Médialogie : les chroniqueurs en repli sur l’UMP

Après environ deux semaines de crise de l’UMP, les chroniqueurs politiques adoptent une position de repli. Non point que les bisbilles entre bande à Fillon et clan Copé s’apaiseraient autant qu’ils veulent nous le faire croire, mais parce que leur propre crédibilité entre en jeu. Ils seraient allé trop loin, se laissant emporter par le direct, révélant qu’ils étaient aussi dépassés par les événements que les protagonistes eux-mêmes. En témoigne notamment « l’analyse » de Jérôme Chapuis, du service politique de RTL, que publie Libération.

L’avez-vous remarqué ? Le flop dans la presse de ce furtif écho du Figaro selon lequel Nicolas Sarkozy aurait déclaré à propos de Fillon ou de Copé (les rôles étant interchangeables) : « l’un est un furieux, l’autre est un minable » ? Ce qui ne l’empêchait pas de déjeuner le lendemain avec, au choix, le furieux ou le minable.

Effectivement, les chroniqueurs politiques ont besoin de prendre du recul, et s’attarder trop sur une réflexion suscitée par la colère ou le désarroi, sachant fort bien que tout ce petit monde politique va tenter de se crédibiliser de nouveau, ce serait fâcheux.

Car si les politiciens ne sont plus crédibles, qu’advient-il des chroniqueurs politiques ?

Vont-ils finir par passer pour les bouffons des  paillasses et histrions de la caste politique ?
Les politiciens tombant dans l’excès, leurs faire-valoir chutent dans l’insignifiance.

D’où la tribune de Jérôme Chapuis dans Libération. Mea culpa. Comme dans l’affaire de Jimmy Saville, cet ex-animateur de radio-télé pédophile qui, post mortem, a fait chuter la haute hériarchie de la BBC, avec la crise de l’UMP, les journalistes se sont laissé scotcher par Twitter et les réseaux sociaux. Du coup, « il en résulte une hiérarchie déformée, écrasée ». L’information n’est plus hiérarchisée, du coup, les hiérarques tombent de leur piédestal.

Ne pas gratter trop fort

Et puis aussi, trop soucieux de préserver l’accès à leurs sources des deux côtés, ils se préservent bien de trop fâcher l’un ou l’autre. Mieux vaut se réfugier dans le « ceux-là disent, les autres disent » que de se risquer à mettre soi-même les mains dans le cambouis et de valider ou infirmer ce qu’on leur rapporte.
Ainsi, Libération fait état d’un document confidentiel des fillonnistes recensant toutes les fraudes et irrégularités ayant entaché le vote des militants de l’UMP. Hormis quelques détails, comme l’épisode des procurations d’Arles accompagnées d’un post-it sur lequel consigner le nom de Fillon ou de Copé, charge à qui le réceptionne de « valider » ce choix, rien de ce qui était déjà connu et publié ne ressort. Libération, et « Libé-Villes », manque-t-il de correspondants sur place pour vérifier et trancher ? Et quelle reste l’attitude de la presse régionale à propos de ces irrégularités et fraudes&nbsps;? Elle attend que les copéistes communiquent le détail des manœuvres inverses, imputées au clan Fillon, et se préserve bien de fouiller auprès des uns et des autres afin que son lectorat puisse se faire une opinion véritablement éclairée.

La Provence, bien obligée d’en faire aussi état, s’en tire en minimisant et en donnant la parole à deux copéistes grand teint, Bernad Deflesselles, Bruno Gilles. Histoire de rétablir « l’équilibre » et de ne pas trop creuser le sujet.

Maintenir les illusions

Il faut préserver Copé et Fillon, surtout ne pas les réduire ce qu’ils sont : des locomotives pour s’assurer des postes. Car si s’était la seule vile réalité, quel crédit accorder encore à leur faire-valoir, les chroniqueurs politiques : n’auraient-ils point mieux à faire que de s’attarder sur de telles futilités.

On laisse donc à des intervenants extérieurs le soin de clarifier, de traiter du fond, soit des lignes de fracture politique, si la politique a encore un sens. Le Monde laisse donc le soin à Nicolas Lebourg, historien et universitaire, la tache de distinguer les lignes de force du clientélisme des Fillon et Copé.

Nicolas Lebourg n’aborde pas la question de la fiscalité. Le PS a coupé l’herbe sous le pied de l’UMP. En fait, comme l’analyse Laurent Mauduit, de Mediapart, à partir d’une note de l’Institut des politiques publiques, le PS n’a « modifié que de manière infime les plus graves inégalités de l’impôt sur le revenu ». L’impôt reste dégressif pour les plus hauts revenus.

