Le Venezuela procède en ce 1er janvier 2008 à une reconversion monétaire. Fini le bolivar, l'ancienne monnaie nationale. On enlève trois zéros et on obtient le "bolivar fort". Résultat : des millionnaires en moins, quelques symboles en plus et, surtout, un grand défi pour le gouvernement.
Avec un taux de change établi officiellement à 2150 bolivars pour un dollar, il n’était pas tellement difficile, jusqu'ici, d'entrer dans le club des millionnaires vénézuéliens.
Le salaire minimum lui-même étant fixé à 614.790 bolivars, il n’en fallait que deux (sans les dépenser, il est vrai) pour se faire millionnaire(1). Tout cela va changer dès ce 1er janvier 2008. En effet, aujourd'hui, c'est le jour J de la reconversion monétaire.
Celle-ci consistera à diviser par 1000 la valeur des actuels bolivars –soit enlever tout simplement trois zéros. Le salaire minimum se situera donc à 614,79 bolivars forts (bolívares fuertes, en abrégé Bs. F., le nom de la nouvelle monnaie) tandis que le dollar étatsunien se changera officiellement à 2,15 Bs. F.
Autant dire que 99 pour cent des actuels millionnaires disparaîtront dans l’opération. Et les millionnaires qui resteront seront –les chanceux!– de véritables millionnaires (ils existent, je les ai rencontrés).
Charge symbolique
La reconversion s’accompagne, bien entendu, de l’émission d’une nouvelle série de pièces et de billets. Comme chacun sait, les billets contiennent généralement une charge symbolique nationale et nationaliste, à usage tant interne qu’externe. Et là, le gouvernement Chávez, jamais avare d’innovations, a voulu laisser sa marque.
Sur le recto des nouveaux billets, on a bien entendu droit aux effigies des habituels héros nationaux, qui, comme par hasard, sont des créoles : Simón Bolívar , Simón Rodríguez, Francisco de Miranda . Mais, pour la première fois, un Indien figure parmi les élus. Il s’agit de Guaicaipuro, cacique des tribus Teques et Caracas, qui a pris la tête de la résistance à la pénétration espagnole dans la zone centrale du Venezuela aux alentours de 1560. Pour la première fois aussi, un Noir figure sur un billet : Pedro Camejo, mieux connu sous le nom de Negro Primero, qui participa à la Guerre d’Indépendance et trouva la mort lors de la décisive bataille de Carabobo, en 1821. Et troisième innovation : un billet comportera le portrait d’une femme, Luisa Cáceres de Arismendi, épouse du chef patriote Juan Bautista Arismendi, qui fut arrêtée par les royalistes comme mesure d’extorsion et resta emprisonnée durant trois ans (une Ingrid Betancourt avant la lettre, en quelque sorte –les FARC n’ont rien inventé). Voilà une série de symboles qui ont bien du sens dans un pays largement dominé, historiquement, par les élites créoles masculines d’ascendance européenne.
Mais l’originalité ne s’arrête pas là : sur le verso des nouveaux billets, sont mis en évidence, sur fond de paysages variés, six espèces animales en voie de disparition dans le pays : le boto ou dauphin de l’Amazone (Inia geoffrensis), le tatou géant (Priodontes maximus), la harpie féroce (Harpia harpyja), la tortue imbriquée (Eretmochelys imbricata), l’ours à lunettes (Tremarctos ornatus), le chardonneret rouge (Carduelis cucullata). Belle initiative pour sensibiliser les populations à la fragilité de ces espèces. Cela dit, il reste maintenant au gouvernement à faire preuve d’autant d’efficacité dans ses actes que dans ces intentions. En ce qui concerne la protection de l’environnement, reconnaissons qu’on est assez loin du compte, au vu des énormes poussées développementistes qui priment généralement sur toute autre considération…
Le grand défi
Voilà donc pour les symboles. Mais l’essentiel n’est sans doute pas là. D’un point de vue économique, il convient surtout de faire de cette reconversion monétaire un outil de politique économique. Pour le gouvernement, l’équation est simple, trop simple :
Une économie forte.
Un bolivar fort.
Un pays fort.
Le pari n’est pas gagné d’avance. Enlever trois zéros peut créer de l’illusion, mais pas de la richesse. Dans l’optique socialiste et révolutionnaire qui est celle du gouvernement, le grand défi consistera, dans les prochains mois et les prochaines années, à mettre en place les bases d’une économie non capitaliste suffisamment forte pour contrebalancer et finalement déplacer les implacables lois du marché. Et sur ce point, les exemples concluants n’abondent pas dans le monde, c’est le moins que l’on puisse dire…
(1) Pour être juste et complet, signalons tout de même que, selon les statistiques officielles, 1,7 million de foyers vénézuéliens vivent en dessous du seuil de pauvreté (ce qui représente 27,5 % de la population au 1er trimestre 2007).
>> Cet article a été publié initialement sur le blogue venezueLATINA.