Voici un petit moment que j’étais aguiché par des courriels m’annonçant le lancement prochain de Presse Info se targuant d’être « la plus grande rédaction du monde ». En fait, le site en désormais en ligne et il s’agit de « L’Agence centrale de presse ». Ah bon ? Et qu’est-ce donc au juste ?


Imaginez mon étonnement lorsque je reçois, ce jeudi 3 septembre 2009, à 16:48 heure de Paris, un courriel intitulé « La Plus Grande Rédaction du Monde se dévoile… ». J’allais indiquer sic car, franchement, ce déluge de capitales… Bref, c’est bien du battage de tambour à réclame et je me demande tout à coup si c’est bien sérieux.

 

En effet, quand je clique sur Visual, sur la page intitulée « les agences du groupe », je me connecte au site d’un opticien. En revanche, le logo DPPI Press me génère bien, sur clic, un onglet pour l’agence photographique de presse DPPI et si le logotype Sunset n’est pas cliquable, une agence de presse télévisuelle homonyme existe bien à Paris. S’agit-il de celle fondée par Arnaud Hamelin en 1989 ? Je ne tarderai pas à le savoir…

 

Toujours est-il qu’il s’agit d’agences du groupe Imacom, qui serait, via la Compagnie financière de Constance, et Christian Ciganer-Albeniz, principal actionnaire déclaré, formé de cinq agences de presse : DPPI, Visual, Sunset, Alamo et… l’Agence centrale de presse.

 

Judikael Hirel sera le redchef de cette nouvelle Agence centrale de presse. Une page du site lui est consacrée et très franchement, je me demande si c’est bien la bonne personne pour coordonner le travail des « plumes du monde entier » et raconter le monde « au plus grand nombre dans la tradition du journalisme ». Si la tradition du journalisme, c’était celui de Lazareff, soit le cirage de pompes du pouvoir gaulliste, les potins pipeule, les faits divers bien sanglants, et les publirédactionnels déguisés, finalement, ce garçon a tout à fait le profil. Pour le reste, on verra bien. Il ne faut préjuger de rien. De plus, Blaise Cendrars et Jef Kessel collaboraient au France-Soir de Pierrot les bretelles et tout, du quotidien d’alors, n’était pas à jeter avec les pluches de patates. Cela vaut aussi pour le France Soir d’à présent qui n’est pas mal fait. De plus, on dit que la fonction modèle l’homme. Au moins, par rapport à un certain avocat qui n’a jamais fait grand-chose de ses mains et que la fonction de président de la République a plutôt déformé que formé, Judikael Hirel a une expérience certaine de la presse magazine rentable.

 

Pour la petite histoire, j’aurais bien aimé consulter Laurence Ceuzin à propos de Christian Ciganer-Albeniz. Hélas, elle est décédée. C’était une fine connaisseuse d’un certain monde et demi-monde de la presse, et de l’entourage de Jacques Martin. Peut-être m’aurait-elle confirmé que l’attachement à la presse de Christian Ciganer-Albeniz provient d’un romantisme familial. André Ciganer s’était, dit-on, établi fourreur avec l’appui d’un lointain cousin, Joseph Kessel. Le monde est petit, peut-être avait-il croisé Miti Craciun, alors dans la Résistance et devenu par la suite, s’il faut en croire certaines mythologies familiales, agent double, voire triple. Et toujours pour l’anecdote, je me souviens encore très bien d’avoir eu le triste privilège de diffuser la toute dernière dépêche de l’Agence centrale de presse, puis de l’isoler du reste du monde. C’était rue du Sentier, les locaux de l’ACP jouxtaient ceux de Reuters. Autant dire que cette nouvelle aventure de presse ne me laisse pas indifférent. Mais je reste circonspect. Pas la peine de romancer ce nouveau « joyau » de la presse française, voire mondiale, en lui créant une légende. Si le pari semble réussi, d’« intrépides thuriféraires », comme les désignait Théophile Gautier, prendront d’eux-mêmes le relai de l’agence de com’ chargée de lancer la marque ACP, et en nimberont de légende la genèse. Ce qui est sûr, c’est qu’une agence de presse, si ce n’est une gageure, n’est pas une entreprise anodine. Chine nouvelle (Xinhua) diffuse en de nombreuses langues, Itar-Tass est redevenue une source très consultée.

