Cela n’a vraiment pas tardé. Les ministres de l’actuel gouvernement ont publié leur patrimoine, dans des déclarations qui restent pour le moment contrôlées par personne. Il y a eu quelques petites surprises, pas vraiment celles qu’on attendaient… Dans les rédactions où des journalistes ayant un peu d’ancienneté, pas vraiment de titre ronflant, ni d’héritages, sont largement moins payés que des ministres, les réflexions ont plutôt été du genre « tiens, il en a moins de côté que moi ». On pouvait en dire tout autant de l’épargne d’un Fillon.
Il est vrai que beaucoup d’anciens ministres se sentent assurés de leurs arrières, croient peu au coup durs, et ne se sont pas appliqué ce qu’ils trouvent normal pour les retraités du vulgaire. Pourquoi épargner si les héritages surviendront, que les enfants sont déjà placés dans diverses carrières ? Comme le relève Mediapart de Manuel Valls, « le locataire de la place Beauvau possède quelques biens mais ses comptes en banque ressemblent furieusement à ceux d’un smicard ».
Rassurez-vous, journalistes de Mediapart, cela ne durera pas. Même si, sans doute, vous veniez à constater que, s’il sort du gouvernement, Manuel Valls ne se sera pas considérablement enrichi : il existe tout plein d’astuces – autres que des comptes à l’étranger –, pour en mettre autant « à gauche » qu’à droite en toute discrétion.
Le Canard enchaîné à paraître demain titre d’ailleurs « Transparence : les coups de vice du projet de loi » et « Les manœuvres des élus pour y échapper ». Notez que malgré les disparités flagrantes (Vallaud-Belkacem ou Duflot d’un côté, Fabius de l’autre, mais on ne peut lui reprocher d’avoir hérité), Le Monde a calculé que le patrimoine des ministres est en moyenne approchant de 100 000 euros. C’est assez normal, compte tenu de la moyenne d’âge, du fait que, comme pour Jean-Luc Mélenchon, un appartement acheté dans un arrondissement populaire voici plus d’une décennie s’est fortement valorisé, le quartier n’ayant plus vraiment beaucoup de son caractère populaire quand celles et ceux le peuplant le jour refluent la nuit vers les banlieues (ou les taudis dont on ne descend plus, faute d’ascenseur).
Là n’est pas vraiment la question. La plupart des ministres sont logés à la même enseigne que les classes et catégories sociales dont ils sont issus où qu’ils ont fini par intégrer. Pour les députés, c’est idem, même s’il restait 11 représentants du peuple se déclarant ouvriers ou employés l’an dernier (sur 577 « autres », cadres, professions libérales, industriels, &c.).
Ce qui est plus gênant pour le Parti socialiste, c’est qu’il fait marche arrière sur la transparence et la moralisation avant d’avoir même avancé. Thierry Mandon, porte-parole du groupe parlementaire PS à l’Assemblée, trouverait certes normal que les députés imitent les ministres, mais trop vite, surtout sans précipitation.
Il faudra longuement trouver le chemin « entre la transparence indispensable et le respect de la vie privée » (totalement bafouée en Suède ?). Bref, attendre qu’une future Haute autorité ait débattu, soit intégré les directives qui ont été imposées à la commission Jospin. On va d’abord rechercher le consensus avec tout le monde (donc avec les UMP les plus opposés), pour trouver d’abord au sein du groupe socialiste, ensuite plus largement « des règles qui aillent à tout le monde ».
Autant dire, obtenir le moyen de ne rien modifier, si ce n’est cosmétiquement.
Surtout ne rien s’imposer pour ne pas donner le sentiment d’imposer aux autres. Laissons donc faire la fameuse Haute autorité, et voyons quels compromis elle pourrait suggérer, puis négocions-les.
L’UMP, par la voix de Christian Jacob, veut bien sûr aussi se hâter lentement. Idem pour Jean-Christophe Lagarde, de l’UDI. Le pays aime tellement sa représentation, qui est si proche d’elle, qui lui ressemble tellement, qu’il voudra l’effet miroir et en savoir toujours plus pour mieux se reconnaître encore.
La plupart des membres du gouvernement, ou des parlementaires, le sont à temps plein, souvent depuis longtemps, ceux exerçant des professions le faisant à tiers-temps ou délégant à des associés.
