(à la manière de JM…)

Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde.

 

A une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Limoges se trouve un Centre de la Mémoire équidistant d’un village et des cendres de son prédécesseur. L’endroit se nomme Oradour-sur-Glane.

A ses accès ont été disposés des panneaux invitant au « Silence », en souvenir de la tragédie qui s’y déroula le 10 juin 1944, voici plus de soixante-dix ans maintenant.

Ce jour-là, il fut investi par les quelque deux cents soldats du 1er bataillon du 4ème régiment Der Füher de la Panzerdivision SS Das Reich. En vue de se reconstituer après les lourdes pertes subies sur le front russe, elle stationnait dans la région de Montauban, à égale distance des lieux prévisibles pour un débarquement sur les côtes du Nord ou du Sud ; c’est donc vers la Normandie qu’elle faisait mouvement, dès le 8 juin, avec pour mission d’aider sur son passage à la lutte contre le « terrorisme des bandes », quitte à faire un détour.

A leur départ, vingt-quatre heures plus tard, les lieux n’étaient plus qu’un désert dont aucune âme n’arpentait plus les ruines encore fumantes…

 

Près de neuf années s’écoulèrent avant l’ouverture devant le tribunal militaire de Bordeaux, le 23 janvier 1953, du procès qui entendait juger vingt-et-un accusés, hommes du rang et sous-officiers parmi lesquels ne figuraient ni Heinz Lammerding (Gruppenführer de la 2e Panzerdivision), ni Adolf Diekmann (Sturmbannführer commandant le 1er bataillon). Le second était mort au combat, le 29 juin 1944 ; quant au premier, condamné par le tribunal militaire de Bordeaux le 5 juillet 1951 pour le massacre de Tulle, il vivait à Düsseldorf, dans la zone occupée par les troupes britanniques, sans en avoir été extradé malgré les mandats d’arrêt délivrés en 1947, 1948 et 1950.

En revanche, le contingent le plus fourni du banc des accusés était composé de quatorze Alsaciens : un engagé volontaire et treize Malgré-Nous, enrôlés de force dans l’armée allemande.

Le site Revue d’Alsace (de la Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace) consacre un article à l’ouvrage Oradour 10 juin 1944. Arrêt sur mémoire de l’historienne américaine Sarah Farmer. On y lit : « « Des questions jamais résolues » pouvons-nous lire en 4e de couverture. Faut-il, donc, admettre que tout n’a pas été dit sur le drame terrifiant qui s’est déroulé le 10 juin 1944 à Oradour-sur-Glane ? Une de ces questions semble être le nombre exact d’incorporés de force présents sur le banc des accusés au fameux procès de Bordeaux en 1953. Le chiffre erroné de 14 est à nouveau énoncé. Répétons-le donc encore une fois : il y avait 14 Alsaciens à Bordeaux, soit 13 « Malgré-Nous » incorporés de force et un engagé volontaire. Dès la présentation du livre, l’impasse est faite sur les sept accusés allemands ; il est vrai que, depuis le procès de 1953, chez certains auteurs, ce sont les Alsaciens qui sont présentés comme les principaux responsables de la mort des habitants d’Oradour – pour un peu, les Waffen-SS allemands n’y seraient plus pour grand-chose ! ».

C’est à se demander si l’invitation au « Silence » a bien le même sens de recueillement pour tous, ou bien si d’aucuns ne l’interpréteraient pas comme une sorte de sarcophage propre à enfermer un passé qu’il serait préférable de passer sous silence. Car si ces Malgré-Nous n’étaient bien évidemment pas seuls à Oradour, ils y étaient bel et bien, cela ne fait aucun doute ! Et s’il est évident qu’au moins treize d’entre eux n’y étaient pas allés par choix, mais enrôlés de force, sous la contrainte et la menace, ils y étaient malgré tout, sans le moindre doute non plus !

Dix ans jour pour jour après le procès de Bordeaux, le traité de l’Elysée matérialisait la bienvenue réconciliation franco-allemande ; ce miracle qui s’est produit ici voici un demi-siècle parviendra-t-il un jour à se métastaser enfin du côté de Jérusalem ? Un évènement prodigieux auquel je dois deux couples mixtes dans mon proche entourage ; l’un vit en Bavière, l’autre en Alsace… L’admiration dont je lui témoigne serait à juste titre suspecte si la portée de ce geste d’apaisement s’arrêtait en vue des frontières des considérations locales et régionales : la réconciliation alsacienne-limousine s’est donc faite d’autant plus facilement que les deux régions n’avaient jamais été en dispute en tant que telles.

Car la seule question qui vaille n’est pas celle de savoir, a posteriori, à quel degré nos infortunés compatriotes étaient coupables de leur présence et de leurs actes ; elle est de nous positionner, a priori, sur la capacité que nous avons, que nous nous donnons, de faire en sorte de ne plus jamais avoir à nous trouver dans leur situation. Ce n’est certes pas en parodiant le trop fameux « Plutôt Hitler que le Front Populaire », à l’instar de certaines pétitions contemporaines que l’on peut trop souvent lire ici (qui n’est pourtant pas C4Haine), que nous pourrions prétendre y parvenir …

« Ceux qui oublient leur passé se condamnent à le revivre » (ou plus précisément « Ceux qui ne peuvent se souvenir de leur passé sont condamnés à le répéter »). On peut lire cette citation de Georges Santayana (The last puritan) dans la salle de réflexion du Centre de la Mémoire d’Oradour-sur-Glane. Laissons-nous donc aller à la réflexion ; c’est le plus grand mal que je nous souhaite ! ! !

On aurait pu, par souci de précision, y ajouter celle ci : « Le difficile, c’est ce qui peut être fait tout de suite ; l’impossible, ce qui prend un peu plus de temps ». Ceux dont le bulletin de vote s’égare de plus en plus (en Alsace pas plus qu’ailleurs ; mais pas moins, non plus, hélas) ne seraient-ils pas bien inspirés de se souvenir de l’une comme de l’autre, pendant qu’il en est encore temps ?…

Souvenons-nous, même (surtout, peut-être) de ce que nous n’avons appris qu’après ; et n’hésitons pas à ouvrir tout grand l’horizon de cet exercice de mémoire, de sorte qu’au-delà du passé il englobe aussi les futurs déjà en gestation dans notre présent : c’est avant qu’il importe de décider les bornes que l’on s’interdit de franchir ; plus tard, c’est toujours trop tard !

Ar’vi pa