 

Il est certain que, si des journalistes économiques tels Philippe Riès rejoignent cette agence, ses contenus ne devraient pas trop plaire à Nicolas Sarközy et son réel entourage. On le sait, il collabore à Mediapart, titre en ligne peu enclin à soutenir les initiatives du locataire de La Lanterne. Je ne crois guère, en France, à une entreprise capitalistique de presse qui ne soit pas plus ou moins positionnée en fonction de l’actuel pouvoir et du prochain pouvoir. Hormis, bien sûr, la presse de fantaisie, celle destinée à occuper le temps de cerveau disponible en le délassant : bref, celle qui vide la tête avec des trucs voués à être très vite oubliés.

 

En tout cas, en conférence de presse, à Perpignan, lors du festival Visa pour l’Image, Christian Ciganer-Albaniz aurait lancé : « On va m’accuser d’être le sous-marin de Sarkö pour la déstabiliser, c’est évidemment faux ». C’est de l’AFP qu’il serait question. Là, l’histoire se répéterait. L’ACP avait été fondé pour « contrer » les « gauchistes » et « tiers-mondistes » de l’AFP, soit ces jeunes journalistes, souvent anciens résistants, qui avaient cru aux promesses du gaullisme. Ces impudents étaient un peu trop remuants. Et cosmopolites. On s’appuya donc sur la presse de province, souvent aux mains de notables devenus résistants de la dernière heure, pour refaire valoir les valeurs du terroir. Je tendrais plutôt à croire que, si l’ACP devait véhiculer des contributions à destination de la presse d’opinion, ce serait plutôt en sous-marin de celles et ceux ayant décidé de trouver un remplaçant idoine à Sarközy, un peu trop usé déjà, que se positionnerait Christian Ciganer. En fait, il y a fort à parier que l’agence permettra surtout de réduire les effectifs salariés de diverses rédactions. Comme de toute façon, c’est inéluctable, que ce soit lui ou un autre qui offre une plate-forme, peu importe.

 

Sur les intentions avouées de la nouvelle ACP, on se reportera au dossier de presse concocté avec Aliette Maillard, de l’agence de com’ Image & Stratégie. Il se trouve dans « l’espace presse » du site. Tout cela fleure bon l’humanisme bon teint, genre tenue blanche maçonnique, et les idées convenues sur le rôle social de la presse convenable.

 

En matière de presse, le non dit est souvent beaucoup plus primordial que le dit. Pour le moment, tenons-nous aux faits.

 

Les contenus, censés provenir à terme de 1 500 collaboratrices et fournisseurs, devraient être visibles et consultables par des gens ou sociétés éditrices susceptibles de payer un droit d’accès de 5 000 euros HT annuellement. Cela leur donne le droit d’acheter des contenus à des tarifs qui seront peut-être discutés de gré à gré, tout comme la rétribution des piges. En effet, c’est en fonction de la notoriété du fournisseur de contenu et de la nature (commercialisable facilement ou non, j’imagine), que les piges se négocieront. Tout comme pour une agence photographique, la ou le pigiste sera intéressé·e aux ventes. Le tarif de base, tout à fait convenable par les temps qui courent, serait de 90 euros de feuillet (soit un minimum de 180 euros par contribution, sachant que le format de base est le deux feuillets, soit 3 000 signes, espaces incluses).

 

Ce n’est pas la première fois que des poules de pigistes (sous forme de groupements d’intérêt économique ou de coopérative ou d’associations diverses), mettant en commun des ressources, proposent des contenus plus ou moins personnalisés. Là, évidemment, l’innovation est qu’un financier soutienne le projet et qu’un redchef puisse mettre un terme à une collaboration. La plupart des groupements de pigistes se sont vite rendus compte que, pour survivre, il fallait fournir ce que les patrons de presse attendaient et non pas un « nouveau » journalisme plus ambitieux.

 

Là, il semble qu’on veuille s’entourer en priorité de vieux briscards parfaitement au courant des attentes des patrons de presse. Peut-être que, disposant de grasses retraites, ils seront prêts à faire l’avance des frais que nécessitent de véritables enquêtes de terrain, de vrais reportages ambitieux. Il est vrai que, question déplacements, ils bénéficient de la carte Vermeil (euh, Senior à présent) pour circuler en train. Peut-être même que, disposant d’un copieux carnet d’adresses, ils pourront encore se faire inviter ici ou là à des événements du genre lancement de produits. Mais faut-il pour autant en attendre quelque chose de si « bouleversifiant » ?

 

À mon humble avis, il ne faut pas attendre de « révolution » ou de réelle « innovation », comme son promoteur s’en targue, de cette ACP nouvelle formule. Si, déjà, elle peut contribuer à fournir des contenus convenables à divers supports, on ne s’en plaindra pas. Pour le reste, attendons de voir…