… mais quand je me compare, je me rassure !
C’est ce que dit la sagesse populaire en un saisissant raccourci, caricatural mais tellement véridique.
Par exemple, quand je me compare aux responsables des magasins à grande surface, je me rassure en me disant que, contrairement à eux, je n’aurais pas eu l’idée d’installer des vendeurs dans des rayons où ils sont profondément incompétents. Et encore moins de le faire volontairement, afin qu’ils ne perdent pas de temps à renseigner des clients : la « compétitivité »
exige de ne leur conseiller que les seuls articles sur lesquels leurs commissions (de vendeurs) sont les plus élevés. Du coup (sans doute parce que je suis d’un autre temps), j’aurais manqué mes objectifs (et donc, à très court terme, la partie variable de mon salaire puis, à brève échéance, mon emploi lui-même), puisque le chiffre d’affaires (seul juge en la matière) n’aurait pas progressé de la manière fixée en haut lieu.
Quand je me compare à Rachida Dati, contrainte d’avoir recours à des tests ADN pour établir la paternité de sa fille, je me rassure que ma grand-mère m’ait depuis longtemps appris que lorsque l’on glisse la main dans une fourmilière, il est quasiment impossible de jamais savoir laquelle de ces bestioles vous a piqué !
Quand je me compare à la fille de Rachida Dati, je me rassure en y voyant la preuve que ma propre mère aurait pu être pire qu’elle ne l’a été…
Quand je me compare, parfois (très rarement) à Valérie Trierweiler, je me rassure de savoir que je n’ai jamais su utiliser Tweeter et de ne pas avoir la moindre envie d’apprendre. Au moins, si cela ne m’empêche pas (comme tout un chacun) de penser et même de ressentir de singulières couillonnades, au moins cela me dispense d’en prendre la Terre entière à témoin, elle qui n’en a
strictement rien à faire !
Quand l’idée saugrenue me vient de me comparer à mère Térésa ou à sœur Emmanuelle (pas celle qui vient de nous quitter, abandonnant pour un temps son fauteuil de rotin ; non, pas celle-là, l’autre : celle des chiffonniers du Caire) je me rassure à l’idée que, pour leur plus grande félicité, ni l’une ni l’autre n’a jamais la moindre envie de me ressembler, moi et mon cortège de contradictions.
Quand je me compare à François Fillon, je me rassure encore bien plus que si j’éprouvais la tentation, ô combien prétentieuse, de me comparer à Jean-François Copé…
Quand je me compare à Boris Cyrulnik, je me rassure : que serait-ce si au lieu de mes misérables tracas, j’avais dû comme lui affronter à mains désespérément nues l’insondable ignominie ; j’en retire cependant une légère frustration : pourquoi n’ai-je pas, comme lui, le don de cette résilience qu’il a inventée, qui l’a sauvé et qui le place si loin au-dessus nos têtes ?
Quand je me compare à Michel Serres, en revanche, je ne me rassure pas tout à fait. Cela me conduit à lui faire une sorte de prière païenne pour lui demander d’intercéder en ma faveur afin qu’à son image, non seulement je devienne un inépuisable puits de science, mais que je sois capable d’expliquer les choses les plus complexes par des mots simples, tout simples, tellement simples que tout un chacun pourrait non seulement les comprendre une fois, mais se les approprier, pour toujours.
Quand je me compare à Eliott, mon Petit Prince de petit-fils, je me rassure d’avoir quelque part su préserver au tréfonds de mes soixante-cinq longues années, quelque chose de la fraîcheur de ses neurones de quatre ans, même si c’est au prix d’illusions persistantes d’adolescent attardé et d’une naïveté propice à toutes les frustrations (tout comme un paratonnerre attire irrémédiablement, inexorablement la foudre).
Je serais capable, si je me laissais aller à encore davantage de facilité, de me comparer aussi à des millions de personnes et à des milliards de choses.
Mais au final, je me borne modestement à me comparer à tous ceux qui, dans le passé, ont écrit dans ces colonnes (et dans tant d’autres…) de si nombreux billets d’humeur : bien plus qu’à être lus, ils n’étaient en réalité destinés qu’à être écrits. Cela me rassure grandement : voilà une fort salutaire (et tellement abordable) technique pour expulser sans trop de dommages collatéraux un explosif trop-plein de cette myriade d’indignations élémentaires que l’actualité nous impose désormais à chaque minute de chaque journée.
Come 4 News serait-il à la santé psychique ce que la soupape de sécurité est à la cocotte-minute ? « Je vous invite à réfléchir » (c’est une introduction que Michel Serres utilise mille fois à chacun de ses discours) à cette simplissime vérité : l’écran est par définition ce derrière quoi on se dissimule et ce sur quoi on se projette. Celui de l’ordinateur ne fait pas exception à cette règle paradoxale ; mais la contradiction est le signe même de la vie.
Elle est, je vous l’assure, tout à fait inépuisable.
Alors, quand vous serez fatigués de vous examiner, n’hésitez pas, s’il vous plaît, à vous comparer. Si cela vous chante, comparez-vous même à moi : je parviendrai bien, alors, à vous rassurer. Ce sera ma douce consolation !…
Joli texte, JP, j’aime beaucoup!
Raffraichissant…
et si juste