On aimerait que Riposte laïque et d’autres officines du Front national prônent en France ce que les conservateurs britanniques ont réalisé au Royaume-Uni : largement diffuser la Bible dans les écoles primaires et secondaires. Cela serait, considère Richard Dawkins, libre-penseur et athée bon teint, dans The Observer (édition dominicale du Guardian) fort salutaire et permettrait de mieux former les esprits au raisonnement rationnel, en exposant la Bible pour ce qu’elle est : non pas un guide de préceptes moraux mais une œuvre collective xénophobe à mille lieues de ce que les tripatouillages de diverses églises en ont fait.
Petite remarque préliminaire non superflue… En leur for intérieur, les candidats de l’UMP sont stupéfiés par le fait que leur électorat majoritaire est largement plus à droite qu’eux-mêmes ou que ce que déclare Marine Le Pen. Ils auraient donc décidé de coller aux thèmes de campagne les plus droitiers développés par Nicolas Sarkozy.
Au Royaume-Uni, près d’un tiers de l’électorat conservateur des dernières élections de 2010 souhaitent voter pour l’UKIP, le parti indépendant, dont les thèses sont très proches de celles du Front national, qui se défend d’entretenir le sentiment xénophobe tout en le flattant de manière détournée.
On comprend donc mieux cet étroit attachement de la droite aux prétendues « racines chrétiennes » de l’Europe occidentale : la Bible leur fournit largement de quoi conforter leurs opinions.
Mais venons aux faits. Pour célébrer le 400e anniversaire de la King James’ Bible (la première traduction vers l’anglais de l’époque du célèbre texte, ou en tout cas de l’un de ses avatars), des exemplaires sont envoyés dans les écoles publiques (d’État) pour un coût avoisinant les 375 000 livres. Avec, doré sur tranche, la provenance : le secrétaire d’État à l’Éducation.
C’est fort salutaire, a estimé dans l’Observer l’auteur de The God Delusion, Richard Dawkins, l’un des plus en vue des penseurs athées anglophones. D’une part parce que la langue anglaise (et sa littérature) est truffée d’expression bibliques comme « le sel de la terre », « je m’en lave les mains » et tant d’autres à ne pas mettre sous le boisseau.
D’autre part, et c’est plus crucial, l’étude biblique intégrale permet de former les esprits, éventuellement de comprendre pourquoi il fallait lapider les gens n’observant pas le sabbat (à présent dominical) et brûler tant Jeanne d’Arc que maints évêques ayant eu le malheur de soutenir à contretemps soit que Jésus était tant fils d’un dieu que dieu lui-même, soit le contraire, au fil des luttes de pouvoir pour assurer l’hégémonie d’une clique.
Incitation au meurtre
La ratonnade, l’extermination de tout étranger ou dissident, est parfaitement conforme aux textes bibliques, et il serait temps que l’électorat chrétien de droite s’assume à visage découvert. Tant qu’à faire en réalisant un autodafé de toute représentation divine, premier point. Certes, quelques chefs d’œuvres artistiques disparaîtraient, mais l’autorité « divine » en serait confortée.
Les enfants endoctrinés comprendraient enfin que le fameux commandement « tu ne tueras point » ne vaut qu’à l’égard des gens de son village ou de sa race et de sa foi, et que tous les autres peuvent être impunément passés par les armes, torturés, réduits en esclavage. Le Pentateuque ne recommande-t-il pas d’être impitoyable à l’encontre des hivites, jebusites, midianites et autres ?
En fait, tout mâle, quel que soit son âge, toute femelle, hormis les vierges de l’adversaire doit être exterminé (Livre des Nombres, 31:18, rappelle Dawkins). Il serait grand temps que les enfants des écoles l’intègrent pour comprendre l’histoire de l’humanité et l’apport « civilisateur » des religions.
