Mediapart et la « vraie France » : affrontements directs

Diverses choses méritent l’attention, notamment du lectorat non-abonné à Mediapart et n’ayant pas accès à l’intégralité des articles de cette publication, à propos de la dénonciation, virulente de la part de l’UMP, mezzo voce de celle de, par exemple, celles et ceux qui ont estimé que sa rédaction « roulait pour Hollande » (donc, de fait, contre le Front de Gauche ou d’autres formations). Il est peut-être « humain » de scander « la presse avec nous » quand on l’estime favorable, et de la vilipender dans le cas contraire. Mais il y a des limites…

 

Ce qui suit est un « parti pris », ce qui est d’ailleurs l’intitulé de la rubrique de Marine Turchi, journaliste de Mediapart, prise violemment à partie par des militants ou sympathisants UMP lors du rassemblement du premier mai au Trocadéro. Je ne prétends donc qu’à faire part de « mon » objectivité (à laquelle tout journaliste digne de ce nom doit tendre), forcément teintée très fort de subjectivité lorsqu’on s’écarte du compte-rendu factuel.

Les faits sont « constants » (admis par les deux parties) dès lors qu’une journaliste est malmenée et que les responsables de la sécurité de la manifestation lui recommandent de porter plainte, donc à l’encontre de militants ou sympathisants de leurs mandants.
Ce fut le cas : Marine Turchi, victime de violences verbales et physiques (« violences volontaires légères », comme les qualifie sa plainte), et c’est un responsable de la sécurité de l’UMP qui l’a invitée à se rendre auprès de la police, selon ses propres termes, relayés par Edwy Plenel, deMediapart, dans son éditorial.

Cette agression ne fait pas suite qu’aux multiples enquêtes de Mediapart visant le candidat et les cercles dirigeants de l’UMP qui lui sont les plus dévoués.
Pour l’électorat de droite majoritaire, au final, toutes ces affaires sont pain béni, car elles le confortent dans son sentiment, celui d’avoir fait le bon choix, du plus malin, du plus retors, du plus puissant, d’un modèle à suivre…

C’est un peu comme la fraude fiscale, sport national qui n’est certes pas réservé qu’à l’électorat de droite : la famille Le Pen s’enrichit, bravo, il faut faire de même, le clan Sarkozy use de tous les moyens pour gagner, licites ou illicites, hourrah, « on » n’en ferait pas moins à sa place. C’est du moins ainsi que je perçois, pour l’avoir observée, la mentalité des militants et sympathisants les plus actifs des formations de droite, de l’UMP (et alliés, Nouveau Centre, Gauche moderne, &c.) jusqu’aux formations à la droite du Parti de la France de Carl Lang (qui appelle d’ailleurs, comme Bruno Gollinsch, du FN, à voter Sarkozy). Oui, là, c’est du « parti pris ».

Certes, il en est d’autres, que je ne méprise pas, lesquels considèrent encore que celles et ceux auxquels ils accordent leurs suffrages sont autre chose que des machines claniques destinées à prendre des places, placer des alliés, obtenir les avantages du et des pouvoirs. Il se peut même que quelques élus, de seconds cercles, objectivement complices mais se voilant la face, soient sincères.

On attendrait d’eux qu’ils se prononcent véhémentement contre l’incitation à la violence visant la presse, mais ils ne le font généralement pas davantage que leurs opposants des diverses gauches. Condamnation de principe, certes, mais pas au point de désavouer le ou les candidats qui dressent leur électorat à dénoncer « les médias » sans trop faire la distinction avec les journalistes dans leur ensemble, ce qui n’est certes pas l’apanage de la droite.

Karachi, Bettencourt, Woerthgate, &c.

Mediapart pousse un peu loin le bouchon en affirmant que c’est « grâce aux déclarations du président candidat » que Bachir Saleh, l’un des protagonistes de l’affaire du financement de la campagne de 2007 par le clan Kadhafi, aurait « appris qu’il lui était sans doute souhaitable de prendre le large. ». Si Saleh a été exfiltré de France, c’est surtout parce que, bien avant que Sarkozy ne l’évoque, la presse, Mediapart et les titres ayant relayé ses informations, le mettait un peu trop en lumière. La droite, toute à sa volonté de faire reconduire Sarkozy, applaudit sans doute, tout est bon.

