Mon épouse revient, les contractions se sont arrêtées pendant deux heures puis ont repris… Avant de s'arrêter.

L'inquiètude chez les femmes est palpable même si elles le cachent bien, les vieilles prient…

Une des femmes arrive de la case de santé en disant qu'il va falloir l'emmener à la ville, au centre de soins, ça se passe mal. Le mari attelle la charette, on étale un matelas. Je lui demande s'il veut que je l'accompagne. Il refuse, une des jeunes femmes de la concession va l'accompagner.

Le cheval attelé, il part vers le poste de santé, toutes les femmes de la concession le suivent à le case de santé, qui marmonnant des bénédictions qui récitant des prières, seul le mari est muet, buté.

La jeune femme est allongée dans la charette qui part aussitôt.

La petite foule écoute la matrone expliquer qu'elle a fait tout ce qu'elle pouvait, c'est la volonté de Dieu, mais qu'à l'hopital (en fait simple centre de santé où il y a une sage femme) belle sera bien prise en charge… Inch Allah…

Le soleil pointe juste au dessus de l'horizon, je rentre à la concession. La ville est à 12 kilomètres, faut bien 1 heure et demie pour y arriver… Si les contractions reprennent, j'espère que la jeune femme qui accompagne, a déjà aidé pour un accouchement, c'est pas son mari qui va s'en charger.

Je me réveille vers 8 heure 30, pas de bruit dans la concession, aux alentours tout est silencieux, comme si l'inquiétude était contagieuse. En réalité, elle l'est. Pas une famille qui n'ait vécu cette situation, tout le monde pense à la même chose…

Même les gamins errent silencieux. Ceux qui s'oublient se font vertement rappeler à l'ordre.

La mère de l'accouchée (?), prévenue, arrive d'un village voisin, par ici on se marie encore entre proches… Elle connait ça, elle n'est pas arrivée à plus de 60 ans sans en avoir vu !

12 heures 15, au loin on reconnait la charette du mari, les jeunes femmes courent aux nouvelles. Au bout d'un moment, comme il n'y a pas de cris de joie et qu'on les voit revenir silencieusement vers le village, je rentre dans la case, j'ai compris…

Sortant du poste de radio, laissé allumé toute la nuit en sourdine, la voix d'un journaliste qui explique que la corniche de Dakar sera la plus belle du continent africain…

Y'a au moins une personne qui la verra jamais, cette foutue corniche. Mon épouse est restée dehors, peut-être par besoin de participer à la douleur ancestrale des femmes qui régulièrement meurent en donnant la vie. Moi, je ne sortirai pas avant un bon moment, la colère m'étouffe…

Dans la cour, 3 gamins ne savent pas encore qu'ils n'ont plus de mère…