Zut, le nom de cet universitaire rémois – ainsi que le titre de son ouvrage – m’échappe encore. Sa thèse se résume ainsi : lire des romans, de la fiction, fait revisiter son passé tout en nous projetant, inconsciemment, vers de possibles devenirs. Neil Gaiman, auteur anglo-américain souvent traduit pour la maison Au Diable vauvert, n’est pas loin d’exprimer une opinion très voisine. Il amplifie son plaidoyer pour la lecture d’œuvres de fiction d’une exhortation : « notre futur dépend des bibliothèques ». S’il n’est guère le seul en ce soutien, son éloquence suscite l’adhésion…
Récemment, dans Le Monde, Patrick Weil (CNRS) en appelle à l’ouverture dominicale des bibliothèques. Il se fonde sur des statistiques européennes sur la fréquentation et celles des bibliothèques de « Montpellier, Nancy ou Boulogne ». Sa tribune prolonge l’initiative de l’association Bibliothèques sans frontières (bibliosansfrontieres.org), qu’il préside, favorable à l’instauration d’un service bibliothécaire « de garde », comme pour les pharmacies, dans les villes moyennes et grandes.
L’un de ses arguments m’a convaincu : pour beaucoup de mal logés, une bibliothèque est un havre de méditation et d’activités pouvant permettre de se construire.
Mais à l’époque où, du moins dans les pays développés, il est devenu aisé de lire à moindre coût (le livre se brade chez Boulinier et consorts à un prix dérisoire, le téléchargement d’ouvrages numérisés, en libre accès ou prix raisonnable sur tablettes, se généralise…), est-il si urgent de mobiliser les contribuables pour étendre l’accès aux bibliothèques ? Il pourrait sembler plus urgent de soutenir Wikipedia qui, pour sa survie et son développement, en appelle aux dons.
Neil Gaiman s’inscrit en faux (sans pour autant, bien sûr, se désintéresser de Wikipedia). Les livres de cet auteur, dont le dernier L’Océan au bout du chemin (aussi au Diable Vauvert) a séduit adolescents et adultes français, portent à l’onirisme et offrent une parfaite illustration de la thèse du professeur rémois. Son éditeur français a eu la bonne idée de faire imprimer et diffuser gratuitement le texte de sa conférence Pourquoi notre futur dépend des bibliothèques, de la lecture et de l’imagination. À défaut de mettre la main dessus, vous parviendrez sûrement à télécharger une version numérique.
Il relève que l’évolution de la population carcérale est corrélée par celle des pré-adolescents ne sachant pas ou très mal lire, que la fiction en prose « développe l’empathie » et la capacité de voir « par d’autres yeux ». La cause est généralement entendue et au moins en Europe, où la BD et des genres autrefois considérés mineurs ont acquis leurs lettres de noblesse, il peut paraître superflu de développer les salutaires arguments de Neil Gaiman (mais leur rappel vaut d’être popularisé : « les livres apportent des connaissances sur le monde et sur votre situation », et la lecture d’un seul livre et de ses déclinaisons, s’agirait-il même d’une bible ou d’une autre, ne saurait suffire).
Neil Gaiman s’inquiète que des gens « ne comprennent pas la nature d’une bibliothèque, et son rôle ». Ou d’aucuns ne les comprennent plus autant que par le passé, ayant oublié ce qu’elles avaient pu leur apporter. « Le défi ne revient plus à découvrir cette plante rare qui pousse dans un désert, mais à localiser une plante précise, qui croît dans une jungle. ».
Ce n’est plus tant les bibliothèques tangibles (ici, non-virtuelles) par elles-mêmes qui permettent la découverte, mais le travail des bibliothécaires, en amont (indexation, explicitation…) de la mise à disposition, et lors du dialogue qui peut s’instaurer avec elles et eux (tout comme une, un bon libraire est de précieux conseil). Ce, lors d’un contact « de visu » (qui peut déboucher sur une incitation à consulter – ou à se divertir avec – des ouvrages numérisés, le contenu primant sur l’objet mais incitant à s’intéresser à l’objet-livre).
« Si vous n’attachez pas de valeur aux bibliothèques, alors vous n’en attachez ni à l’information, ni à la culture, ni à la sagesse. Vous réduisez au silence les voix du passé et vous nuisez à l’avenir. ». Libraires, bibliothécaires (et même critiques s’exprimant librement) sont des truchements dont il semble certes facile de se passer — pour autant que l’on ait pu avoir l’occasion de les fréquenter assidûment, et qu’ils eussent pu et su nous communiquer « la valeur de la lecture, et de l’imagination ».
Ce court texte, d’une vingtaine de pages composées en un très lisible Garamond, se trouve sans doute en de très nombreuses bibliothèques. Même si vous le consultez en ligne (très facilement, tant en version originale, par exemple sur le site du Guardian, que traduite), profitez de sa parution pour aller le relire en bibliothèque, et le prendre en mains. Ce sera sans doute aussi l’occasion de vous familiariser un peu avec son auteur et ses autres livres, d’élargir votre curiosité (par exemple en vous intéressant à ceux de cette autre Anglo-Américaine s’illustrant aussi dans le genre fantastique, Susan Cooper, elle aussi ardente « évangéliste » des bibliothèques et d’une littérature pouvant captiver tant les adultes que les plus jeunes). Susan Cooper a aussi écrit, pour les enfants, La leçon de natation, histoire d’un gamin dont parents et fratrie sont excellents nageurs mais qui ne peut que patauger… jusqu’à ce qu’il rencontre un excellent maître-nageur. Les bibliothèques sont d’idéales piscines pour développer son imagination… et donc, se construire, se développer, et ainsi agir sur soi et l’autre.
La mère d’un jeune de 19 ans parti combattre en Syrie a fait un témoignage plutôt interpellant dans l’émission « De Ochtend » sur Radio 1. [b]Selon elle, c’est à la bibliothèque de la VUB – pendant néerlandophone de l’ULB – que son fils a été recruté. [/b]
[url]http://www.7sur7.be/7s7/fr/16921/Syrie/article/detail/2110912/2014/11/04/La-mere-d-un-jihadiste-temoigne-C-est-a-la-VUB-que-tout-a-commence.dhtml[/url]
Réflexions intéressantes !
Continuez comme ça et vous n’allez pas tarder à voir la grande prêtresse du NPA demander la fermeture de votre blog de « mécréant » !
Vous ne faites pas ses affaires, là, mais alors, pas du tout du tout !