Rester évasif sur les clivages politiques ou les minimiser

Reste donc le sociétal, sur lequel Copé et Fillon sont parfaitement en phase, à quelques nuances langagières près : insécurité et identité. Comme Manuel Valls n’est pas plus laxiste (voire même quelque peu plus performant) que ses prédécesseurs, l’utilité de l’UMP, côté siège ou Rump, se résume à contrer le FN au sujet d’une « souveraineté nationale, identitaire, populaire et sociale. ».
Soit à se livrer à une surenchère xénophobe exprimée de manière voisine, à creuser l’altérophobie, à faire des « étrangers » un bloc unique, assignant à toutes et tous des opinions et des attitudes dictées par leurs origines, monolithiques, à faire valoir cette fiction que des populations formeraient « un corps unifié socialement, culturellement et religieusement » d’un côté, rassemblé de l’autre sur la base d’une cohésion laïque « à la française », soit très tolérante à l’égard de la religion censée incarner les « racines chrétiennes » et laxiste à l’endroit des autres, pourvu qu’elles continuent à raser les murs ou à se cantonner dans un folklore orientaliste, comme dans le cas des bouddhistes.

À quoi sert donc encore l’UMP lorsque le FN suffit à cette « mission » ? Lorsque finalement, sur les autres questions, le PS préserve ce à quoi les sympathisants de Fillon et la plupart des élus (hors communaux ou simples conseillers généraux) proches de Copé sont le plus attachés.

Les rôles, côté Copé ou Fillon, ou « non alignés » sont parfaitement interchangeables. Les divisions ne portent que sur la meilleure machine à gagner. Et s’il n’y avait plus rien à gagner, plus aucun besoin de s’accrocher à un poste, retraite copieusement assurée, comme Jacques Chirac, toutes et tous auraient pu « voter pour Hollande ». Comme l’a déclaré Rachida Dati au sujet des non-alignés, « c’est des moyens, des postures pour exister ». Appréciation qu’elle pourrait aussi s’appliquer à elle-même, à ses amis du clan Copé, à ce qu’il lui reste de peu hostiles dans la bande à Fillon.
Elle a ajouté : « Peut-être que certains de nos dirigeants sont des girouettes, mais pas nos militants ». Allons donc. Ils ne sont désorientés que parce qu’ils ne savent plus trop quel est le plus fort auquel se rallier, peut-être en traînant un peu les pieds, en attendant de voir qui pourra leur réinsuffler un de l’enthousiasme et l’espoir de battre « la gauche », qu’elle qu’elle soit, quoi qu’elle fasse. Dati espère que cela sera Copé parce qu’elle s’est trop mouillée avec lui, faute d’avoir obtenu l’accord de Fillon pour une députation gagnée d’avance et une place de premier plan dans l’opposition à Delanoë et Hidalgo.

Comme les politiciens, d’abord durer

La situation est relativement simple. Copé et Fillon veulent succéder à Sarkozy dans le rôle d’un présidentiable susceptible de piquer des voix qui se porteraient aussi tant sur le centre-droit que sur le FN mais veulent encore croire que seul le chef de file de la plus grande formation de droite est susceptible de l’emporter. Sarkozy veut les affaiblir autant l’un que l’autre, ils le savent, et restent persuadés qu’il en serait capable, donc veulent préserver un avenir qui leur assurerait au moins un portefeuille ou des sièges enviables (telles les présidences des chambres, des régions, &c.).

Si ce n’est que cela, quel rôle subsiste-t-il pour les chroniqueurs politiques ? Laisser entendre qui pourrait l’emporter selon telle ou telle disposition. C’est tellement réducteur, secondaire, qu’il leur faut de nouveau faire comme si les trois hommes incarnaient autre chose que des ambitions pour eux-mêmes, exclusivement.

Christian Jacob (pro-Copé ayant conservé de multiples accointances avec les pro-Fillon) craint que « le ridicule finisse par tuer ». Olivier Mazerolle, sur BFMTV, a bien compris que ce ridicule risquait de rejaillir sur lui-même. Il semble qu’il ait été entendu. Être réduit à compter les coups est fort peu satisfaisant. Autant se recaser à la rubrique sportive.

Les chroniqueurs politiques sifflent donc les arrêts de jeu.

Voici donc Hervé Gattegno (RMC) qui passe du baume sur les plaies dans Le Point. De Copé et Fillon, il faut tenter de comprendre ce qui leur est arrivé et « peut-être même de leur trouver des excuses. ». Le la est donné. Il y aura sans doute un jour un vainqueur : surtout ne pas l’avoir trop fâché. « Leur vraie défaite commune, c’est d’avoir probablement convaincu les Français que leur duel n’a aucune importance », conclut-il. Il va falloir lui en redonner un peu de saveur, mais de manière plus digne, plus « responsable », pour continuer soi-même à exister.
Imaginez une émission de télé-réalité dont tous les concurrents sont nuls, et qu’il en soit de même sur la chaîne d’à côté : il ou elle a l’air de quoi, qui est chargé de faire semblant de s’y intéresser pour tenter de nous y intéresser ? Réduit à aller au contact des simples téléspectateurs (là, des militantes et militants UMP), ces pèse-peu, aux opinions ou désintérêts interchangeables ?
C’est si peu valorisant ! Autant en retourner aux débuts en petite locale quand le stagiaire se voyait dévolu les radios-trottoirs ! Encore partants pour le faire, oui, mais par exemple en suivant Philippe Leray (divers droite apparenté UMP) à la rencontre des militants d’Auray, avec France 2. On se raccroche à qui l’on peut.

