Philippe Pétain, Maréchal de France, suite 9,

l’offensive vers l’Aisne suite, l’attaque.

Le 26 mai, à 17 heures, le général Duchêne alerte la 6ème armée. A 19 heures, les dispositions de combat sont prises. A partir de 20 heures, l’artillerie des divisions renforcée par tous les moyens disponibles, exécute les tirs de harcèlement et d’interdiction prévus par le plan de défense, elle inonde de projectiles les voies d’accès et les points de passage obligatoires à l’arrière du front. A la nuit tombante, des détachements Allemands cherchent à jeter des ponts sur l’Ailette. Pris immédiatement à partie par nos mitrailleuses, ils doivent renoncer à leur projet. En même temps, le général Duchêne fait occuper la deuxième position, au sud de l’Aisne, par la 157ème division.

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Le 27 mai, à 1 heure du matin, l’artillerie Allemande déclenche un tir d’une extrême violence sur tout le terrain compris entre les premières lignes et les batteries Françaises, en même temps que l’artillerie lourde exécute un tir d’interdiction très puissant sur nos arrières. Quatre mille pièces de tous calibres hurlent en même temps, devant lesquelles les 1030 canons, que nous avons pu qu’à grand peine réunir, se révèlent bientôt insuffisants, malgré l’héroïsme des soldats. L’air est empesté de gaz toxiques, l’ennemi fait surtout usage d’obus à ypérite. L’ypérite est une forme impure du gaz moutarde utilisé pendant cette guerre. Nos batteries sont annihilées, les petits réduits de la première ligne sont écrasés et nivelés, les mitrailleuses sont détruites.

A 3h30, la fumée s’est à peine dissipée que les défenseurs survivants, hébétés, voient surgir dans le demi-jour l’infanterie Allemande. Dès le commencement de la préparation d’artillerie, les régiments de première ligne de l’attaque s’étaient en effet massés en avant de leurs tranchées, et avaient franchi l’Ailette au moyen de passerelles de fortune, et ils étaient venus se rassembler tout près de nos réseaux de barbelés, dans lesquels, à l’abri du feu de leurs canons, ils s’étaient hâtés de pratiquer des brèches à la cisaille. Chacun d’eux était accompagné d’une compagnie de lance-flammes, d’un renfort de mitrailleuses et d’une batterie d’artillerie. C’est une marée qui submerge tout. Cette masse se précipite en avant, sans se préoccuper des intervalles qui doivent être pris en progressant dans les lignes Françaises. Elle se subdivise en des milliers de petites colonnes qui s’infiltrent par tous les cheminements, glissent partout des mitrailleuses, et suivent de très près un formidable barrage roulant, et tirent en marchant. Quelques îlots, non détruits par les canons opposent une résistance désespérée. Les soldats qui les occupent ne songent guère à se rendre, ils avertissent comme ils peuvent leurs camarades en arrière par la T. S. F., par les pigeons voyageurs, et ils restent là, à se faire tuer sur place. Pas un homme du bataillon Chevalier, du 64ème régiment infanterie, n’est revenu de cet enfer. Nos bataillons de soutien, contre attaquent vigoureusement, poussant jusqu’aux dernières limites l’esprit de sacrifice.

Vers 8 heures du matin, les 21ème et 22ème divisions, dont les premières positions sont submergées et dont les réserves sont engagées dans des contre attaques intenses, n’existent plus. L’ennemi a gagné le Chemin des Dames. Le terrain est cependant disputé pied à pied. Les généraux Dauvin et Renouard, commandant les 21ème et 22ème divisions, se complètent et demeurent seuls à diriger leurs bataillons disloqués et décimés. Le reste des régiments combattent, mélangés sur une seule ligne, à la 21ème division, le 64ème RI, le 93ème RI, le 137ème RI, et la 22ème division, le 19ème RI, le 62ème RI, le 118ème RI, tous rivalisent d’héroïsme. Cinq colonels sur six ont été ensevelis dans leur poste de commandement, tous les chefs de bataillon de la 22ème division sont tombés.

Dès 5 heures du matin, le général de Galembert, commandant la 157ème division, dont la mission était de défendre la deuxième position, reçoit l’ordre d’envoyer 4 bataillons au nord de l’Aisne, pour appuyer la 22ème division. A peine ces 4 bataillons ont-ils franchi la rivière qu’ils tombent sous un feu violent d’infanterie et de mitrailleuses, de la part d’un ennemi qui occupe déjà le Chemin des Dames. Un désordre momentané se produit, puis ces bataillons se déploient et, bravement, la baïonnette au canon, se portent au devant des Allemands. Mais, engagées de la sorte, nos sections échappent déjà à tout contrôle. Elles sont englobées dans la retraite des faibles éléments restant des 21ème et 22ème divisions, balayées avec eux sur l’Aisne par les troupes ennemies.

