Quelque chose comme de l'amour…  

Samedi soir. Ciné Cité de Ludres. Banlieue de Nancy. Planète Terreur. Séance de 20h00. Film en V.F.

Dix personnes dans la salle à tout casser. Et à part mon vieux copain Yannick et moi-même, des couples ! Des putains de couples !!!! Les lumières s’éteignent. Le film commence. Personne ne pousse un cri. Dans un monde merveilleux où les œuvres d’art ne seraient pas traitées comme des produits de consommation comme les autres jetés en pâture sans explications à une masse qui n’a ni le temps et peut être ni l’envie de comprendre qu’une œuvre d’art est un rite d’initiation vers une autre réalité, vers une autre perspective, voilà ce qui aurait du se passer :

 

Samedi Soir.  Rue de la Commanderie. Centre Ville de Nancy. Séance de minuit. Une foule nocturne, étrange, fébrile se presse devant la façade décrépite d’un vieux cinéma de quartier. Dominant la foule, deux affiches aux couleurs criardes, aux lettres dégoulinantes. Les films : « Death Proof » de Quentin Tarantino et « Planet Terror » de Robert Rodriguez . Chevauchant les deux affiches, la mention suivante : « Une soirée Grindhouse ! »

 

La tension est palpable. Certains sont venus de loin pour avoir leur ration de gore, sex and cheap thrills. Pour d’autres, c’est leur première séance de minuit. Les gens murmurent, chuchotent, échangent les rumeurs les plus folles sur les films « il paraît que Tom Savini joue dans « Planet Terror ! »

Soudain, les portes s’ouvrent  et la foule se presse sans bousculade vers les sièges. Chacun trouve sa place. Certains ont apporté des packs de bière qu’ils partagent avec leurs voisins, d’autres font tourner des joints. Les lumières s’éteignent : un hurlement de joie monte de la foule, des applaudissements retentissent.

Une (fausse) bande annonce apparaît : « Machette » ! La foule est en délire, certains agitent des machettes en plastique achetées pour l’occasion. Tout le monde reconnaît l’acteur fétiche de Rodriguez qui jouait déjà le barman du Titty Twister dans « Une nuit en enfer » et  Le tueur aux couteaux  dans « Il était une fois au Mexique ».

Et voilà que les mots magiques apparaissent  au son d’une musique disco kitsch : « Our feature presentation tonight » : c’est l’émeute, l’orgasme. Le film n’a pas encore commencé et le public est déjà chauffé à blanc. Prêt à prendre son pied.

Voilà le genre d’ambiance et surtout le genre de public qu’un film comme « Planet Terror » mérite.

Parce qu’il a été conçu dans cet esprit. Parce qu’il a été crée   pour rendre hommage aux films de genre qui ont donné envie à Tarantino et à Rodriguez de faire du cinéma. Parce qu’il projette sur grand écran toutes nos pulsions les plus débridées, les plus sauvages : sang, sexe, destruction.

Mais sans aucune vulgarité, comprendre avec un profond respect pour les codes du genre, les acteurs et le public et avec beaucoup d’intelligence, c'est-à-dire avec une inventivité dans la mise en scène, une recherche de l’émotion et un léger détournement de certains codes qui ne fait au final que les renforcer.

Autant, la présence de Tarantino, l’auteur, plombait un peu le fun de « Death Proof » sur une partie du métrage, autant Rodriguez nous livre un film 100% pur Z avec des moyens démesurés pour une production de ce genre et une véritable virtuosité dans la mise en scène qui nous amène à dire tout connement que ben, on a jamais vu ça ! 

Certes, il y a bien les codes : une petite bourgade paumée qui se retrouve victime d’une invasion de zombies à cause d’un gaz toxique et de méchants militaires ; la constitution d’un groupe de survivants avec l’alliance interdite bandits/policiers/baby sitters( !) qui va s’ouvrir un chemin jusqu’à la source du mal à coup de gros calibre, le gore qui tâche dans tous les styles inimaginables, l’érotique soft avec des décolletées, des jupes courtes et un peu de sexe et toutes les références aux illustres ancêtres : Assaut de Carpenter, Zombie de Romero, Massacre à la Tronçonneuse et j’en  passe des moins connus.

