Difficile d’être impartial ou neutre lorsqu’il s’agit de rendre compte de la confrontation entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sur France 2 dans « Des paroles et des actes ». Surtout en mode arrêts sur images. Mais, foin de mimiques déformant les traits, juste quatre expressions, à mon sens, significatives. Effectivement, Marine Le Pen, face à un contradicteur de la carrure de son père, a préféré l’esquive. Ce n’était pas à moitié idiot, plutôt aux trois-quarts efficace…

La sympathique Marine Le Pen – car elle s’est montrée telle tout au long de l’émission – n’aura pas eu raison du moins « sympathique » Jean-Luc Mélenchon.
On sait qui des deux me semble, à l’avenir, préférable. Ce n’est donc pas pour « avantager » Marine Le Pen que je relève la sympathie qu’elle peut inspirer.
Elle ferait très certainement une présidente fort convenable… si nous en étions encore à la troisième ou quatrième République.
Mélenchon n’est pas encore mûr pour la Cinquième, du fait qu’il ne dispose pas d’assises suffisantes, en tout cas, et du moins, actuellement. Pour une autre, moins présidentialiste, ce serait jouable.

Oh, je ne doute pas que, dans l’hypothèse où elle finirait par l’emporter, elle ne puisse contourner les habitudes institutionnelles et trouver un premier ministre « technicien » pouvant convenir à la majorité de l’Assemblée nationale. Je n’ai aucun doute non plus sur l’éventualité que des gens puissent aller à la soupe, mettant leurs convictions sous le boisseau, et renforcer l’équipe élyséenne du Front national en lui conférant de la crédibilité.

Mélenchon, lui, serait sans doute plus à même de présider une sixième République que Le Pen serait peut-être susceptible d’instaurer au profit d’un autre titulaire, voire d’elle-même, à la longue…

Seconds couteaux

Stricto sensu, Mélenchon a tort de se targuer d’avoir fait baisser les yeux à Le Pen. Elle n’abaissait pas son regard, elle dirigeait habilement l’objectif de la caméra de France 2 sur la une de La Voix du Nord la créditant, selon un sondage, du quart de l’électorat nordiste. Très bien joué.
De fait, et je n’ai pas choisi mes images de manière partiale (on pourrait nonobstant en trouver d’autres démontrant faussement le contraire), Marine Le Pen a été forcée de détourner le regard. Elle aurait donc légèrement perdu aux points. Ce dont je me contrefiche.

L’essentiel reste que l’imposture de Le Pen consiste à faire croire qu’elle serait propriétaire de ses voix au second tour. Certes, beaucoup s’abstiendront. Mais sa base réelle se reportera sur Sarkozy car, contrairement à ce qu’elle peut dire, il n’y a pas au Front des gens « de droite » et « de gauche », mais une large majorité droitière. Dans son électorat, oui, je ne le conteste pas, la gauche est présente ; au contraire, je le relève article après article.

Mélenchon est bien plus « propriétaire » de « ses » suffrages car Hollande, Joly, Poutou, &c., appelleraient à l’élire. Tandis que l’UMP éclaterait. N’en appelons pas moins supplétif un ou une second couteau.

Rencontre non décisive

Mélenchon va faire mal à Marine Le Pen ou, plutôt, au FN. Soit qu’il peut sans doute amener une petite partie de l’opinion à la voir en « réactionnaire confite et bigote mal éveillée ».
Pour en faire une semi-démente, d’évidence, c’est raté.
Elle fut quasi-parfaite.

Bien servie en cela par un Guaino qui avait sans doute pour mission de ramener des voix FN « raisonnables » sans trop droitiser davantage Sarkozy.

Bien servie aussi par la majorité de la presse qui, elle, a choisi des images la flattant encore mieux que les miennes.

« Marine La Pétoche », son surnom au Front de Gauche, n’a sans doute pas pour autant terminé sa « promenade de santé », comme la qualifie Mélenchon.

Il lui sera difficile de le faire passer pour « le meilleur allié de Madame Parisot », argument que, justement, lui renvoie Mélenchon.
On oublie que Juppé avait décliné d’affronter Mélenchon en face à face en arguant du même subterfuge, du « moi c’est moi » et lui n’est « que lui ». Mais aussi parce que Mélenchon aurait bien été capable de qualifier Juppé de postiche, de fantoche, de pantin. La promenade sera chaotique pour d’autres raisons.

Mélenchon a aussi marqué des points sur le remboursement de l’IVG et le complément familial, deux questions sur lesquelles, comme l’estime Dupont-Aignan, Marine Le Pen est « piégée par le Front ». Ou plutôt par l’entre-jambes des anciens, actuels, militants (et militantes) réels du FN. Sur ces thèmes, ils restent aussi réactionnaires que Thorez et sa Jeannette, voire Marchais et sa Liliane.

