Alors que le chef de l'Etat s'implique personnellement dans la campagne pour les municipales et totalise avec ses partisans jusqu'à 70% du temps de parole à la télévision, le CSA refuse toujours de comptabiliser ses interventions. Une entreprise de propagande sans précédent dans la République française.

Michel Boyon, Président du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, a osé affirmer que le président de la République "était un acteur institutionnel qui ne relevait pas du débat partisan". Par conséquent, il refuse que son temps de parole dans les médias soit comptabilisé, comme le lui demandait à nouveau hier François Hollande, Premier secrétaire du PS. Aujourd'hui en effet, l'opposition parlementaire dispose d'un tiers, un autre tiers étant dévolu à la majorité et le dernier tiers au gouvernement. Ce qui fait déjà deux tiers pour la droite ! Mais en plus de ça, Sarkozy peut se répandre dans les médias tout son soûl sans que ça ne compte ? L'argumentation de Hollande est ainsi on ne peut plus irréfutable : "Comment accepter que le chef de campagne de l'UMP puisse intervenir à tout moment à la télévision, et sans ouvrir droit à la réponse du PS ?" Chef de campagne de l'UMP ou Président en dehors du débat partisan ? La réponse coule de source si l'on se base sur un simple fait : Sarkozy s'est rendu en personne devant le Conseil national de l'UMP lançant la campagne des municipales ! Du jamais vu.

Il en convient du reste lui-même : "On me dit, et c’est une première rupture que je souhaite, qu’un Président de la République ne va pas parler devant les militants du parti où il a milité toute sa vie politique durant." Forcément, sinon comment préserver la fiction d'un Président au-dessus des partis ? On a donc à la fois un CSA qui justifie ainsi son immobilisme : "les temps de parole du Président de la République n'ont jamais été pris en compte pour l'application des règles relatives au respect du pluralisme", et un Sarkozy qui explique clairement qu'il change la pratique présidentielle ! Ce qui impose de modifier en conséquence la règle, c'est évident : la thèse du Président en dehors des partis ne tient plus lorsqu'il s'en va lancer la campagne des municipales pour le compte d'un parti, justement. La malhonnêteté intellectuelle de Boyon confine donc au foutage de gueule intégral. Mais pouvait-on attendre autre chose de la part de l'ancien directeur de cabinet du Premier ministre UMP Raffarin ? Comment dès lors ne pas conclure avec Hollande que le CSA est "le conseil supérieur de l'arbitraire" ?

medium_IMG_0953pubFace à cette situation scandaleuse, un autre socialiste, Laurent Fabius, réagit en créant une "pétition populaire pour l'égalité audiovisuelle". Quoi que l'on pense de la personnalité de l'ancien Premier ministre, la cause est juste : "Les médias audiovisuels ont pris une place décisive dans l’équilibre de notre démocratie. Actuellement, cet équilibre est bafoué puisque le temps de parole considérable du Président de la République et de ses conseillers dans les médias n’est pas comptabilisé. Il n’est légalement pas prévu pour les forces démocratiques de lui répondre d’une façon égale. C’est d’autant plus inquiétant qu’une partie des médias audiovisuels et de presse écrite est la propriété de groupes industriels et financiers proches du pouvoir". Et quand on parle de "temps de parole considérable", c'est un euphémisme ! Acrimed, s'appuyant sur les chiffres officiels publiés par le CSA, relève ainsi l'Omniprésence chiffrée du clan Sarkozy, suivant l'exemple des mois de juillet et août derniers : "les téléspectateurs ont donc eu droit, en tout, à 31 heures et 46 minutes de parole présidentielle (et très certainement beaucoup plus en images et en commentaires journalistiques). Si l’on y ajoute les 1 heure et 14 minutes de ses collaborateurs (Henri Guaino, David Martinon…), les médias télévisuels ont octroyé au discours élyséen 22% du temps politique total."  Rupture là encore, puisque les prédécesseurs de Sarkozy étaient loin d'une telle présence télévisuelle : "si le CSA garde jalousement les données les plus essentielles (celles qui, concernant les journaux télévisés, permettraient de réaliser des comparaisons quantitatives entre Présidents), il a néanmoins publié les temps de parole du chef de l’Etat «toutes émissions confondues» entre 1989 et 2005. Ceux-ci révèlent que, sur la totalité des périodes hors actualité électorale et sur les trois premières chaînes, les présidents François Mitterrand et Jacques Chirac arrivaient en moyenne à 7% du temps de parole politique total", expose Acrimed. Faites le calcul : Sarkozy squatte les écrans trois fois plus ! "C’est pourquoi nous exigeons, conclut la pétition fabiusienne, qu’une disposition constitutionnelle soit adoptée, qui impose désormais le respect d’une vraie règle des trois tiers pour les temps de parole audiovisuels : un tiers pour le Président de la République, ses collaborateurs et le gouvernement, un tiers pour la majorité, un tiers pour les forces d’opposition. Seule cette règle sera de nature à freiner la saturation et la propagande actuelles, et à amener un meilleur équilibre indispensable à notre démocratie".

Noam2Oui, aujourd'hui, la télé "dégouline de sarkozisme", suivant la formule de Fabius : pour reprendre les derniers chiffres disponibles, qui concernent donc juillet et août, les partisans de Berluscozy, à savoir lui-même, le gouvernement, les membres de l'UMP et ceux du Nouveau centre, totalisent ensemble 69,9% du temps de parole ! Lorsque s'exprime un politique sur nos écrans, c'est donc ainsi 7 fois sur 10 pour répandre la propagande du pouvoir. "La propagande est aux démocraties ce que la violence est aux dictatures", écrit Noam Chomsky. Cette analyse du linguiste américain ne pourrait mieux coller à la réalité de "la France d'après".