De même, si, comme Mediapart le relate, tant par le CNT que l’émirat du Qatar, Moussa Koussa a été contraint et forcé de démentir que sa signature figurait bien au bas du document reproduit par Mediapart et depuis largement diffusé, la droite s’en félicite : c’est bien joué.

Il en est de même pour toutes les affaires ayant marqué le quinquennat et auparavant la montée en puissance du clan Sarkozy depuis dix ans. Les scrupules n’étouffent pas : que le nôtre, les nôtres, l’emportent. Mais il faut quand même tenir du trouble de la base, et par réflexe, il est parfois estimé que la meilleure riposte, en fonction des circonstances, c’est l’attaque…

Chauffer la salle

Il aurait facile au candidat Sarkozy de réfuter le document libyen, d’affirmer n’en avoir jamais eu connaissance, ce qui est plausible, et d’énoncer qu’un faux habile a pu mystifier la rédaction de Mediapart. Celles et ceux n’en pensant pas moins auraient tout autant apprécié l’esquive, mais non, il faut que le parquet soit saisi d’une diffusion de fausse nouvelle. D’où peut-être l’intérêt de susciter, sinon le lynchage, du moins la molestation d’une journaliste de Mediapart. C’est bien la preuve qu’il y a eu trouble à l’ordre public, condition sine qua non du chef d’accusation, de la part même de la rédaction de Mediapart. « Moralité », ils l’ont bien cherché !

Mais n’imputons pas par avance des menées aussi machiavéliques ; l’essentiel est d’abord de chauffer les salles ou les esplanades, de conforter les éléments de langage : la presse est pourrie, tous les journalistes sont des ultragauchistes anarcho-libertaires, &c. Y compris bien sûr ceux du Figaro car c’est tout à l’honneur de sa rédaction d’avoir relaté les faits, soit les affaires Karachi-Takieddine, Kadhafi, et tant d’autres,  avec le prudent conditionnel qui s’impose en de tels cas tant que la justice ne s’est pas prononcée. C’est tout à l’honneur aussi de la presse se situant ouvertement au centre ou à gauche d’avoir fait état des propos de Montebourg (PS) visant à obtenir que soit fait le ménage dans son propre parti (dans les fédérations dites des Bouches-du-Nord).

D’ailleurs, cette stratégie concertée expose aux risques de bavures. On fait huer les journalistes dans leur ensemble, déplacement après rassemblement, intervention après allocution, et il s’en faudrait de peu qu’un journaliste du Figaro reçoive des horions ou subisse des invectives, encore davantage une ou un membre de la rédaction d’Atlantico, titre assumant pourtant son positionnement à droite. « Atlantico ? connais pas… tiens pour ta g… ! ».

Notons que Jean-Luc Mélenchon ne fut pas loin de nous placer toutes et tous dans le même panier, tous vendus à nos divers patronats libéraux-mondialistes, sans pour autant inciter aux violences physiques. Signalons aussi que Marine Le Pen a préféré s’en tenir à l’ironie distanciée, à la gouaille, avec beaucoup plus de retenue que les ténors et seconds couteaux de l’UMP (même s’il y a eu quelques incidents, moins marqués, de la part de militants FN ou assimilés, ces derniers temps). C’est modérément rassurant, pourvu que cela dure…

Confusion

Le pire est que la confusion entre les patrons de presse et leurs employés journalistes est aussi entretenue dans nos propres rangs. Ainsi de cette tribune de Benjamin Dormann, ex-confrère, dans Atlantico (mais on pourrait trouver sans doute des contre-exemples dans une presse située très loin plus à gauche), qui estime que les copinages médiatiques entre « la presse » et François Hollande sont beaucoup plus importants que ceux entre Nicolas Sarkozy et « les médias ». C’est aussi selon moi accréditer toujours la fiction que les médias « feraient » l’opinion. Je ne suis même plus sûr de son emprise aléatoire sur les indécis ou je-m’en-foutistes que la politique, les affaires, les magouilles, n’offusquent plus ou si peu, soit si considérable.

