sur leurs second, troisième, quatrième et suivants millions de revenus.

Dans le même temps, Nadine Morano ne s’offusque pas que de 2 800 à 49 200 euros soient alloués, en frais de déplacements, pour que des candidats représentant des Français de l’étranger puissent faire campagne. Y compris s’ils sont doublement millionnaires et échappent à l’impôt en France. Voilà qui fera plaisir à Claudine Schmid-Desprez (Suisse, Liechstenstein, ancienne de la BNP) et à Christine Lagarde (Am. Nord).

Claudine Schmid-Desprez attribue à Nicolas Sarkozy plus de 900 réformes en moins de cinq ans : deux par jour, dimanches inclus ! Quand on aime, on ne compte plus !

Elle est pratiquement certaine d’être élue. Je m’aime aussi, et je me demande combien elle va me coûter. Moins, de loin, sans doute que le candidat PS résidant au Vietnam, s’il emportait le siège. C’est une piètre consolation.

Marc Villard, le candidat PS, m’est fort sympathique. Ne serait-ce que pour se commentaire sur les Oscars (et The Artist) : « Nous ne sommes jamais aussi bons que quand nous fermons notre gueule ! ». Bien vu. Je me demande d’ailleurs combien de ses électeurs potentiels la fermeront ou voteront blanc. Il risque de devenir l’un des députés les plus mal élus et les plus coûteux de l’Assemblée nationale. J’espère qu’il deviendra ministre et que son suppléant réside à Chisinau ou Lviv et viendra à Paris sur des vols low-cost.  Quant au reste, je laisse chacun libre de débattre des grands principes, je préfère m’attacher au réel.