On sait à quel point le Président s'appuie sur les sondages pour naviguer, parfois à vue, et parer son action des atours de la légitimité : "les Français veulent que je poursuive les réformes", etc. Or s'il est un domaine dans lequel sa faillite – ô combien prévisible – est patente, c'est bien le pouvoir d'achat.

Souvenons-nous de la campagne électorale : la seule réponse à cette question dans le programme du candidat Sarkozy résidait dans la tarte à la crème du "travailler plus pour gagner plus". Sa traduction concrète se trouve dans la loi dite "en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat" (Tepa), défendue par l'ultralibérale Christine Lagarde, ministre de l'Economie sarkoziste. Arrêtons-nous sur la dénomination-même de cette loi, si caractéristique de la pratique d'un pouvoir qui a érigé le mensonge en système.

En faveur du travail ? Mais elle favorise les héritiers, désormais exonérés des droits de succession, qui auront la possibilité de… ne pas travailler, mais de faire bosser les autres : la France du travail de Sarkozy est en réalité celle des rentiers, les cadeaux consentis aux privilégiés leur garantissant d'être bien certains de le demeurer de façon héréditaire. En faveur de l'emploi ? Mais la défiscalisation des heures supplémentaires incite à faire travailler davantage les salariés en poste plutôt qu'à embaucher ! En faveur du pouvoir d'achat ? Exact pour celui des plus riches, désormais protégés par le bouclier fiscal à 50%. Mais les autres ?

Lagarde, suivant la voix de son maître, sort sa solution miracle comme un prestidigitateur un lapin de son chapeau : "Selon la formule désormais célèbre, travailler plus permettra à chacun de gagner plus" prétendait-elle le 10 juillet dernier au micro de l'Assemblée nationale. Evidente imposture, puisqu'elle fait mine d'ignorer que ces heures supplémentaires ne concernent pas tout le monde : quid des chômeurs, des professions libérales et des salariés auxquels leur patron ne permettra pas d'en faire ?

Parce qu'il faut rappeler que c'est bien le patronat qui en décide, étant de fait le vrai bénéficiaire de cette disposition qui lui permet de généraliser la technique qu'Agnès Maillard appelle, sur le blog Equilibre précaire, Le salarié au sifflet : proposer des contrats à temps très partiel, puisant dans les heures supplémentaires exonérées de charges quand le besoin s'en fera sentir. "Avec un CDI à temps très partiel, le salarié a absolument besoin de travailler plus, explique Agnès. Pour travailler plus comme le dit si bien le petit Nicolas, c’est en fonction des besoins de l’entreprise, pas de ceux du salarié. Lequel est appelé quand il y a du travail, des périodes d’affluence, des absences. Donc il y va. Et heures_sup_tractplus il y va, plus il ferme sa gueule et plus il accepte tout et n’importe quoi, plus il aura d’heures de travail complémentaires, jusqu’à arriver à une trentaine d’heures. Donc pas assez pour le sortir de la pauvreté et de la précarité. Juste de quoi surnager encore un peu."

Sa démonstration prend appui sur l'exemple d'un salarié de Décathlon à qui est proposé un CDI de 15 h par semaine, qui lui garantit exactement 537 euros bruts par mois, soit à peine plus que le RMI mais avec des frais supplémentaires ("vêtements décents pour aller bosser, transports pour le trajet travail-domicile, garde des nains, restauration extérieure", énumère le billet d'Equilibre précaire). Pour le plus grand bénéfice de l'entreprise, à qui est fourni un formidable outil pour gérer sa main d'oeuvre en flux tendu, comme on le fait d'un stock de marchandises.