Surtout, ménager l’avenir

Mieux vaut se rapprocher de Copé qui orchestrerait l’UMP « comme force d’opposition », à coups de communiqués réitérés et rabâcheurs, mettre en valeur les non-alignés localement (tel Jean-Claude Bouchet à Cavaillon), ménager Fillon.
C’est d’autant plus important que le FN et le Front de Gauche ne font pas trop dans la connivence avec la gent journalistique (ou pas déjà). Comme l’exprime Françoise Fressoz, dans Le Monde, «  la gauche est autant que la droite sous la pression du FN et le bipartisme ne permet plus de la contenir. Il faut trouver autre chose. ».

Soit ne pas faire de Fillon, Copé, Sarkozy des « has been » définitifs (ils ont de la ressource), et se trouver si possible de nouvelles têtes. Bref, arrêter le jeu de massacre. Remettre un peu en selle Nathalie Kosciusko-Morizet ou Le Maire ou d’autres. Surtout, faire valoir, comme L’Express, que « le pire du tumulte à l’UMP semble être derrière nous. ».

Mais ne donnons pas soi-même dans l’hypocrisie. Le Sarkobashing laisse des regrets, le Copé ou Fillonbashing qui s’estompe vaut retombée d’adrénaline.

Jean-François Kahn (qui s’est souvent trompé, mais guère plus que d’autres), dans l’Huffington, tente de dégager un scénario qui n’arrangerait pas trop les chroniqueurs dont il reste un éminent représentant (après avoir laissé entendre qu’il pourrait abandonner le journalisme ; mais, quand il s’agit de passion…). Il aborde la question du maintien du scrutin uninominal à deux tours.

Scénario du pire ?

« Le schéma, dans la plupart des circonscriptions, serait à peu près celui-ci : Front National 22% en moyenne ; UMP : 18% (toujours en moyenne) ; Centre droit : 12% ; souverainistes : 3%. Autrement dit, une majorité de droite, mais totalement dépendante de l’extrême droite. (À moins que le Centre droit et l’aile filloniste modérée de la droite ne fusionnent pour écarter ce danger).
Ce qui signifie que, dans 200 circonscriptions au moins, le FN serait en tête de la droite. Dès lors, sauf à se suicider et à se retrouver avec 60 députés, comment l’UMP copéisée pourrait-elle refuser une alliance ?
»

Il rappelle d’ailleurs que ce mode de scrutin majoritaire à deux tours avait failli, en Algérie, faire gagner 80 % des sièges au FIS islamique. Il fallut invalider l’élection.

Bah, après tout, il parait que DSK et Nafissatou Diallo auraient trouvé un accord amiable. Pour Copé et Fillon, cela viendra peut-être. Laissons-les donc souffler, telle semble, avec le grégarisme qui caractérise la presse, la consigne implicite. On verra si elle sera respectée ou non.

Auteur/autrice : Jef Tombeur

Longtemps "jack of all trades", toujours grand voyageur. Réside principalement à Paris (Xe), fréquemment ailleurs (à présent, en Europe seulement). A pratiqué le journalisme plus de sept lustres (toutes périodicités, tous postes en presse écrite), la traduction (ang.>fr. ; presse, littérature, docs techs), le transport routier (intl. et France), l'enseignement (typo, PAO, journalisme)... Congru en typo, féru d'orthotypographie. Blague favorite : – et on t'a dit que c'était drôle ? Eh bien, on t'aura menti !

2 réflexions sur « Médialogie : les chroniqueurs en repli sur l’UMP »

  1. [b]Ne serait-ce pas plutôt à cause du CSA qui a menacé de sanctions lourdes les TV et Radios qui continueraient à faire la part trop belle aux débats UMP/UMP au détriment de l’actuelle majorité ?[/b]

  2. Rien ne me fatigue plus que d’entendre les chroniqueurs dits politiques repeter en boucle les meme « aneries »: parmi ceux qui sevissent sur les ondes, un ou du sortent du lot, Natacha Polony et Duhamel; le reste n’estt que bruit (helas trop bien payé pour la prestation) 🙁 🙁 🙁 🙁 .

    Sur l’UMP, il est regrettable qu’ils n’y ait pas eu d’autres candidats (MAM, NKM p e)

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