Il ne restait plus à la garde de la deuxième position, que 4 bataillons de la 157ème division, un bataillon du 214ème, un bataillon du 233ème et deux bataillons du 252ème. Ils font bonne contenance, mais vers 10 heures du matin, le 9ème Corps Britannique ayant été refoulé à droite, leur ligne est prise à revers à Villersen-Prayères. Le Corps Allemand de Vichura progresse aussi vers Vailly, et de Pontavert à Reims, toute la ligne est enlevée, comme le Chemin des Dames. La VIème division de réserve Bavaroise, les Vème et VIème divisions ont débordé la forêt de Pinon en s’infiltrant par les ravins de Vauxaillon et de Chavignon, et elles sont parvenues à arracher le massif de Laffaux à la 61ème division. À 11 heures du matin, 12 divisions Allemandes bordent l’Aisne depuis Chavonne jusqu’à Berry au Bac et Reims, et le XVème Corps refoule les divisions Britanniques.

Vers midi, l’Aisne est franchie pêle-mêle par les divisions Allemandes. Les positions de la deuxième ligne, trop faiblement gardées, sont encerclées et submergées, et le soir, à 20 heures, les Allemands ont atteint la ligne Vauxaillon, Vrégny, Braine, Bazoches, Fismes. Sur un front de 30 kilomètres, ils ont creusé une poche d’une vingtaine de kilomètres, franchi l’Ailette et l’Aisne, et ils bordent la Vesle après avoir annihilé nos divisions de première ligne. De la 22ème division, peu d’hommes ont échappé, à peine la valeur de deux compagnies reconstituées avec des permissionnaires rentrés le soir, avec quelques prisonniers évadés, et des hommes des convois. La nuit n’arrête pas la poursuite. En force, les Allemands manœuvrent de façon à séparer complètement le 9ème Corps Britannique de la 22ème division. Heureusement, les auto-canons et les auto-mitrailleuses du 1er Corps de cavalerie arrivent de Fismes et réussissent momentanément à aveugler cette redoutable brèche.

Le 28 mai, à 1 heure du matin, la Xème division Allemande franchit la Vesle près de Bazoches et pousse vers les bois de Dôle. La Vème division de la Garde franchit la rivière à l’est de Fismes, et marche sur Courville. Débordés sur leurs deux flancs, attaqués de front par deux divisions, les défenseurs de Fismes se replient vers deux heures du matin. A midi, toute la ligne de la Vesle est perdue, et les Allemands, à qui nous ne pouvons pas encore opposer des forces suffisantes, progressent lentement au sud de la rivière, faisant surtout porter leurs efforts sur les ailes, pour agrandir la trouée.

Vaines tentatives, malgré qu’à gauche le plateau de Crouy est abandonné, les deux pivots de Soissons et de Reims tiennent bon, ce jour-là l’avance ennemie n’est que de 5 ou 6 kilomètres.

Cependant, devant la rupture inattendue et trop aisée de la première ligne, le Haut Commandement Allemand a pris la décision de transformer cette opération en une attaque de fond qui ne devait être initialement qu’une démonstration. Déjà, la plupart des divisions, considérant atteint l’objectif qui leur avait été assigné, commençaient, le 28 au soir, à s’organiser sur les positions conquises, mais un ordre de Ludendorff leur parvient,

«le combat, dit le Quartier Maître Général, prend désormais le caractère de la guerre de mouvement, poursuite de l’ennemi, rapide, ininterrompue. Ne laisser aucun répit à l’ennemi, même pendant la nuit. Ne pas s’attendre les uns les autres».

L’empereur, «le Kronprinz», Hindenburg , et Ludendorff sont accourus. Éblouis par l’étendue de cette victoire qu’ils n’osaient espérer, ils croyaient la France perdue. Ils sonnent l-hallali. Mais, ils le sonnent plus discrètement que celui de l’offensive du 21 mars, de crainte de quelque nouvelle désillusion. Ils indiquent bien à la presse l’importance militaire de la chute du Chemin des Dames, et l’importance morale d’une défaite infligée à la seule Armée Française, à cette Armée considérée comme le plus solide rempart de l’Entente. Ils célèbrent la prestigieuse habileté du Haut Commandement qui a su percer le centre de l’armée de Foch, tandis que les réserves alliées avaient été savamment attirées ailleurs. Ils signalent ce qu’a été ce formidable déplacement de forces, dans le secret le plus profond, mais c’est tout.