Jésus, mort pour la rédemption du péché originel et de ceux à suivre, si tant était qu’il soit le dieu unique lui-même, et aurait donc prémédité son trépas, a-t-il ou non réussi son projet ? Si c’est le cas, plus besoin de la moindre moralité hormis celle-ci : que le plus fort l’emporte donc (aujourd’hui, en particulier, le plus économiquement compétitif), sa rédemption est assurée. En outre, la littérature sadomasochiste devrait être plus largement diffusée dans les écoles : l’exemple ne vient-il pas de très haut ? Ajoutons-y, pour faire bonne mesure, quelques recommandations scatologiques et coprophiliques (Ézéchiel, 4:12 ; Rois, 18:27), et une apologie du cannibalisme (Rois, 6:28).
Il faudrait enfin que la droite assume qu’elle voudrait mettre ce livre entre toutes les mains, y compris celle de sa progéniture pour la dresser idéologiquement. Comme le relève Dawkins, ce texte n’est absolument pas « moral » au sens où on l’entend à présent, et les exemples surabondent.
Mark Twain professait la même opinion : « le meilleur remède au christianisme, c’est de lire la Bible. ». Le même disait qu’il ne comprenait pas tout le texte mais que ce qu’il pouvait en comprendre l’inquiétait très fortement, voire l’épouvantait.
Tout dépend bien sûr si l’on se retrouve du bon côté du manche. Mark Twain n’était pas trop sûr de rester indéfiniment du bon côté.
Selon la Bible, l’usure est l’un des péchés suprêmes. Chacun peut constater comment la droite attachée aux valeurs chrétiennes édulcore l’interprétation des textes et la manière dont la question du pouvoir et de la suprématie prime sur toute autre considération.
Bien sûr, on objectera ce qui précède en se référant au sermon sur la montagne, à d’autres passages. C’est fort juste. De quoi former les esprits à l’appréhension des contradictions. De plus, la lecture intégrale de la Bible a d’autres avantages : cela prend environ 80 heures pour s’y livrer à haute voix (d’un vendredi soir à un lundi matin en se relayant, des fidèles s’y étaient attelé). La faire lire avant l’entrée au collège ne serait pas une mauvaise initiative.
Étudier la Bible serait aussi une bonne introduction à une réflexion sur l’historiographie depuis qu’il semble établi que la conquête de Canaan et l’impérialisme de David et de Salomon sur tout le peuple juif frisent la totale imposture. De même est-il à présent contesté qu’Abraham aurait réellement existé. Il est aussi observé que la libération de Barabbas est l’unique instance de ce type ; aucun autre prisonnier libéré n’apparaîtrait dans nul autre texte de l’époque de Ponce Pilate.
En fait, on peut par ailleurs discuter sans fin des qualités littéraires de la Bible et l’un des commentateurs de la tribune libre de Dawkins s’est demandé si ce dernier n’était pas tout simplement nostalgique de l’éducation chrétienne reçue dans son enfance. La voir s’évanouir lui est sans doute comme une « épine dans la chair ».
Devenir de la Bible
J’ignore quel jeu vidéo sera, dans je ne sais combien de temps, la référence par excellence que certains adultes voudront voir figurer dans les médiathèques des écoles. Je ne saurais dire si le Livre de Mormon supplantera la Bible ou non.
En matière d’addiction, il est dit que ce n’est pas la drogue qui fait le drogué mais le drogué qui fait (trouve) sa drogue. Ainsi en est-il sans doute des textes considérés sacrés et qui ne le sont que parce que les adeptes du sacré veulent en trouver. Pas de bible sans prêtres ni fidèles.
Lors de l’un des conciles œcuméniques de Nicée, il fut proposé de réécrire complètement le Nouveau Testament. On se trouva assez d’hérétiques à fouetter et excommunier pour s’en dispenser… Du coup, selon les églises (cinq de tradition copte, autant de syriaques, une arménienne, sans compter les orthodoxes), les textes diffèrent sensiblement (notamment sur la fuite en Égypte).
Quoi qu’il en soit, et quoi qu’on puisse en penser (et les opinions sur le sujet sont multiples, les motivations diverses peut-être encore davantage), on relèvera qu’il s’est trouvé, en Europe, un ministre de l’Éducation, Michael Gove, pour proposer qu’une édition spéciale d’une bible particulière soit expédiée, aux frais de donateurs de son parti, le parti Tory, à toutes les écoles publiques d’un pays. Alors que le texte intégral en est librement consultable en ligne.