Que, dans le même Atlantico, un Éric Deschavanne, proche de Luc Ferry, professeur de philosophie, s’interroge sur une presse de gauche qui pourrait chercher à susciter une guerre civile (sans vraiment donner de réponse), soit. Que des essayistes tentent de décortiquer les tendances des patronats de presse et leurs visées, pourquoi pas ? La presse d’opinion, engagée, me défrise moins que la presse faux-cul, souvent de centre-gauche quand le pouvoir vire au centre-droit et inversement (c’est meilleur, en général, pour les ventes).

Je ne m’interdis d’ailleurs pas de m’engager à l’occasion. Autant le faire nettement, et non insidieusement. Mais parfois, comme tout un chacun, ou presque, qui veut tendre à ne pas se laisser emporter par ses convictions, privilégie le doute, j’oscille, nuance, &c. C’est toujours trop ou pas assez pour certaines, fielleux, obligatoirement, pour d’autres.

Qu’est-il au juste attendu ?

Or c’est pourtant le rôle de la presse de signaler et décortiquer les faits qui fâchent. La presse britannique le fait avec beaucoup plus de virulence, les patrons laissant généralement les journalistes « cartonner » les abus, tant bien même proviendraient-ils du « camp » dont ils se sentent, pour des raisons d’opportunisme (quand il s’agit d’acquérir une chaîne, un titre de presse) ou plus fondamentales, plus ressenties, du fait d’une réelle proximité avec l’un ou l’autre bord. Les éditorialistes d’outre-Manche se montrent certes plus virulents selon la ligne rédactionnelle dominante mais l’opinion britannique confond peu les rôles respectifs des animateurs des radios et télévisions, des éditorialistes, des rédactrices ou rédacteurs de tribunes libres, et ceux des rédactions dans leur ensemble.

Au train où vont les choses (post élections, espérons que cette bronca retombera), il deviendra hasardeux d’annoncer qu’on travaille au Clairon de Clermont (titre fictif). Il s’en trouvera d’ailleurs peut-être à reprocher à Marine Turchi d’avoir porté plainte de peur que faire état de ces violences n’incite à d’autres violences les visant : sauf lynchage suivi de mort d’une ou d’un journaliste, difficile à escamoter, mieux vaudrait taire les faits ou les reléguer en brève furtive…

Car malheureusement, l’incident du Trocadéro n’est pas isolé. D’autres journalistes ont risqué le même sort, et des incidents antérieurs, ailleurs, ont été relevés. Non seulement Jean-François Copé dénonçait « une officine abonnée aux coups tordus » (Mediapart, donc), mais aussi les médias qui « reprennent en cœur » (ce que d’Ouest-France à L’Alsace-Le Pays de F.-C., de Nord-Éclair au Midi Libre, tout le monde à fait). Ne dites plus Dailymotion mais Délitmotion (de censure, de désinformation, &c.).

Une journaliste de L’Express avait déjà été insultée verbalement par trois-quatre partisans du Front de Gauche au soir du premier tour, lors de la tournée des permanences. Même cas de figure au Trocadéro, hier, pour l’un de ses confrères du même titre. La différence, c’est qu’il ne s’agissait plus de quelques excités, mais de groupes compacts, déterminés. L’Express ! Et pourquoi pas Le Point ?

Et le Modem alors, lequel, comme toutes formations de candidats peu assurés de se classer dans les quatre premiers, n’aurait-il pas davantage de raisons de s’en prendre à la presse ? Éric Mettout, de L’Express, a d’ailleurs relevé que François Bayrou s’était plaint des médias, mais sans jamais inciter son électorat à rosser les journalistes.