« L’idiot utile du système » (appréciation de Le Pen sur Mélenchon) n’est pas, lui, comme elle peut l’être, elle, sur certains thèmes, seul. Son slogan est d’ailleurs « Mélenchon, présidons ! » et non président.
Sa comparaison avec Georges Marchais reste bonne car le secrétaire-général du PC disposait d’un véritable encadrement politiquement formé à autre chose que de réciter des argumentaires pour obtenir des parrainages de maires.

Si Mélenchon dispose de ses 500 signatures, alors que Joly et Poutou lui font concurrence, ce n’est pas pour rien. Tandis que Marine Le Pen doit les disputer à Carl Lang (ex-FN, fondateur du Parti de la France, avec Lehideux, Antony, Martinez, Le Rachinel et Baeckeroot ou Dautrême). Lui non plus, Lang, n’est pas tout à fait seulement « un petit candidat » (ce que dit Le Pen de Mélenchon). Le MNR de Mégret soutient aussi Lang…

Cela se joue ailleurs

Les bonnes prestations de Mélenchon et de Le Pen ne sont pas du tout du même ordre. Mélenchon peut se permettre d’apparaître teigneux et peu sympa, plus Le Pen père que fille, laquelle ne peut plus singer son père. Surtout, son argument principal se retourne contre elle : pourquoi donc Sarkozy ou Hollande débattraient-ils avec une « petite » candidate ? Laquelle avait d’ailleurs débattu avec Mélenchon sur BFM TV il y a un an.

Le Pen 2 tente d’occulter le clivage gauche-droite, Mélenchon le réactive. À ce train, l’adversaire qui conviendrait à Marine Le Pen serait François Bayrou, candidat dont la personnalité est la préférée de l’opinion (qui votera pourtant majoritairement pour une ou un autre candidat, selon tous les sondages).

Si l’on se fie aux apparences qu’elle a données d’elle-même lors de l’émission de France 2, Bayrou et elle pourraient s’entendre tels larrons en foire. Cela pourrait augmenter leur capital sympathie, mais seule la droite molle du Front national passerait l’éponge. Ce ne sera plus le cas du conseiller régional FN du Nord-Pas-de-Calais, Paul Lamoitier (un autre, Jean-Marc Maurice, faisant défaut car bientôt en prison pour « abus de biens sociaux » s’ajoutant à cinq condamnations à son casier judiciaire), car cet élu désormais sans étiquette est un très important importateur de viande halal.

Mais le plus dur adversaire de Marine Le Pen après le 20 mars et l’égalité des temps de parole, ce ne sera pas vraiment Jean-Luc Mélenchon, mais sans doute Carl Lang.

À l’issue de ce faux-vrai débat, Mélenchon aura peut-être pris quelques voix à Hollande, et Le Pen à Sarkozy. Mais Carl Lang, qui ne se contentera pas « d’exiger l’étourdissement des bêtes abattues », risque de la priver d’autre chose que de points de sondages, soit de véritables bulletins dans les urnes.

Et puis, l’engagement par le FN d’une procédure contre Claire Checcaglini, qui publie le récit de son infiltration dans le FN (Bienvenue au Front, éds Jacob-Duvernet) peut s’avérer contre-productive. Voilà même Bruno Gollnisch obligé d’écrire que « la peur de l’islam n’est pas le ciment du FN », puis, peut-être, bientôt, de soutenir que le mahométanisme est une religion comme les autres. Accorder cette publicité à ce livre n’est pas judicieux.
Non pas que cela attirera l’attention sur des violences verbales (comme de vouloir aller violer Caroline Fourest en forêt, dérapage de fin de nuit peut-être arrosée), mais parce qu’il révèle plus profondément. Soit le délitement idéologique d’un FN transformé en machine à gratter n’importe quelles voix, ou signature de maire. Carl Lang et d’autres seront en faire plus habilement leurs choux-gras que Mélenchon lui-même…

P.-S. – Mélenchon ne se trompe pas en attaquant Marine Le Pen sur le féminisme. Christine Arnautu, vice-présidente du FN, va devoir ramer pour rattraper les propos de Philippe Chevrier (in Bienvenue au Front). Fourest a su relayer en évoquant « les coulisses » du FN sur France Inter. La technique du « je vous l’avais bien dit et avant tout le monde, même en citant les autres de travers » lui semble être caractéristique du discours de Marine Le Pen sur, par exemple, la laïcité, que le FN défend sur le tard.