Non, il ne s’agit pas de policiers ripoux à Lyon ou de l’affaire du Carlton de Lille, mais de divers cas d’une étrange « banalité » policière : Amnesty international vient de publier un rapport intitulé « Notre vie est en suspens » – les familles des personnes mortes aux mains de la police attendent que justice soit faite. Comme d’habitude, « une justice » sera sans doute faite…
Puisque le document est en ligne sur le site d’Amnesty International, nul besoin d’en rajouter. Mais si vous n’avez pas le temps de le consulter, quelques extraits choisis…
« Ali Ziri, un Algérien de 69 ans, est mort en juin 2009 après avoir été interpellés à Argenteuil. En novembre 2011, aucun des policiers impliqués dans les faits n’avait été mis en examen. Arezki Kerfali, l’ami d’Ali Ziri interpellé avec lui ce soir-là, attendait, lui, d’être jugé pour outrage à agents. »
Je n’irais pas rechercher dans la jurisprudence ce que vaut un outrage à agents de nos jours, mais c’est de plus en plus corsé, et les policiers tentent presque systématiquement de produire des certificats médicaux pour tenter d’établir qu’ils ont droit à des dommages et intérêts. En général, ils les obtiennent assez vite. Mais, là, tiens donc, nulle précipitation.
« Mohamed Boukourou, un Marocain âgé de 41 ans, est mort lors de son interpellation en novembre 2009 à Valentigney (Doubs). En novembre 2011, toutefois, aucune décision n’avait été prise… » (pour un éventuel renvoi devant les tribunaux.
C’est « éventuel », qualifiant renvoi, qui interpelle. Le gars était accompagné de sa femme, qui n’a pu monter dans le fourgon qui l’emmenait. C’est dommage, les policiers ont raté des poursuites pour outrage, sans doute. Peuvent mieux faire.
« Lamine Dieng, un Français d’origine sénégalaise âgé de25 ans, est mort pendant son interpellation en juin 2007 à Paris. L’enquête sur sa mort est toujours en cours. ».
Il aurait dû voler un scooter à l’un des fils de Sarkozy. On l’aurait conservé intact pour le présenter au plus vite devant un tribunal. Mais comme il n’avait rien volé, apparemment rien brisé, c’était encore plus suspect, sans doute. Mais il semble qu’il ait été un peu « toxico » de son vivant. Cela n’arrive qu’aux autres. Très, très rarement aux toxicos des boîtes branchées des Champs-Élysées, tant bien même voudraient-ils rentrer, imbibés, sous emprises diverses, en scooter, vers Neuilly-Auteuil-Passy… Et ils peuvent bien être blancs, noirs, jaunes, ce que vous voulez, là, pas de discrimination.
« Abou Bakari Tandia, un Malien âgé de 38 ans, est mort à la suite de sa garde à vue en décembre 2004, à Courbevoie. En juin 2011, un rapport médical a conclu que des contentions étaient à l’origine de la mort… ».
Vous voyez les séries américaines télévisées de thrillers ? Tenez, même Navarro ou le Commissaire Moulinou… Le légiste arrive dare-dare et rend son rapport pour avant-hier. P’tain, sept ans, comme disait la marionnette du Chirac des Guignols de l’Info. Il avait commis, Tandjia, « un contrôle d’identité ». De temps en temps, une blonde copine quarantenaire, bien mise, bcbg, demande elle aussi à être contrôlée. Sans grand succès. Halte à cette flagrante discrimination.
« Abdelhakim Ajimi, un Tunisien âgé de 22 ans, est mort lors de son arrestation à Grasse en mai 2008. ». Le procès s’ouvrira le 16 janvier prochain.
Ah ben, c’est comme les prud’hommes, à présent, trois ans minimum. Là, au moins, celui-là aurait « violemment résisté ». À un contre deux, puis à un contre onze. Là, pour une fois, le procureur s’était porté en appel après un non-lieu. J’imagine qu’on a pu lire que les magistrats ceci, les magistrats cela… Au fait, il faudrait retrouver les communiqués des syndicats de policiers après le non-lieu. Cela pourrait peut-être inspirer des humoristes.
Raison garder
Bien évidemment, Amnesty a choisi cinq cas graves, significatifs. Alors qu’il arrive aussi à des policiers de provoquer la mort sans intention de la donner dans des circonstances justifiant le recours à la force. Il est sûr que les familles de, par exemple, certains « gens du voyage », ne réagissent pas comme celles qu’Amnesty a rencontrées : « les familles ont déclaré avoir été bien souvent traitées avec mépris et de manière incorrecte lors des procédures. ».
L’ennui, c’est qu’il n’y a pas que les familles. Mais aussi des proches, des connaissances, des copines et copains d’école, &c., des voisins, des employeurs aussi. Ce qui fait que, même si des gens ne font rien de répréhensible, s’ils voient des policiers, ils sont tentés de prendre leurs jambes à leur cou, par pur réflexe… Bonjour les bavures. Rappelons aussi que ce rapport fait suite à deux autres, en 2005 et 2009. Dans les cas de Mohamed Saoud et d’Abdelhakim Ajimi, le Comité contre la torture était intervenu. Et puis, qui se souvient de Josiane Ngo, de Gwenaël Rihet (journaliste pour France 3, d’Albertine Sow (frappée alors que visiblement enceinte), et de quelques autres restés anonymes (mais dont les patronymes sont connus d’Amnesty) ?
