Obama est certainement ce qui arrive de mieux aux USA depuis Kennedy. Un souffle d’air frais, une intelligence réellement idéale et non de circonstance uniquement, une empathie qu’on avait jamais vu parmi les politiciens de ces cinquante dernières années. Diplômé en relations internationales et en droit, il a su marier ses années d’éducation avec un militantisme tout d’abord éloigné des querelles politiques. Il est atypique dans l’univers politique étasunien; mais est-ce pour autant qu’un homme seul peut changer un pays tout entier ?

En matière de direction d’un Etat, la démocratie a tendance à placer des espoirs bien trop élevés sur ses dirigeants. Les attentes dépassent la marge de manoeuvre d’un leader politique, soumis à des contraintes invisibles; un homme politique, même élu, doit composer avec la situation crée par son (ses) prédécesseur(s), un contexte économique (et les moyens hérités de celui-ci), des alliances de circonstances, les promesses lancées durant sa campagnes, l’état des relations avec ses partenaires, etc. C’est pourquoi, à l’arrivée, l’électeur est parfois déçu du résultat, il ne comprend pas le décalage entre la volonté affirmer de procéder à des réformes, et le peu d’action entreprises par celui-là même qu’il a élu. […/…]

Ainsi, on a tendance à user de ce lieu commun du “ils sont tous pareils”, prélude à un “tous des pourris”. Cela pour bien souligner que la classe politique, dans son ensemble, est peu courageuse, et qu’à droite comme à gauche, le statu quo est privilégié. Bonnet blanc ou blanc bonnet, au nom du réalisme, on approche les relations internationales comme une longue suite d’évènements qui se répètent plutôt que comme des ruptures. Et très souvent, c’est à juste titre, les réformes étant par définition plus hasardeuses que le statu quo; dans le premier cas, qui en dehors des devins serait à même de prédire avec certitude les résultats ?

Sur la base de cet axiome, des commentateurs de tout crin sont tentés de dire que l’enjeu des élections US ne correspond pas à l’engouement provoqué par celles-ci. Que le futur président aura fort à faire avec l’inertie du paquebot étasunien, que le nouveau capitaine pourra tout au plus procéder à des ajustements légers, mais certainement pas changer son cap.

C’est une manière trop pessimiste de voir les choses, et surtout éloignée de la réalité. Au regard des changements survenus dans la politique pratiquée par des Etats qui ont se sont dotés de nouveaux capitaines, le postulat ne tient pas la route. Les réformes entreprises par les nouveaux gouvernements sont à la mesure des défis contemporains : réchauffement climatique, mondialisation, terrorisme, les enjeux planétaires requièrent de l’audace. Et certains chefs d’Etats, comme nous allons le voir, osent.

La figure la plus emblématique de ces changements est sans conteste Kevin Rudd, qui depuis le mois de novembre 2007 remplace John Howard au poste de premier ministre australien. Et au pays du kangourou, plus rien n’est comme avant. Le pays, qui était jusque-là un détracteur affiché du protocole Kyoto, allié indéfectible des USA dans le domaine, ratifie moins d’un mois après son changement de régime l’instrument international le plus abouti en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Alors que jusque-là, Howard faisait preuve du cynisme le plus décomplexé, Rudd envoie un signal fort sitôt sa prise de pouvoir effectuée. Changement de ton, changement de perspective, Rudd enchaîne et va briser l’un des plus grand statu quo australien : les relations avec les aborigènes.

Dès l’ouverture de la session parlementaire du 12 février, occupée pour l’occasion par des aborigènes, le Premier Ministre leur demandera pardon, rompant ainsi définitivement avec l’histoire officielle australienne. S’il refuse d’envisager toute réparation financière (employant d’ailleurs les mêmes mots que Howard utilisait pour refuser de reconnaître les erreurs), la boîte de Pandore est ouverte. Le grand pays va pouvoir débattre, regarder en face ses démons du passé, avant de pouvoir la refermer et panser les plaies purulentes qu’il refusait de voir. Autre décision de taille, le retrait annoncé des 500 militaires engagés en Irak, alors que Bush affublait Howard du sobriquet de “shérif adjoint” des USA; l’Australie n’est décidément plus la même depuis Rudd, un seul homme l’a fait basculer dans le XXIème siècle.