Contrer l’opposition plus droitière
En fait, la similitude de la démarche avec les propos de Nicolas Sarkozy sur les prêtres et les instituteurs est assez flagrante.
C’est aussi un peu comme si Vincent Peillon demandait aux donateurs socialistes de financer l’envoi du Capital de Marx dans les écoles, histoire de faire la nique à l’électorat de Jean-Luc Mélenchon, ou de lui donner des gages.
En tout cas, n’enchérissez pas via eBay : une édition diffusée à 24 000 exemplaires n’a que très peu de chances de prendre rapidement de la valeur. Pas davantage qu’un Petit Livre rouge, même en édition chinoise originale.
Mais la Bible du roi James mérite certainement la lecture…
James Ier considérait qu’un roi malfaisant était « envoyé par Dieu pour punir ses sujets de leurs péchés » et qu’il convenait donc de prier, de se repentir, en attendant la mort naturelle du souverain.
Toute référence à la tyrannie, au despotisme, a été expurgée de la traduction. D’ailleurs, comme il lui semblait intolérable que des nounous égyptiennes soustraient des nourrissons à la fureur du pharaon, le Livre de l’Exode fut remanié en conséquence.
De nombreux passages ont été arrangés pour leur donner une dimension épique, solennelle, voire carrément pompeuse. Et la dédicace en rajoute dans les compliments à l’égard du souverain, roi de Great Britaine, France et Irlande, défenseur de la foi, &c.
Les traducteurs ont dû se surpasser. De surcroît, la peine de mort encourue par quiconque aurait osé traduire la Bible précédemment venait d’être levée spécialement pour eux par édit royal, en 1607. Mais en cas de résultat non conforme, il était tout aussi facile de la rétablir.
L’essentiel était donc d’expurger la bible la plus répandue à l’époque, celle de Genève, d’une glose laissant penser que les sujets pouvaient désobéir aux souverains.
James Ier fut certainement précédé par d’autres monarques se livrant à de telles manipulations, en accord ou non avec le clergé de leur époque. D’autres, tels Khadafi avec son Livre vert ont préféré innover, tout comme Léonid Brejnev dont les écrits étaient inscrits au cursus scolaire en Union soviétique, lectures obligées autant que ceux de Mao en Chine.
Mais je ne peux que saluer l’initiative de Mr. Gove. Au moins, des écoliers verront-ils peut-être un jour un livre récemment publié qui soit correctement imprimé, et élégamment relié. Cela devient une rareté dans la plupart des bibliothèques scolaires. C’est donc au moins cela de gagné pour eux, s’ils prennent la peine d’aller en bibliothèque : se familiariser avec une assez belle édition.
[b]Il en est d’autres qui diffusent le coran …[/b]
Des écoliers pratiquant l’exégèse de textes bibliques !!!!!!????Au siècle passé oui maintenant ça me semble difficile…
Le plus important étant d’apprendre la programmation…..pour ne pas devenir un simple d’esprit…
Bah, Liberti(n)us, la programmation, il y a des développeurs à l’étranger pour cela.
Pouvant hériter d’un copieux capital et de positions sociales avantageuses, les enfants nourris (voire gavés) de latin et de grec ne s’en tiraient pas mal auparavant et je vous fiche mon billet qu’il en serait de même aujourd’hui.
Effectivement, Zelectron, il en est d’autres qui diffusent massivement le coran, et d’autres encore, d’autres livres dits sacrés.
Les chrétiens de gauche savaient aussi choisir « leur » évangile. Tout (litote) n’était pas à jeter dans les écrits du Sillon, chez les théologiens de la libération et les textes des bahais sont plutôt sympa.
Signalons au passage que la confédération britannique des cultes musulmans a approuvé la mesure du ministre de l’Éducation.
[b]Et si le code était le nouveau latin ?[/b] C’est en tout cas la formule employée par un éditorialiste du site de la BBC dans un article commentant une campagne du gouvernement britannique visant à promouvoir l’apprentissage de la programmation informatique dans les écoles.