Le remède miracle de Sarkozy pour améliorer le pouvoir d'achat n'est donc qu'une fumisterie, ce dont l'opinion commence – enfin ! – à se rendre compte. Michel Husson, économiste, administrateur de l’INSEE, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales et membre de la Fondation Copernic, donne quelques exemples des difficultés d'application du "travailler plus pour gagner plus", dans un article publié par la revue Regards et reproduit sur Le grand soir : "il n’y pas grand-chose à espérer des heures supplémentaires. La lettre Gestion sociale du 2 novembre 2007 montre au contraire que c’est un «nouveau sujet de tension». Ainsi, 30 % des 23 000 salariés de Carrefour voudraient bénéficier du nouveau régime mais ils viennent de découvrir que ce n’est possible que si le patron en fait la demande. Leur PDG n’en a pas l’intention, d’autant plus qu’une convention d’entreprise lui permet de faire faire «jusqu’à six heures de plus par semaine, à tarif inchangé». Aux Aéroports de Paris, autre cas de figure : les salariés pourront passer de 35 heures à 37h 1/2 par semaine sans gagner plus, parce qu’ils sont annualisés et que le patron «a fait ajuster pauses et congés payés». Il faudrait de toute manière qu’ils travaillent plus de 1607 heures par an pour pouvoir bénéficier de la loi Tepa. Quant aux cadres au forfait, il leur faut effectuer plus de 218 heures supplémentaires par an pour «gagner plus». L’opacité de la loi et les libertés d’interprétation qu’elles donnent au patron ont rendu nécessaires deux tables rondes au Crédit Lyonnais. Enfin, chez Cora, les élus du personnel veulent remettre à plat l’aménagement du temps de travail. Cette loi sur les heures supplémentaires condense toutes les arnaques dont est capable ce gouvernement et elle risque de faire voler en éclat le discours publicitaire de Sarkozy. Il faudrait pour cela deux choses : que les salariés qui font des heures supplémentaires s’aperçoivent qu’ils se font rouler dans la farine et que les salariés, pris dans leur ensemble, constatent que la loi sert de prétexte à un gel général des salaires. Sarkozy est déjà plus regards_couv__dec07coincé qu’il n’y paraît. La hausse du blé, du lait ou du pétrole ne sont pas de son fait, mais il ne peut faire valoir cet argument parce que c'est lui qui augmente la franchise médicale, baisse les retraites et qui aura besoin d’augmenter les impôts, sous une forme ou une autre, pour payer les cadeaux qu’il a faits aux riches. C’est aussi lui qui refuse, cela va de soi, toute augmentation des cotisations patronales ou de l’impôt sur les revenus financiers et les super-profits pétroliers. Sa stratégie d’offensive tous terrains risque de se briser assez vite sur les résistances qui s’élargissent tous les jours. Admettons même qu’il sorte sans trop de dégâts de son bras de fer sur les régimes spéciaux. Le mécontentement social qui s’approfondit autour de la question du pouvoir d’achat n’en sera pas effacé pour autant et la moindre mesure jugée insupportable pourra, sur le modèle du CPE, être l’étincelle qui déclenche un nouveau «tous ensemble». Et si Sarkozy ne tenait pas la distance ?"

Si nous parlions de sondages au début de ce billet, c'est justement que l'un d'entre eux montre ce basculement de l'opinion : le pouvoir d'achat est la préoccupation prioritaire de 48% des personnes sondées et 71% des mêmes estiment que les mesures prises par le gouvernement ne sont "pas efficaces" pour l'augmenter, contre moins d'un quart (24%), nous enseigne l'enquête CSA publiée vendredi dans Le Parisien/Aujourd'hui en France. Le dispositif de détaxation des heures supplémentaires est en vigueur depuis le 1er octobre. 71% des Français viennent de s'apercevoir qu'il n'arrangera en rien leur situation. 71% des Français viennent de s'apercevoir qu'on s'est payé leur tête. Combien d'ex-sarkozistes se repentent aujourd'hui amèrement d'avoir voté pour le roi bling-bling ? C'est sur le terreau de ce mécontentement-là que peut germer le refus des réformes antisociales voulues par le bonimenteur sur talonnettes. Soutien aux grévistes qui défendent, au-delà des régimes spéciaux, le système français des retraites, et aussi aux étudiants qui refusent la privatisation de l'université : tous dans la rue !

PS : le tract Travailler plus pour dépenser plus ? reproduit plus haut provient d'Indymédia Marseille.