« Les policiers exercent un métier difficile, et se voient imposer des tâches de plus en plus lourdes. Mais le système actuel nuit à la confiance de la population, » relèvent les rapports. Au fait, si on comparait avec la gendarmerie ? Pour voir.
Faites donc la recherche sur le site d’Amnesty avec pour mot-clef « gendarmerie ». Beaucoup de résultats, à l’étranger. Pour la France, des bavures, rares, dues à des méprises. Dernier incident inexpliqué en date, le cas de Frank Moret, circulant en juillet 1993 en voiture, avec sa compagne, tué par l’une des neuf balles tirées par un gendarme. Tous les autres cas pour la période 1993-1996 sont dus à des policiers de divers services. Pas de falsification de documents pour la gendarmerie, tandis que… pour la police…
Raison perdue
Tiens, vous avez remarqué aussi : les policières et policiers qui se suicident sont rarement celles et ceux qui apparaissent dans des faits-divers de ce genre. Et ce sont rarement aussi les plus vite promus. Sauf, peut-être, le brigadier-chef d’Erstein, 38 ans, du commissariat central de Strasbourg, qui s’est suicidé le 3 novembre dernier (troisième suicidé depuis janvier 2011 à Strasbourg). Pour les syndicats, la « pénurie importante d’effectifs » est en cause. Et quand c’est à onze contre un, c’est quoi ?
Témoignage d’un journaliste et de son épouse, Emmanuel Raoul, qui avaient osé filmer une interpellation de jeunes Indignés espagnols à la Gare de Lyon (Paris) : « lorsque nous avons quitté les lieux, des dizaines de policiers étaient arrivés en renfort… ». Commentaire du journaliste : « J’ai conscience que les policiers ont un métier difficile, extrêmement stressant, mais si un agent perd ainsi son calme face à un groupe de jeunes non-violents et de simples témoins, comment se comportera-t-il dans un contexte autrement plus tendu et menaçant ? ».
45 suicides annuels dans la police, ce n’est pas rien. Les taux ont commencé à grimper à partir de 1996 (soit que des cas antérieurs aient été camouflés, soit qu’il se soit produit un véritable phénomène nouveau).
En revanche, la gendarme Myriam Sakhi, qui s’est suicidée à Lyon, avait fait état de remarques racistes de la part de ses compagnons d’arme. C’était le 24 septembre dernier. Elle en est où, l’enquête ? En ce début décembre ? Car la famille n’a toujours pas compris pourquoi cette jeune femme se serait suicidée.
Dernièrement, un ex-gendarme, devenu policier municipal à Loudéac, s’est retrouvé, en appel, condamné à six mois assortis de sursis et interdiction de port d’armes de trois ans. Dommage pour lui : il avait tiré contre un jeune de 17 ans, qui s’enfuyait. Au moins ne l’avait-il que blessé, ce qui démontre, malgré tout, une preuve de sang-froid (tir à l’épaule, et non pour tuer). Mais la peine maximale était de sept ans et jusqu’à 100 000 euros d’amende. Il s’agissait d’un vol de scooter. Et l’un des deux jeunes interpellés avait frappé un autre policier. Les policiers sont de plus en plus susceptibles d’être agressés, accordons-le, et stressés au point de tirer, admettons.
Mais alors que Claude Guéant insiste sur le fait que les immigrés doivent « adopter nos coutumes », l’impression que les policiers qu’il supervise s’inspire des coutumes de collègues étrangers, et pas vraiment de ceux des pays nordiques, pour user d’une litote, fait vraiment très, très mauvais effet.
De l’AFP de ce jour (30 nov. 2011) :
« [i]Un retraité, au comportement jugé inquiétant par des parents qui le voyaient régulièrement devant l’école de leurs enfants à Brest et le soupçonnaient à tort d’être[/i] « un pervers sexuel », [i]est mort lundi d’une crise cardiaque, peu après son interpellation par la police. L’homme, un habitant de Bellevue, un quartier populaire dans la périphérie de Brest où se mêlent pavillons et petits immeubles, venait depuis une quinzaine de jours assister à la sortie des classes de la maternelle Auguste Dupouy, selon des témoignages.[/i] ».
Là, il semble que ce soit la semi-bavure quelque peu impondérable.
Le papy se prend un arrêt cardiaque après avoir été arrêté sans violence.
Simplement, était-il nécessaire de le menotter ?
Il n’opposait aucune résistance, c’était un malentendu (deux jours auparavant, il avait pris par la main une fillette égarée pour la conduire… à quelqu’un du personnel éducatif).
Une simple invitation à suivre les policiers n’aurait-elle pas suffi ?
Bien d’accord avec votre commentaire juste ci-dessus.
[b]Voilà à quoi mène la psychose du fait divers largement entretenue par les journaux télévisés qui ne savent plus ouvrir leur journal du soir que par ceux-ci !
[/b]
J’avais moi-même eu l’intention de faire un article sur le Rapport d’Amnesty International mais compte-tenu de l’actualité, avec un flic entre la vie et la mort, j’avais décidé de différer.
Mais vous avez tout dit et c’est bien, car il faut que ça se sache tout autant que les flics qui se font descendre.
Bien à vous.
jf.
Peu de visites sous cet article que je découvre très tardivement…Et c’est bien dommage, car il contrebalance efficacement la course actuelle aux faits divers « croustillants ». Merci Jef, de rendre ainsi hommage à des victimes des bavures.