Certes, cela « la fout » un peu mal. Voici qu’après avoir divulgué, dans le cadre de l’affaire Cahuzac, un enregistrement d’une conversation avec un mystérieux interlocuteur, fait à l’insu des intéressés, Mediapart publie le verbatim (et les bandes sonores) d’un autre enregistrement de conversation téléphonique, cette fois entre Bernard Tapie et un inconnu. À la demande de la justice, Mediapart a transmis cet élément. Qui semble mettre en cause Claude Guéant, lequel n’aurait pas seulement influé pour faire obtenir à Bernard Tapie une mirifique indemnité, mais serait intervenu pour arranger le dossier fiscal de l’homme d’affaires devenu, grâce à ces bonnes manières, patron de presse visant à présent Le Midi libre et un groupe de presse s’étendant de Nice et de la Corse à l’Atlantique.

Sur Europe nº 1, et RTL, le 1er mars, Claude Guéant était catégorique. L’Élysée ne serait pas intervenu dans la procédure Tapie qui a valu non seulement des indemnisations à l’homme d’affaires mais aussi de copieux bénéfices, ce en dépit des recommandations faites officiellement à Thierry Breton, mais allégrement violées par Christine Lagarde.

Or, à l’époque, l’Élysée, c’était bien Guéant. Lequel, en dépit de recommandations d’Éric Woerth, aurait favorisé un arrangement fiscal afin que Bernard Tapie engrange des millions d’euros sur les deux tableaux.

Mediapart, et Laurent Mauduit (et d’autres, magistrats, investigateurs, journalistes, &c.) ne se fondent pas que sur un mystérieux enregistrement de conversation téléphonique, transmis au site par un inconnu dont l’anonymat est préservé. De même, dans l’affaire Cahuzac, le fameux enregistrement est un élément mais Mediapart en détiendrait d’autres (dont le témoignage d’un ancien cadre bancaire de l’UBS). N’empêche, le même scénario est observé.

Car, comme dans le cas Cahuzac, une personne, qui se confiera par la suite à Mediapart, « avait eu dans le courant du mois de mai 2009 un échange téléphonique avec Bernard Tapie, échange qu’elle a enregistré. Et puis, pensant que l’échange était fini, cette personne s’est apprêtée à raccrocher mais a eu la surprise d’entendre que Bernard Tapie commençait sur-le-champ une seconde conversation téléphonique avec un autre interlocuteur. La personne a donc laissé tourner son enregistreur quelques minutes. ».

L’enregistrement évoque Éric Woerth et son directeur de cabinet, Jean-Luc Tavernier, qui n’auraient pas consenti à se montrer indulgents quant aux dettes fiscales de Bernard Tapie. Du coup, Bernard Tapie se rend fréquemment à l’Élysée, rencontre Claude Guéant, et se lâche au sujet de Bercy :
« s’ils n’ont pas les couilles (…) c’est pas la peine de se faire chier (…) il a les chocottes. Il ne veut rien faire. Je vais vous dire : un grand dangereux, il a peur qu’une chose (sic), c’est des dangers plus grands. Bon, comme il a pas compris, on va lui faire comprendre. Vous allez voir, ça va pas être très long. ». En clair : Woerth ou Tavernier auraient craint de se montrer très conciliants, mais la pression leur serait mise de plus haut.

Cette fois l’authenticité de l’enregistrement et l’attribution de la voix à Bernard Tapie ne devraient pas être trop difficiles à établir.

Bernard Tapie aurait-il obtenu des assurances élyséennes que Bercy serait amené à prendre le risque de faire un geste de plus, quitte à se le voir par la suite publiquement reproché, voire, comme dans le cas de Christine Lagarde, de se retrouver mis en cause devant la Cour de justice de la République ?

Pour indemniser fortement Bernard Tapie, il était avancé que les sommes allouées retourneraient dans les caisses publiques « par le paiement des impôts et des cotisations sociales » dues à l’État. C’est simple : vous êtes endetté par devant le fisc, celui-ci vous aide à trouver l’argent auprès des contribuables parce que vous n’êtes pas solvable, et l’opération devient « blanche ». Voici une jurisprudence intéressante : ne payez pas vos impôts, devenez insolvable, les autres régleront la note pour vous.

Christine Lagarde affirmait devant les parlementaires que Bernard Tapie et son épouse n’allaient faire qu’un tout petit bénéfice après imposition : 30 millions d’euros. Comptez à présent près du triple. Entre 240 et 304 millions (la différence « s’explique » par le flou comptable de l’ensemble du dossier).

Résumé par Laurent Mauduit : « Si les juges d’instruction s’appliquent à vérifier si l’arbitrage a ou non été un habillage pour masquer un gigantesque détournement de fonds publics, ils sont tout aussi intéressés à comprendre si les protections dont Bernard Tapie a profité n’ont pas joué, au-delà de l’arbitrage, jusque dans les tractations fiscales qui l’ont prolongé. ».
En clair, le beurre, l’argent du beurre, et la crémière contribuable troussée.

Nicolas Sarkozy avait eu six rendez-vous avec Bernard Tapie pendant sa campagne présidentielle de 2007. Par la suite, il délègue (notamment à C. Guéant) mais rencontre encore l’homme d’affaires (qui courtisait aussi Borloo) une douzaine de fois au cours de son mandat, de la mi-2007 à la fin novembre 2010.

Comme le consigne un commentateur sur Mediapart : « Qu’est ce donc que Tapie avait ou savait que Sarkozy a voulu acheter à ce prix ? ». C’est, au fond, l’essentiel. Claude Guéant, qui a reçu Bernard Tapie pour on ne sait quelle raison, aurait pu le renvoyer vers Bercy et lui opposer une fin de non-recevoir. Ce dont il pourra assurément arguer. 

Bernard Tapie avait reçu, intérêts inclus, 403 millions d’euros. Reste à savoir combien il en a effectivement reversé au fisc, quel était le montant initial demandé, quel est celui qui a été vraiment réglé (ou resterait à acquitter).

Mais, outre Mediapart, laissons faire le reste de la presse (à moins que la justice, un jour…) pour finir par le découvrir… si cela pouvait être possible à quiconque, y compris Jérôme Cahuzac.