Plus de folles utopies, plus de promesses d’une rupture définitive du front. Ils ont compris que ce n’est pas une victoire locale, si complète soit-elle, qui abattra à jamais la résistance Française. À Paris, que les avions visitent presque toutes les nuits, et dont les obus de la «Bertha» éventrent toutes les deux ou trois heures quelques maisons ou quelques églises, paraît, non pas insensible, mais résolu à braver tous les dangers, et à les braver à la Française, en riant. De tout cœur, chaque Français a fait sienne la fière déclaration lancée par Clemenceau à la tribune de la Chambre, au milieu des acclamations,

«Nous remporterons la victoire si les pouvoirs publics sont à la hauteur de leur tâche. Je me bats devant Paris, je me bats à Paris, je me bats derrière Paris».

Et pour expliquer son imperturbable optimisme, le Président a montré les transports Américains déchargeant activement dans nos ports leurs troupes et matériels. Il y a déjà en France plus de 600.000 jeunes gens du Nouveau Monde. Toute la 1ère Armée américaine, forte de 5 divisions, est même en secteur. Elle est commandée par le général Ligget, dont le quartier général est à Neuf-château. Six divisions de la 2ème Armée sont dans les centres d’instruction, ainsi que trois divisions de la 3ème Armée.

Foch est calme, comme à son habitude, au milieu de la tempête. Il sait que l’ennemi sera arrêté dès que les réserves auront pu être amenées à pied d’œuvre, et il a pris les mesures nécessaires pour que ces réserves arrivent au plus vite. Il avait considéré tout d’abord l’attaque du Chemin des Dames pour ce qu’elle était, une puissante démonstration. Mais dans la nuit du 28 au 29, c’est-à-dire à peine quelques heures après le changement de décision du Haut Commandement Allemand, devant les progrès réalisés par l’ennemi, il avisait le maréchal Haig de la nécessité de retirer quelques divisions Françaises du front Britannique. Il prescrivait en même temps au général Maistre de rapprocher, des quais d’embarquement, les 4 divisions de la 10ème Armée, il envoyait à Montmort le général Micheler, avec l’État-major de la 5ème Armée, qu’il mettait à la disposition du général Franchet d’Espérey, pour y prendre le commandement d’un groupe de 6 divisions destinées à tenir solidement la Montagne de Reims, il appelait enfin sur la Marne la division Américaine de la réserve générale.

Quant à Pétain, faisant sagement la part du feu, il avait déjà ordonné l’organisation d’une ligne de résistance, encore influencée par la Crise des mutineries, sur les hauteurs du Grand-Rozoy, Arcy-Sainte-Restitue et les mamelons du Tardenois, sur laquelle le 1er Corps d’Armée à gauche et le 210 Corps à droite devaient recueillir et encadrer les 30ème et 11ème Corps disloqués.

Le 29 mai au matin, les Allemands poursuivent leur offensive avec vigueur. On se bat dans Soissons. Micheler, accouru à Cumières, improvise un front entre Arcy-le-Ponsard et Prunay, et arrête net l’ennemi devant les faubourgs de Reims. Le général de Maud’huy dispute âprement les abords de la forêt de Villers-Cotterets avec les débris du 11ème Corps. Le soir, s’ils tenaient à peu près Soissons en flammes, les Allemands avaient surtout progressé vers le Sud, ayant enlevé Fère en Tardenois, franchi l’Ourcq et poussé leurs troupes jusqu’à 5 kilomètres de la Marne. Heureusement les charnières tienaient bon, autant sur les hauteurs de Chaudun qu’aux abords de Reims, et la poche prend l’aspect d’un triangle dont la pointe s’allonge vers Jaulgonne. Le danger est maintenant sur la Marne, et non ailleurs. Foch avertit Sir Douglas qu’il va appeler la 10ème Armée dans la forêt de Villers-Cotterets qu’il aura recours aussi, peut être, aux disponibilités Britanniques, qu’en tout cas, l’Armée Debeney va être affaiblie et aura besoin d’être étayée par l’Armée anglaise.

En revanche, Foch prescrit à l’Armée belge de prendre à son compte une partie du front Britannique, et de s’étendre jusqu’à Ypres. Ces mesures ne pouvaient pas être prises plus tôt. Le 27, la 2ème Armée britannique et notre G.A.N., Groupe des Armées du Nord, avaient encore été violemment attaqués après une puissante préparation d’artillerie qui laissait présager une opération de grand envergure. Même le front avait fléchi, et la ligne n’avait réussi à s’accrocher que le soir à KruitstraatHoek et, par l’Eclusette, à l’extrémité nord de l’étang de Dickebush en Flandres.

Le 30 mai, deux nouvelles divisions Allemandes viennent renforcer les colonnes qui poussent vers la Marne, la 103ème et la 231ème. Le général commandant cette dernière division a donné à ses bataillons l’ordre formel d’atteindre la rivière, «c’est une question d’honneur pour nous, a-t-il écrit le 29, d’atteindre la Marne demain».

