Alors qu’il est question de faire voter une loi pénalisant les « clients-prostitueurs » (et clientes-prostitueuses) des prostitué·e·s, et de les piéger en créant des auxiliaires tant virtuel·le·s que réel·le·s chargé·e·s de les traquer, il convient d’évoquer le souvenir du plus célèbre prostitueur français de la fin du siècle dernier. Quiconque eut plus de 12-13 ans en mai 1974 et n’en connaissait pas déjà la signification apprit le sens du vocable « épectase » grâce à l’archevêque de Taormina, le cardinal-académicien Jean Daniélou, SJ, ancien aumônier de l’École normale supérieure de jeunes filles, décédé à l’âge de 69 ans auprès de « Mimi » Santoni.

Jean Daniélou, théologien en vue, fréquentait l’immeuble de la rue Dulong où résidaient Mimi Santoni, 24 ans, habituellement son ami, Gilbert, qui se trouvait en détention pour proxénétisme, d’autres effeuilleuses, lesquelles exerçaient parfois aussi en d’autres lieux.

Comme, par exemple, la rue du Ponceau, qui marque, en parallèle de la rue de Réaumur, au-dessus du bas de la rue Saint-Denis et de ses sex-shops, le début du territoire des studios où se relaient les respectueuses traditionnelles. C’est en cette rue discrète que décéda Mgr Roger Tort, 57 ans, évêque de Montauban, en juillet 1975… Ce fait-divers fit beaucoup moins de remous que celui de l’année précédente car autant Mgr Tort était effacé, autant Mgr Daniélou, jésuite et théoricien de renom, académicien français, était une personnalité de premier plan.

Dans un premier temps, le cardinal Gabriel-Marie Garrone salua la mémoire de son collègue Daniélou d’une forte rédemptrice remarque : « Dieu accorde son pardon.  Notre existence ne peut manquer d’inclure un élément de faiblesse et d’ombre ». Le quotidien catholique romain La Croix fut plus lapidaire : en chaque chrétien demeure un pécheur.

Mais, alors que le cardinal Marty, archevêque de Paris, refusa toute enquête approfondie, la compagnie de Jésus obtint qu’une version officielle soit adoptée par le Vatican. Jean Daniélou était venu apporter son obole à Mimi pour couvrir les frais de défense de son Gilbert. Une charité bien ordonnée qui ne commençait pas par bénéficier au donateur, retrouvé non pas revêtu à la hâte, mais ses vêtements (non sacerdotaux) déchirés par une Mimi s’improvisant secouriste. Pour mieux porter secours, elle se débarrassa sans doute de son peignoir, puisque pompiers et policiers la découvrirent en combinaison transparente. Conclusion officielle du père jésuite Xavier Tilliette dans Le Figaro : Jean Daniélou était décédé «  dans l’épectase de l’apôtre (…) à la rencontre du Dieu Vivant ».

Depuis, pour les moins de quarante ans, mourir en épectase évoque le décès du président Félix Faure, amant d’une demi-mondaine, Marguerite « Meg » Steinheil, qui recueillit son dernier souffle au palais de l’Élysée, lors d’un « cinq à sept » succédant au conseil des ministres du 16 février 1899.

Quarante ans à l’index pour le prostitueur

Il a fallu quarante ans pour « réhabiliter » Jean Daniélou, lors d’un colloque « Fenêtres ouvertes sur le mystère », organisé au Vatican en mai 2012 par l’Université pontificale de la Sainte-Croix. Lequel cardinal considérait que « la société occidentale souffre (…) de l’absence d’une discipline de la liberté ».

Cette discipline, en 2014, selon la volonté du gouvernement socialiste, appuyé par le groupe communiste, lui vaudrait de voir son portrait publié dans la presse orné de la légende : « prostitueur ».

Qui donc, sinon lui-même, avait poussé Mimi Santoni dans les bras d’un Gilbert condamné pour proxénétisme ? Car fournir de l’argent à une Mimi, sous forme de rétribution pour des services sexuels ou d’aumône, c’est, selon la proposition de loi pénalisant les clients des prostitué·e·s, générer des souteneurs, des réseaux, alimenter des mafias, sciemment.

Il conviendra donc de traquer prostitueuses et prostitueurs comme des pédophiles ayant détourné un Dutroux du droit chemin pour en faire leur fournisseur.

Soit faire passer des policières ou policiers, ou des auxiliaires de police, pour des appâts. Ou transformer les lieux d’exercice des prostitué·e·s, « désavouées » (ayant renoncé volontairement ou non à la prostitution) ou non, en souricières.

Imaginez un étudiant qui en pincerait pour une étudiante se livrant occasionnellement à la prostitution. Elle est repérée par la police ou la gendarmerie auxquelles il est demandé de « faire du chiffre ». Lasse de sa clientèle, ou quelque peu séduite, l’étudiante invite son condisciple à son domicile. C’est là que, à l’affût, les forces de l’ordre chargées de faire respecter la loi, trouvent l’étudiant auprès de la jeune femme déjà à moitié dévêtue.