Prenant conscience de l’impact des nouvelles technologies, du web et des réseaux sociaux dans la vie des citoyens, les politiques et leaders économiques appartenant à des générations au-delà de cinquante ans (et parfois plus jeunes) réalisent aussi que s’ils ne suivent pas, ils risquent de perdre une partie importante de leur pouvoir, puisque celui-ci réside aujourd’hui dans l’information et la capacité à y accéder… via les ordinateurs.
D’aucuns décident de prendre le taureau par les cornes en allant directement à la source : apprendre à coder, ou au moins à percer les mystères de la programmation informatique afin de mieux comprendre le monde qui les entoure. Michael Bloomberg, maire de New York, déjà très impliqué dans la promotion de l’économie numérique dans sa ville, est de ceux-ci. Dans un message posté il y a quelques jours sur Twitter, il indique que « sa résolution pour 2012 sera d’apprendre à coder ».
[b]Jean 3.16-20
16 Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique,
afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait
la vie éternelle.
17 Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour
qu’il juge le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
[/b]
Hébreux 1
1 Dieu ayant autrefois*, à plusieurs reprises et en plusieurs
manières, 2 parlé aux pères (hébreux)par les prophètes, à la fin de ces
jours-là, nous a parlé dans le Fils, qu’il a établi héritier de
toutes choses, par lequel aussi il a fait les mondes, 3 qui,
étant le resplendissement de sa gloire et l’empreinte de sa
substance, et soutenant toutes choses par la parole de sa puissance,
ayant fait par lui-même la purification des péchés, s’est assis
à la droite de la majesté dans les hauts lieux
Hébreux 10.1-6
1 Car la loi, ayant l’ombre des biens à venir, non l’image
même des choses, ne peut jamais, par les mêmes sacrifices
que l’on offre continuellement chaque année, rendre parfaits
ceux qui s’approchent.
Le pentecôtisme au pays de Voltaire :
[url]http://sources.pentecotisme.free.fr/index.php?page=le-pentecotisme-au-pays-de-voltaire-george-r-stotts[/url]
avec les histoires et récits de la bible on peut comprendre tout ou n’importe quoi…il est très difficile de remettre ses textes dans leur « contexte »!
Tout à fait Mozarine, on peut le dire aussi comme cela, et je pouvais compter sur Veritas pour contrebalancer : selon la manière dont on l’aborde, la [i]Bible[/i] est le meilleur ou le pire des guides spirituels.
Il faut distinguer le fond (la foi d’une part, de l’autre la manière dont des fidèles vont lire – ou ne pas lire d’ailleurs, le plus souvent –, un livre dit sacré ; mais aussi ce qu’on en a fait à travers les siècles) et le fait-divers : un ministre de l’Éducation sollicite des donateurs, mais pas n’importe lesquels, uniquement ceux de son parti, pour, à mon sens, manifester devant la concurrence l’idée qu’elle n’a pas le monopole du patriotisme.
C’est matière à polémique, je polémique donc. Il y a des valeurs chrétiennes, et même coraniques ou israélites que je trouve très bien, d’autres beaucoup moins, d’une part, et des préceptes qui, à mon sens, sont fort critiquables ou doivent rester à l’usage interne de communautés. Mais, dans le débat politique, on peut fort bien se référer à ces valeurs sans leur conférer portée de loi divine.
On veut être de droite absolutiste, fort bien : qu’on ne pare pas la volonté de pouvoir de la qualité d’incarnation d’un destin ou d’une visée divine.
On est pour un meilleur partage des biens, fort bien : nul besoin d’en faire l’accomplissement d’une volonté surnaturelle.
En sus, chaque pays, chaque nation a suffisamment de symboles culturels autres que religieux à mettre en valeur. Même ceux-là sont d’ailleurs discutables, ainsi de la pratique sportive qu’on peut considérer fort différemment (pour caricaturer, la droite met en valeur l’esprit de compétition, la gauche l’accomplissement personnel). Il y a aussi plusieurs lectures de Kipling ou de Shaw ; ou de… Jules Ferry.
En revanche, oui, on ne peut comprendre l’évolution des idées politiques en Europe sans référence au fait religieux. Sur la question de cette bible, on peut d’ailleurs estimer qu’elle a raté son coup, n’unifiant que peu le royaume et n’empêchant nullement l’évolution vers une monarchie parlementaire.