La Marne !.. Effectivement, la 231ème division atteint la Marne ce jour-là, à 14 heures, entre Brasles et Mont-Saint-Père. La 28ème division l’atteint à 18 heures à Jaulgonne, mais les ponts sont détruits. A l’ouest, la progression est plus lente. Les trois divisions du Corps Winkler s’emparent bien de Vierzy et d’Oulchy le Château, mais leurs pertes sont sensibles. A l’est, le Corps Schmettow et la Ière Armée de Fritz von Below sont complètement arrêtés devant Verneuil et Ville en Tardenois, et ne peuvent forcer la résistance des défenseurs de Reims.

Le 31 mai, Ludendorff appelle de nouvelles divisions. Il intensifie son effort à l’est et à l’ouest pour élargir la poche trop étroite sur la Marne. La 28ème division de réserve vient renforcer la 1ère division de la Garde vers Longpont, et la 232ème division accourt vers ChâteauThierry. Le général Maud’huy contre attaque héroïquement sur Chaudui et reprend cette localité à l’ennemi. Le général Robillot enraye la poussée des Allemands qui, maîtres de Neuilly Saint Front, s’infiltraient dans la vallée de l’Ourcq. Cette lutte acharnée absorbe les disponibilités Allemandes. Ludendorff ne peut plus disposer maintenant que de six divisions, sans dégarnir les autres secteurs. Un nouveau Conseil de guerre, tenu ce jour-là à Fismes sous la présidence de l’Empereur, décide que ces six divisions seront lancées dans la fournaise. Le 1er juin, un ordre laconique est lu aux troupes,

«Sur le désir de Sa Majesté l’Empereur et de Son Excellence le maréchal Hindenburg, l’offensive sera poursuivie».

Seulement, ce n’est pas au sud de la Marne que va se poursuivre l’effort. Cette rivière sera au contraire pour l’Armée impériale une excellente couverture contre une offensive venant du sud. On créera simplement entre Château-Thierry et Dormans une tête de pont sur la rive gauche, pour faciliter une progression ultérieure, et on agira vigoureusement aux deux ailes, à l’est contre Reims, à l’ouest contre le massif forestier de Compiègne, Villers-Cotterêts. L’attaque de ce dernier massif nécessitera deux opérations simultanées, l’une partant de l’est contre Villers-Cotterêts, l’autre partant du nord contre Compiègne, afin d’encercler les forces Françaises, ou de les obliger à la retraite…

La suite 10 portera sur l’offensive vers Compiègne, 1er au 12 juin 1918

 

4 réflexions sur « Philippe Pétain, Maréchal de France, suite 9, »

  1. [b][i]On voit que les villes de Soissons et de Reims ont particulièrement souffert de cette guerre ![/i][/b]

    [b]Anido[/b], bonjour… En ce qui concerne les civils, pourrais-tu me dire comment ils se sont comportés ? Y a-t-il eu des mouvements de résistance face aux Allemands ?

    Bien à toi

    [b]Dominique[/b]

  2. [b]Dominique[/b],

    J’ai prévu en fin de cette fresque de la Première Guerre mondiale un article sur l’état d’esprit des Français pendant cette guerre. Il est très difficile de trouver des publications sur les civils, je cherche encore.

    Reims et Soissons, mais aussi Villers-Cotterêt et sa forêt ont c’est vrai soufferts de cette guerre. Toute la vallée de la Marne à été saccagée. Château-Thierry et les coteaux de la Marne ont été le théâtre de sanglants combats.

    Bien à toi,

    Anido.

  3. Ma famille habitait en 1914, Nanteuil la Forêt…..l’autorité militaire, pour sécuriser l’arrière du front, les a fait évacuer vers Esternay….seul mon grand-père et trois de ses commis sont restés dans la ferme qu’exploitait la famille…..200 Ha il fallait continuer le travail de la terre…..le front était à 10 km …trois de mes oncles étaient sous les armes…l’un Blessé à mort, le second aveugle par balle, le troisième, bléssé à Berry-aux-bac…..le quatrième est rentré intact….Si vous pouviez savoir mes Cadets, que cette grande Boucherie nous a détruit…..regardez les Monuments aux Morts de nos villages…..A ce sujet, pour faire revivre la mémoire de tous ceux qui ont donné leur vie, il est prévu par les cercles de généalogiques, pour commémorer le cen,tenaire de cette grande Boucherie, de faire l’appel de leurs descendants, car beaucoup ne savent pas que leur GP ou AGP….figure sur ce monument…. Burdinus l’ancien

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