Protestations de l’une, de l’un, mais l’étudiant n’a plus le choix. Soit il reconnait être un client, soit, puisqu’il n’est pas client, il ne peut être que souteneur, voire membre d’un réseau prostitutionnel.

L’abbé Dulaurens, dans ses écrits, donnait les noms des ecclésiastiques fréquentant assidument bordels, maisons de tolérance, courtisanes notoires. Aux États-Unis, dans les comtés prohibitionnistes, on fait mieux : patronymes, adresses, détails se rapportant aux prostitueuses et prostitueurs sont soit fournis gracieusement à la presse, soit de l’espace publicitaire est acheté pour publier l’identité des piégé·e·s.

Dans les cas de Mgrs Daniélou et Tort, la police des mœurs française n’aurait pu que remonter à la conférence épiscopale, faute de pouvoir perquisitionner au Vatican et faire tomber la tête du réseau. Mais il sera tout à fait loisible de missionner Interpol pour faire tomber toutes les filiales internationales des divers pays acceptant d’extrader les prostitueuses et prostitueurs complices des couvents et des presbytères. Charge ensuite à chacune et chacun d’établir qu’elle ou il ignorait tout des activités prostitutionnelles des deux prélats.

Cela ne vaudra pas que pour des églises, mais tout autant pour d’autres obédiences, maçonniques par exemple, et pourquoi pas l’amicale des boulistes et sa fédération de tutelle ?

Exploitation garantissant les dérives

La proposition de loi de pénalisation des client·e·s ne dit rien des décrets d’application, des directives préfectorales, des lettres de cadrage, de tout ce qui permettra de faire en sorte que force reste à la loi. Laquelle, selon la couleur du gouvernement en place ou du locataire de l’Élysée, s’appliquera avec plus de sévérité ou de mansuétude selon des critères qu’on image mal égaux pour toutes et tous, que l’on soit puissant ou misérable, d’un bord politique ou d’un autre…

Mais nos naïves et naïfs parlementaires socialistes et communistes ne semblent rien voir venir au-delà des prochaines élections présidentielles ou législatives et sénatoriales. La France avait la droite la plus bête au monde, elle cumule à présent une gauche frappée de stupidité et de cécité.
Jean Daniélou redoutait une interprétation séculière du concile Vatican II. Il y a tout à redouter d’une interprétation religieuse de la proposition de loi visant à la pénalisation des clientes et clients prostitueuses et prostitueurs. C’est pourtant bien ce que l’on constate, avec, en germe, tous les dangers de dérives liberticides inhérents à la prohibition de fait de la prostitution.

À Saint-Joss-ten-Noode, localité proche de Bruxelles, l’ancien couvent du Gesù embarrasse la municipalité. Le bourgmestre, lundi dernier, a fait expulser des squatters étrangers, hommes, femmes et enfants. Cerise sur le gâteau, un fonctionnaire municipal a déclaré avoir été racolé par une mineure (Rrom ?) de 14 ans et il s’en est ouvert au parquet de Bruxelles. La presse belge a largement répercuté.

La prostitution sert parfois à tout ; sa répression, et celle de qui a recours à la prostitution, aura sans doute aussi de multiples utilisations dérivées. Par exemple, les associations qui portent assistance aux réfugié·e·s, demandeuses et demandeurs d’asile politique, pourraient se voir poursuivre : ne facilitent-elles pas la prostitution, ne s’agit-il pas d’un soutien au système prostitutionnel, leurs membres ne sont-ils pas des prostitueurs ?
Qu’en pensent donc Jean-Luc Mélenchon et le Parti de gauche (pour le Front de gauche, on sait que sa composante communiste se range derrière les thèses anti-Planning familial du temps de Maurice Thorez) : leur faut-il une explication de texte ? 

Inscription au casier judiciaire ?

Le HCEFH (Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes) veut aller plus loin que le gouvernement socialiste et radical de gauche : faire du recours à la prostitution un délit. Donc, cela signifierait l’inscription au casier judiciaire. Donc, plus un seul fonctionnaire (va-t-on les radier, les fonctionnaires prostitueurs ?) recruté s’il a commis un tel délit. On pourra réussir un concours de la fonction publique, mais devoir céder sa place parce qu’on sera une prostitueuse ou un prostitueur avéré… D’autres professions seront concernées.
En sus, on prélèvera l’ADN, et cela fuitera vers les entreprises de recrutement, les chasseurs de tête, &c. L’interdit professionnel guette…

Pour prolonger, on consultera l’opinion des « prostitueuses » et « prostitueurs » de Médecins du Monde et du Planning familial (que condamnent à présent L’Humanité et le Parti communiste, comme auparavant) : lire sur Mediapart « Pénaliser les clients de la prostitution : un ticket pour la clandestinité&nbps;». Mais aussi pour le chômage de très, très longue durée.