Plus près de chez nous, l’Espagne connaît une mini-révolution avec la victoire de José Luis Rodrígez Zapatero, et le mot n’est pas usurpé. Dans un pays où la domination de l’église est étouffante, il décide de prendre de laïciser l’école (avec notamment l’abandon du programme religieux pour accéder aux hautes écoles) et de légaliser le mariage entre individus du même sexe. Il retire les troupes espagnoles de l’Irak. Il régularise massivement les sans-papiers. Il crée une commission chargée de faire l’éclairage sur les années sombres du franquisme. Il ouvre le dialogue civilisationnel, cherchant une meilleure compréhension avec les pays arabo-musulmans. Il en fait de même avec les terroristes de l’ETA (son plus grand échec). Il augmente le pourcentage de la part du PIB consacrée à la coopération au développement, tant réclamé par les ONG oeuvrant dans le domaine.

Il se rapproche des leaders de l’Amérique du Sud, après le scandale de l’implication de son prédécesseur (José Maria Aznar) dans la tentative de putsch sur la personne d’Hugo Chávez. Est-il besoin d’expliquer combien de chantiers un seul homme, armée de convictions et d’une équipe solide, a modifié de manière durable la politique de l’Espagne ? Seule la façon de faire la paella semble être inchangée.

Ces différents rappels nous permettent d’appréhender la mesure des nouveautés qu’offriraient l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche. Il possible (car après les hommes sont libres de respecter leurs engagements et leurs valeurs, ou non), si Obama est élu, que la politique étasunienne entre dans une ère radicalement nouvelle. Le candidat est noir, d’ascendance cherokee, fils d’un homme élevé selon des préceptes musulmans. Il n’a pas voté l’envoi de troupes en Irak en 2003, alors qu’aller à contre-courant à ce moment-là aux USA ne pouvait être perçu que comme une trahison. Lors du MacCartysme, avouer des tendances socialistes était suicidaire; on peut postuler qu’Obama aurait pourtant eu ce courage. Obama défend depuis toujours la cause homosexuelle, les minorités et les déshérités. Il a depuis toujours lutté pour l’extension de la couverture sociale, sujet épineux chez les héritiers de Lincoln. Il est engagé comme personne – au moins au sein des deux grandes formations – dans les réformes écologiques.

Barack Obama est aujourd’hui le mieux armé pour réconcilier les Etats-Unis avec leurs démons intérieurs, comme déjà fait l’Espagne et l’Australie, mais aussi pour améliorer leurs relations avec les partenaires internationaux. Refusant d’attribuer ses (quelques) défaites aux primaires à sa couleur de peau, le candidat à l’investiture incarne physiquement et intellectuellement la plus grande opportunité pour les USA d’écrire une nouvelle et glorieuse page de leur histoire. Respecter et développer le droit international, au pays qui a inventer les plus ambitieuses organisations (la Société des Nations et l’ONU). Il représente ce que possède de mieux l’Oncle Sam, avec son idéalisme et sa force de conviction.

Le 4 novembre prochain, il est envisageable qu’Obama soit élu président des Etats-Unis. Si cela venait à être le cas, on imagine difficilement comment ce pays ne connaîtrait pas une révolution à la mesure de l’Espagne ou de l’Australie; sauf que ce changement, au lieu de concerner des puissances de seconde zone, concernerait la première économie, la première armée, le pays le plus influant dans les relations internationales depuis la Seconde Guerre Mondiale. Le monde a besoin de leaders plus subtils et visionnaires que jamais, et Obama fait partie de ceux-là.

Gardons toutefois à l’esprit que W. Wilson, si il a créé la Société des Nations, il a instauré la ségrégation raciale dans la fonction publique. Que Lyndon Johnson, si il a été un instrument majeur de la fin de cette ségrégation raciale et de l’octroi de droits civiques pour les Noirs, a plongé les USA dans la guerre contre le Viêt-Nâm. Les erreurs, lorsqu’on est à la tête des Etats-Unis, sont aussi lourdes que la force de frappe octroyée par la fonction.