Jérôme Cahuzac ne faisait guère exception. Il faisait le commercial à temps perdu, sa femme se chargeant de faire tourner la boutique.
Tiens, Jérôme Cahuzac, pour BFMTV, fait amende honorable. Il va désormais « affronter la réalité », donc des « réactions violentes », un « acharnement » sur lesquels il ne se prononcera pas. Il démissionne de son mandat de député, n’indique pas vraiment s’il va de nouveau briguer des suffrages. C’est à ceux avec lesquels il a partagé localement une belle aventure politique de lui dire ce qu’ils veulent de lui.
Il ne semble pas vouloir abandonner ses indemnités de ministre licencié (son avocat se chargera de voir quel est le problème juridique).
« Qui n’a pas une part d’ombre ? », lance Jérôme Cahuzac. Il a des noms ? Il affrontera la vérité. S’il n’a pas fermé son compte à l’étranger à temps, c’est qu’il n’a pas trouvé la solution puisqu’il devait lever son anonymat. Vis-à-vis d’Éric Woerth qui aurait pu se montrer compréhensif ?
Pour un peu, il aurait été surpris d’être appelé à prendre le portefeuille du Budget, et au dépourvu, il n’a pas su refuser. Il est interrogé sur Philippe Péninque qu’il a rencontré à l’occasion d’activités sportives. « La réalité d’un homme va au-delà de l’engagement politique », ce pourquoi il sympathise avec un ancien du Gud (mouvement plutôt violent d’extrême-droite). « Je me mens à moi-même avant de mentir aux autres », estime-t-il rétrospectivement.
Il aurait renoncé à toute procédure permettant de ne pas affronter la justice française. Il en existerait donc ? Il en aurait existé ? Il en subsiste ?
Il n’exclut pas de devoir faire un séjour en prison, et il a « peur » des conséquences, mais surmontera cette peur.
L’argent, 600 000 euros à l’étranger, provient de son travail dans le cadre de Cahuzac Conseil, de son activité auprès des laboratoires pharmaceutiques. Activité légale, précise-t-il : « je n’ai pas été le seul ». Là, il balance un peu sur les avocats fiscalistes, les conseillers fiscaux, ayant exercé des fonctions publiques, et mettant légalement leur « technicité » au service du privé.
Le compte n’a jamais servi à une quelconque campagne électorale socialiste (comment a-t-il donc financé la sienne ? par emprunt ?), assure-t-il. Mais admettons-le.
Sans chercher à enfoncer davantage Jérôme Cahuzac, ni même son interlocuteur journaliste, on aurait pu justement souhaiter que l’ex-ministre se prononce sur les possibles moyens d’éviter que sa « mésaventure » se reproduise. C’est tout le débat actuel. On pourra sans doute lui pardonner, avec le temps, si ce n’est déjà fait.
Nadine Morano n’a pas trop tiré sur le chirurgien, mais sur le personnage politique. Qui a dit avec tant de sincérité des mensonges : qui n’en dit pas, depuis les tribunes, sur les plateaux ? On aura compris que Nadine Morano, elle, n’a pas de part d’ombre. Eh bien, on verra à la longue… Ou pas… On aura compris que ses collègues socialistes ne la pousseront pas dans ses derniers retranchements. Le cas Cahuzac est donc totalement exceptionnel, isolé, &c. Alors, eh bien, on voudra y croire ou pas.
Gilbert Collard, qui en tant qu’avocat a entendu beaucoup d’aveux, s’est interrogé sur cette fameuse part d’ombre qu’évoquait Jérôme Cahuzac. Peut-être pourrait-il poser aussi la question à son cercle de nouveaux amis (G. Collard fut proche du PS), celui même de l’avocat fiscaliste dont Jérôme Cahuzac partageait l’amitié avec la famille Le Pen (et peut-être les bons services). Et puis, entre confrères du même bord, on se parle, non ?
À l’élection partielle qui va suivre dans le Lot, Jérôme Cahuzac ne se présentera sans doute pas contre l’investi du Parti socialiste. C’est à peu près tout ce qui est vraiment à retenir de cet entretien. Il est sans doute possible de tourner la page Cahuzac, Jérôme, mais pas vraiment celle de l’affaire Cahuzac.