Mais il y a à chaque fois le détournement de ces fameux codes : militaires pas si méchants que ça (maintenant on sait ce qui est arrivé à Ben Laden, dieu que c’est con/bon !), approfondissement de la psychologie des personnages qui deviennent vraiment attachants car ayant chacun un conflit personnel à résoudre (statut social, rivalité fraternelle, jalousie, quête d’indépendance, passé mystérieux), du gore, oui mais alors du gore inventif qui ne se refuse rien que ça soit au niveau des effets de maquillage (Tom Savini powaaaaaa !) et du délire des situations : éclatage de zombies au couteau, au flingue, au camion, à la moto miniature, à la jambe fusil mitrailleur-lance grenades, à la pale d’hélicoptère (si ! si !) bref, c’est l’imagination gore au pouvoir !

Pour résumer, ce qui fait de « Planet Terror » un chef d’œuvre du genre et un grand film tout court, c’est qu’il ne se refuse absolument rien ! Qu’il nous laisse croire que tout peut arriver pour le meilleur (jusqu’où allons nous aller dans le délire) et pour le pire (un gamin innocent qui se tire une balle dans la tête vous avez-vous ça où à part dans Assaut ?)

Conséquence : On passe le film les yeux rivés sur l’écran avec le cœur qui bat à 100 à l’heure et le cerveau complètement incrédule devant tant de décomplexion jouissive, de liberté créatrice débridée !

Et n’allez pas croire que ce soit le foutoir ! C’est écrit et filmé au cordeau avec une gestion parfaite des éléments du script (tout finit par avoir une justification) et de la mise en scène (les effets s’enchaînent sans baisse de rythme ni faux pas)

Et pour finir, « Planet Terror » en plus d’être jouissivement bandant se paye le luxe d’être émouvant et d’apporter sa pierre à un bouleversement qui est en train de s’opérer dans le cinéma et la société : le statut de la femme.

Emouvant pourquoi ?

Pour Cherry, ses rêves et sa jambe en moins et son humiliation devant Tarantino himself (à mon sens la scène la plus dure émotionnellement parlant du film).  Pour la sauce parfaite des deux frères ennemis. Pour la tendresse d’El Wray et son lourd passé.

Mais surtout « Planet Terror » reprend plus subtilement encore l’idée de Tarantino dans « Death Proof » qui montrait comment des filles finissaient par venir à bout d’un macho et de sa voiture-bite avec cette omniprésence du symbole phallique qui menace les femmes et que celles-ci doivent se réapproprier pour parvenir à survivre et défaire leurs opposants masculins.

Et c’est là que le personnage Cherry intervient car elle est à la fois une héroïne classique : très féminine (gogo danseuse) et vulnérable à la violence masculine ( elle perd sa jambe).

Elle ne retrouvera sa force qu’en se faisant greffer une jambe de bois (symbole phallique par excellence) qu’elle utilisera pour pénétrer  un macho avec la bite qui fond (virilité qui se consume) avant de la remplacer par un fusil mitrailleur offert par El Wray (l’amant bienveillant qui n’est pas macho et peut donc accepter une femme avec des caractéristiques masculines) qu’elle utilisera dans un mélange de force et de finesse (destruction et gogo dancing).

Si vous trouvez que tout cela est un peu tiré par les chevaux, je vous invite à prêter une attention toute particulière aux seringues, aux armes, aux doigts et plus généralement à tous les symboles phalliques et au traitement qu’ils subissent par rapport aux symboles féminins (une bague par exemple dans une scène tout aussi explicite).

Finalement, le personnage de Cherry est le symbole vivant du travail d’hommage et de détournement opéré par Rodriguez sur ce film : d’héroïne classique : moi et mon homme qui me protège contre le reste du monde, elle devient : moi, ma fille et ma jambe mitrailleuse contre le reste du monde pourri par les conneries des mâles.

Un film Z jouissif, inventif et féministe !

Moi j’appelle ça le talent et beaucoup beaucoup d’amour.