Au moins, lorsque Marine Le Pen avait évoqué l’agression récente d’Arnaud Montebourg et d’Audrey Pulvar, elle avait certes démenti par avance que les agresseurs soient des militants du FN, mais en déclarant « je condamne bien entendu ce type d’agression et j’espère que la police va faire son travail. ». Pour Nicolas Sarkozy, ou au moins Claude Guéant, pour le moment, eh bien, on attend…

Marine Turchi, 29 ans, fort heureusement, n’a pas été rouée de coups de pieds et n’est pas, que je sache, enceinte. Mais avec cette logique, pourquoi ne s’en prendre aussi aux « engeances » des journalistes à la sortie des écoles ? Afin d’étouffer la contradiction dans l’œuf ? Et dire que, vraisemblablement, les agresseurs de Marine Turchi sont celles et ceux qui se plaignent le plus fort de la violence et des incivilités, et en imputent la responsabilité aux « adversaires ».

Intimidation ?

Je relève aussi que la plupart des rédactions, relatant cette agression, s’en sont tenues au factuel, sans commentaires. Sont-elles déjà suffisamment intimidées pour s’estimer, en se prononçant, accusées d’antisarkozysme ?

Même Marion Mourgue, des Inrocks, elle aussi bousculée par deux participants (je n’ai pas écrit « militants UMP ») du meeting du Trocadéro, se garde de condamner trop fort. À fort juste titre, elle relève que, rejoignant l’espace de la presse, « certains militants souriants se mettent de côté très aimablement pour laisser passer » (d’autres voulaient bloquer l’entrée, mais sans violences ni insultes). Mais aussi que désormais, dans certaines salles, si le « banc de presse » ne se lève pas comme un seul homme dès que retentit La Marseille pour l’entonner, cela vaut certificat de cosmopolitisme interlope anti-France.

Veut-on aussi bientôt que nous applaudissions à tout rompre quand des jurys condamnent à la perpétuité, ou si possible, au contraire, en hurlant à la mort ? Que nous saluions véhémentement, enthousiastes, toutes les équipes sportives françaises, qu’elles gagnent ou perdent, se soient ou non montrées à la hauteur de la tache ? Devrons-nous prêter serment sur le mode du “Right or Wrong, My Country“ afin d’exercer ? Et pourquoi pas « de bon ou mauvais droit ou goût » le FMI, l’OCDE, la BCE, la Fed, les vins AOC et les autres, le cassoulet qu’il soit toulousain ou de Castelnaudary ?

En fait, ce qui est recherché, c’est que nous servions courtoisement la soupe à tout le monde, ne posions plus de questions déconcertantes ou ne mettant pas en valeur l’interlocuteur.

Un pays a la classe politique ou la presse qu’il mérite, ou qu’on lui impose. Si c’est ce que veulent les Françaises et les Français, qu’ils le disent. Leur passivité me semble déjà un élément de réponse…

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Mediapart et la « vraie France » : affrontements directs »

  1. C’est rigolo (enfin, on peut le ressentir, dans un premier temps, ainsi), le président du CNT considère que le document de [i]Mediapart[/i] est un faux, mais Othman Bensais, directeur administratif du CNT, déconsidère totalement cette opinion.
    [i]Mediapart[/i] dépose plainte à son tour (plainte irrecevable contre un président en exercice) pour calomnie : le document est authentique, Sarkozy « [i]savait que nous n’avions ni fabriqué de faux document, ni utilisé un document que nous savions faux[/i] ».
    Ce qui ne veut pas dire que le document serait authentique.
    Bon, de toute façon, Sarkozy avait fricoté avec le clan Kadhafi, supposément mû par le seul souci de faire libérer des infirmières bulgares : on y croit très fort.

  2. J’imagine que le document PDF de la plainte de [i]Mediapart[/i] contre Sarkozy et consorts est en accès libre.
    Allez voir :
    [url]http://www.mediapart.fr/files/Plainte_Mediapart_contre_Sarkozy.pdf[/url]

    À moins, évidemment, que vous n’en vouliez rien savoir, cela résume toute l’affaire.

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